(BFI) – Un mois après la promulgation du décret Présidentiel portant création de la société nationale des Mines (Sonamines), le Dr Stéphane ESSAGA, Directeur du CARPEM, MBA in International Oil & Gas Mining de l’Université de Dundee (Ecosse), a accepté répondre aux questions de Business & Finance International sur les aspects fondamentaux de cette nouvelle structure dédiée à l’industrie minière au regard du visage contrasté qu’elle présente aujourd’hui au Cameroun.
Dr ESSAGA, le Président de la République camerounaise a créé le 14 décembre 2020 une société publique dénommée SONAMINES, qui fait l’objet de nombreuses espérances. Qu’est ce qui peut justifier cette attention maximale ?
Trois déterminants peuvent contribuer à justifier l’intérêt multiple suscité par la création de la société nationale des mines : la nature juridique de l’acte, le contexte camerounais d’exploitation des mines solides et les perspectives internationales de cette activité.
D’abord il s’agit d’un acte juridique majeur traduisant la volonté d’interventionnisme de l’Etat, notamment d’un décret présidentiel portant création d’une entreprise publique, précisément d’une société à capital public, pris en fonction des prérogatives constitutionnelles du Président de la République. Indépendamment du secteur d’activité concerné, la symbolique et gravité de l’acte sont d’autant plus singulières qu’il intervient en premier après les réformes complètes du régime des entreprises publiques au Cameroun désormais (avec deux lois en 2017, trois décrets de 2019, et deux arrêtés du ministre en charge des finances le 04 mai 2020).
Le deuxième déterminant est le contexte actuel de l’industrie minière camerounaise, qui présente un visage contrasté. D’un côté, il est reconnu au Cameroun un potentiel de richesses minières exceptionnel, de classe mondiale, et d’un autre, symétriquement, une sous-valorisation criarde de cette richesse.
Enfin, s’ajoute à ces déterminants celui du contexte international, paradoxalement favorable au développement des ressources minières, précisément en cette période de crise économique aigue annoncée en raison de la pandémie du corona virus.
Développons donc tour à tour chacun de ces déterminants si vous le voulez bien docteur. Quels sont les caractéristiques juridiques majeures de cette société nationale ?
Trois normes me paraissent essentielles dans le décret constitutif de cette société nationale, toutes en lien avec les paramètres contextuels sus-évoqués : le régime juridique de la SONAMINES, les règles transitoires et le champ d’action de la SONAMINES. En termes de régime juridique, la SONAMINES est une société anonyme à capital public. Cela signifie qu’elle a un actionnaire unique, l’Etat ( article 2, alinéa 1), mais qui agira sous la forme d’une entreprise (partiellement) régie par les règles communautaires OHADA. Il s’agit donc d’un régime complexe, associant les intérêts supérieurs de l’Etat, et la nécessaire rationalisation de l’exécution de ses missions.
Les règles transitoires consignées notamment dans les articles 29 et 30 de ce décret n°2020/749 du 14 décembre 2020 traduisent une filiation avec un organe administratif important dans le dispositif de régulation minier camerounais, le CAPAM. Autrement dit, il y aura une absorption progressive tant des activités que d’une partie du personnel du CAPAM par la SONAMINES, puis sa disparition. Cette transition à la fois juridique et technique entre les deux entités sera à mon avis d’une délicatesse particulière à bien mener par les futurs responsables de la SONAMINES.
Enfin le chapitre II portant sur les 13 missions indicatives de la SONAMINES me semble traduire une volonté d’exhaustivité et de plénitude dans l’exercice de la souveraineté de l’Etat sur les ressources minières, à l’exclusion des carrières qui vont ressortir de la compétence des collectivités territoriales décentralisées (art.4 al.1 du décret).
Laquelle de ses missions, pour rester dans ses compétences, vous semble majeure ?
Si les missions sont interdépendantes car contribuant toutes à la valorisation des ressources minières nationales, celle portant sur son droit à participation dans les sociétés exerçant dans le domaine de l’exploration, de l’exploitation, de la commercialisation, du traitement et de la transformation des substances minérales par plusieurs moyens juridiques est central. C’est l’une des activités les plus efficientes pour piloter au mieux les activités minières, en tirer des dividendes et au final maîtriser intimement les réalités du secteur. Ce droit à participation est bien exercé dans le secteur des hydrocarbures par la société nationale des hydrocarbures, et nécessite un encadrement institutionnel rigoureux et continu.
Evoquons maintenant le contexte de l’exploitation minière au Cameroun. En quoi justifie-t-il la création de la SONAMINES ?
Trois éléments contextuels et combinés justifient la création de la SONAMINES : le potentiel minier de mieux en mieux connu, l’intérêt croissant des investisseurs internationaux pour son exploitation et les limites de l’encadrement institutionnel actuel.
S’agissant du potentiel minier, il est généralement présenté sous son prisme hyperbolant, par des vocables tels « scandale », « exceptionnel », « classe mondiale », etc… Sur la base de plusieurs recherches menées par plusieurs sociétés minières ayant effectué notamment des « screening », il est constant que la géologie du Cameroun est favorable à la concentration des substances minérales. Plus de cinquante cibles ont été identifiées sur l’ensemble du territoire, regroupées principalement en métaux de base (fer, aluminium, nickel, cobalt, manganèse, titane), et en substances précieuses (diamant, or, saphir, etc.). Toutes ces richesses ont des nombreux gisements identifiés et quantifiés, labélisés autour des plusieurs localités telles Mbalam, Kambele, Colomines, Fongo-Tongo, Fokamezoun Fokoué, Figuil, Nkout, Nkamouna, Ngaoundal, Akonolinga, Mobilong, Lolodorf, Minim-Martap, Eséka, Makak, Bétaré Oya, etc..
De là la deuxième variable contextuelle directement corrélée à ce potentiel : l’intérêt des investisseurs tant internationaux mais désormais aussi nationaux dans l’exploitation de ces ressources. Les différentes conférences internationales d’investissement des mines et exhibition du Cameroun (CIMEC) organisées à Yaoundé, notamment la dernière tenue en septembre 2019 avec 1500 participants, sont des foires de rencontres entre opérateurs internationaux où se rencontrent plusieurs acteurs miniers, et traduisent à chaque fois un intérêt certain de ces derniers pour le sous-sol camerounais.
Enfin, tout ce potentiel minier d’une part, cet engouement d’autre part des investisseurs internationaux et nationaux, étaient encadrés par le CAPAM, dont le statut juridique ne correspondait pas aux ambitions ultimes du gouvernement en la matière, en termes de représentativité dans le secteur.
Vous avez enfin évoqué un contexte international favorable à la création de la SONAMINES, alors que la pandémie mondiale du corona virus a eu des conséquences désastreuses sur le secteur extractif.
Le secteur extractif est encore dominé par les ressources énergétiques (pétrole et gaz notamment), qui ont durablement été négativement impactées par la crise brusque, universelle et violente du coronavirus. Mais les ressources minières dites solides n’ont pas la même fortune que les ressources énergétiques. Si le diamant, le cobalt et le cuivre ont été impactées par cette crise, cela a souvent été aussi en raison de facteurs antérieurs ou indépendants de celle-ci, notamment la surproduction pour le cobalt (combinée ensuite à la baisse de sa demande par la Chine, qui en est le consommateur principal). Mais surtout, l’argent et l’or ont connu des hausses spectaculaires, le dernier cité étant carrément considéré comme le grand gagnant de cette pandémie. Il a bondi de 33%, sa plus forte progression depuis la décennie, sa performance dépassant la largement celle des autres actifs. Il profite des incertitudes géopolitiques, mais surtout des politiques monétaires ultra-accommodantes des banques centrales (dont les taux d’intérêt réels sont proches de zéro voire négatifs). Il est aussi dopé par la faiblesse actuelle du dollar. Des fonds de pension, des compagnies d’assurance ou des gestionnaires de patrimoine se sont brusquement mis à en acheter, dopant ainsi sa valeur. L’or est désormais la valeur refuge par excellence, avec une valeur record installée à 2000 dollars l’once, et les pays africains producteurs peuvent en tirer de grands avantages financiers.
Quel est à votre avis le plus grand défi à venir de la SONAMINES ?
Outre celui de s’installer dans le paysage complexe du secteur minier par une transition harmonieuse avec les compétences et performances du CAPAM, je dirais que la SONAMINES à la différence de sa consœur la SNH (Société nationale des Hydrocarbures au Cameroun), aura un défi d’insertion plus grand de l’activité minière dans l’économie nationale. Autrement dit, elle devra réussir l’intégration maximale des opérateurs locaux dans l’exploitation de ces ressources d’une part, par le biais de projets les intégrant considérablement tout au long de la chaîne de valeur de ce secteur d’activité. Certains projets qui existaient déjà dans le pipe du CAPAM tel la raffinerie de l’or devront alors rapidement prendre corps, ainsi que les conditions contractuelles et financières de valorisation des projets transnationaux, notamment entre le Cameroun et la République du Congo. Elle en a en tout cas toutes les conditions historiques et constitutives, et il faudra être très exigeant sur les ressources humaines et institutionnelles qui devront suivre la création de ce mastodonte économique par le Président de la République.
Propos receuillis par la Rédaction