(BFI) – La crise actuelle engendrée par la pandémie du coronavirus remet la préservation de la dignité des personnes au cœur de l’économie. Le mode de contagiosité oblige à offrir un accès aux services de santé de qualité à toutes les classes sociales.
Au début de ce drame, on a vu beaucoup quitter les capitales occidentales pour regagner l’Afrique… un retour au pays natal ! Les frontières sont fermées, le confinement est requis, il y a une solidarité entre les cliniques et les hôpitaux publics, le nombre de respirateurs est connu ainsi que les centres d’isolement et de traitements. Tous confinés ! On peut être contaminé en achetant une pizza, en prenant un ascenseur, en faisant changer la roue de sa voiture, au marché, en touchant son portail ou en discutant avec un ami.
Il faut rappeler que les effets d’hystérèse de la Grande crise de 2008 et du choc des cours des matières premières en 2014 sont encore perceptibles respectivement pour les économies avancées et les pays en développement : taux de chômage élevés, faible demande, hausse de la dette, etc. Les marges de manœuvre budgétaires restent faibles dans la plupart des pays. Il faut noter que la dette mondiale fait plus de 3 fois la valeur du PIB en 2019. Les interventions des grandes banques centrales et des Etats ont permis de sauver les banques et le secteur privé dans la majorité des cas. Toutefois, ces injections de liquidités n’ont pas permis aux banques de prêter davantage au secteur réel, elles ont plutôt alimenté la bulle financière sur les marchés financiers.
La pandémie du coronavirus et les tensions sur le pétrole entre la Russie et l’Arabie Saoudite viennent s’ajouter à la « guerre » commerciale entre les Etats-Unis et la Chine déclenchée par l’administration Trump. Ces chocs externes amplifient la contraction de l’économie mondiale. Or, dans les pays développés, la croissance s’explique pour environ 2/3 par la consommation des ménages. En effet, il est utile de rappeler que l’économie est l’agrégat des comportements des agents économiques. Ainsi, les confinements, les pertes d’emplois, l’arrêt de l’activité surtout dans la production et les services, les probables cessations de paiements, la peur, etc. impactent la consommation (donc la croissance) et amplifient les effets de la crise économique et son transfert sur la sphère financière. C’est un « tsunami économique » auquel il faudrait faire face.
On assiste à nouveau aux annonces de mesures exceptionnelles et des plans d’urgence pour stopper les effets de ce drame sur les populations. Les banques centrales augmentent leurs interventions de politiques accommodantes auprès de banques plutôt sur-liquides dans de nombreux cas, auprès des PME et même avec le rachat des fonds indiciels (ETF). Il semble que la solution de l’hélicoptère monétaire est de plus en privilégiée.
La réalité est que la monnaie hélicoptère n’est pas une solution durable devant le changement structurel en cours des économies avancées. L’économie, c’est d’abord le comportement des individus en termes de travail, de consommation, d’épargne et d’investissement. Les modèles économiques des 30 glorieuses ne sont plus applicables dans la majorité des cas. Le vieillissement des populations de ces pays indique que leur croissance potentiel est négative. Les nouveaux modèles économiques devraient intégrer que la demande continuera à baisser et que l’excès d’épargne devrait être placé dans les régions et les secteurs présentant de meilleures opportunités de rendements.
Le monde actuel ressemble beaucoup à celui de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle : mondialisation vs protectionnisme, innovation, pandémie, GAFA/conglomérats/Trust, tensions géopolitiques, guerres, inégalités, migration, etc. Cette situation devrait interpeller la réflexion sur les tendances lourdes, notamment la gouvernance mondiale, les modèles économiques, le pouvoir du secteur privé vs secteur public.
Pendant ce temps, l’Afrique subit les yoyos de l’économie mondiale vu que la structure de ses économies est restée extravertie depuis les indépendances dans les années 1960. En effet, les institutions internationales et régionales indiquent que les conséquences pour les pays africains pourraient être désastreuses. Les effets cumulés du COVID-19 et de la chute des cours des matières premières ont un impact direct sur une baisse significative des recettes budgétaires, une dégradation importante des comptes macro-économiques, une baisse des financements extérieurs, une perturbation des échanges intracommunautaires, une fragilisation de la stabilité externe et financière, etc.
Même si les médias parlent moins des guérisons, vu qu’environ 80% des personnes infectées en guérissent très souvent sans aucune difficulté, il faut saluer les réactions courageuses des gouvernements africains pour stopper la propagation du virus. En effet, les mesures prises pour soutenir les économies africaines durant cette période sont sanitaires, sécuritaires, sociales, fiscales, budgétaires et monétaires. Il faudrait compter aussi sur les appuis budgétaires des partenaires au développement. L’urgence est de s’assurer que les lignes de financement seront maintenues ou établies directement avec le secteur productif et les ménages. Sur la sphère monétaire, les mesures sont fonction du degré de souveraineté monétaire de chaque pays. C’est l’occasion de réactiver les instruments de gestion de crises mis en place précédemment tels que les comités de veille et de stabilité financière. Toutes les solutions seront mises sur la table !
Toutefois, il faut souligner que dans les villes africaines, l’essentiel de la population vit dans la promiscuité et une grande précarité que les mesures de confinement amplifient. Les modes de transport et de consommation, les types d’emplois et d’habitat sont autant de facteurs favorisant la contagiosité. En effet, les petits boulots tels que les bana-bana, les gnan moro au marché d’Adjamé, les débrouillards de la « casse » des pièces détachées, les maquis, les petits restaurants, etc. font vivre l’essentiel des ménages. Quelles seront les incidences des décisions des banques centrales sur ce pan de l’économie (le plus important) ? Les mesures fiscales envisagées par les Etats, impacteront – t – elles les TPE, les ruraux et les entreprises qui attendent depuis des années le règlement de la dette intérieure ? La réalité est que le secteur formel ne représente pas plus de 25% de la population en activité. L’essentiel des actifs sont dans le secteur informel, souvent non identifiables, sans assurance chômage, sans protection sociale, etc.
Autant de challenges qui nécessitent une approche inclusive à la fois dans l’évaluation des besoins et la sélection des solutions. Il est attendu des décisions courageuses et « disruptives » dans la gestion de notre communauté de destin. Ces décisions devraient remettre l’amélioration de la vie humaine et la préservation des écosystèmes au centre de la gouvernance politique et économique. Les indicateurs de performance devraient cibler le capital humain et le développement durable.
L’élaboration de politiques de l’alimentation devrait être encouragée vu qu’elles englobent la préservation de la santé, de l’environnement, la transition agroécologique, la nutrition, etc. Un effet de la crise est l’arrêt des chaines d’approvisionnement qui exposent nos Etats à la vulnérabilité internationale. Il y a donc urgence de rapprocher les chaines d’approvisionnements. Il est nécessaire d’accentuer les actions pour l’autosuffisance alimentaire en favorisant la production locale et régionale. Pour illustration, dans le cas de la CEMAC, pendant que le Tchad dispose d’un cheptel pouvant nourrir tous les 6 pays, d’autres pays importent la viande de bœuf et ses dérivés d’Amérique latine et d’Europe. Plusieurs pays côtiers continuent d’importer des poissons d’Asie malgré un patrimoine halieutique immense. De nombreux pays en Afrique dépendent toujours des chaînes internationales d’approvisionnements pour des produits élémentaires comme le poulet, les œufs, les tomates, etc. Il est nécessaire de repenser les modèles d’industrialisation préalablement initiés et de favoriser les chaines de valeurs régionales.
Le nouveau modèle économique de l’Afrique doit reposer sur une approche privilégiant la transformation régionale des biens et services qui impactent directement le capital humain. Il s’agit par exemple des matériaux de construction, du matériel médical, du matériel roulant, l’industrie agro-alimentaire, les nouvelles technologies, le soutien au système éducatif et à l’écologie.
L’expérience du confinement actuel est une invitation à la solidarité, à un mode de gouvernance en phase avec nos cultures. Cette situation recommande d’accélérer les engagements régionaux et la construction d’un grand marché africain de biens et services dans le cadre de la ZLECAF. L’Afrique que nous voulons ce n’est pas en 2063, c’est maintenant !
Par Cedric Mbeng, Expert des systèmes financiers, membre du Think tank Finance Afrika.