(BFI) – Baisse des cours du pétrole, gestion de la dette, risque monétaire, stratégie de sortie de crise : l’analyste gabonais Mays Mouissi livre son éclairage.
Après être descendu sous la barre des 20 dollars le baril fin avril, son prix le plus bas depuis 20 ans, le cours du Brent de la mer du Nord a grimpé cette semaine, dans le contexte d’un rebond de la production industrielle chinoise, avec un pic à 32,50 dollars. Il n’empêche, la crise du Covid-19 a bouleversé le marché mondial des hydrocarbures, et l’effondrement des cours de l’or noir enregistré depuis début janvier affecte en particulier les pays exportateurs africains. Spécialiste du contrôle des risques et de sécurité financière, Mays Mouissi revient pour Le Point Afrique sur les enjeux auxquels ils font face, et met en particulier la focale sur « le pays qu’il connaît le moins mal », le Gabon.
Les pays africains sont diversement touchés par la chute des cours du brut. Pourrait-on faire une sorte de typologie des conséquences sur ces États ?
Il y a déjà une distinction à établir entre les pays exportateurs ou importateurs nets d’hydrocarbures.
La plupart des pays producteurs de pétrole du continent souffrent du syndrome hollandais, avec des économies souvent très dépendantes du secteur pétrolier et très peu diversifiées. La chute des prix du baril se répercute donc sur les recettes publiques, les dépenses d’investissement, les dépenses sociales et les réserves en devises puisque la vente d’hydrocarbures et de matières premières en général contribue fortement à leur constitution. Ainsi, parmi les pays exportateurs, les plus affectés par la crise économique créée par le Covid-19 sont ceux dont l’économie et les recettes publiques dépendent le plus fortement du secteur pétrolier, comme l’Algérie, le Nigeria et l’Angola. Les moins touchés sont des pays comme le Cameroun – certes, petit pays pétrolier – mais dont l’économie est plus diversifiée, et dans une moindre mesure, le Gabon qui a amorcé le développement du secteur agricole, ce qui lui permet aujourd’hui de garantir un certain nombre d’emplois alors que le secteur pétrolier est en crise.
En ce qui concerne les pays importateurs de pétrole, la baisse des cours est généralement perçue comme un soulagement. Elle permet aux États de faire des économies en réduisant leurs dépenses d’approvisionnement en énergie, et entraîne une baisse du prix du carburant à la pompe qui se répercute non seulement sur le pouvoir d’achat des ménages, mais aussi sur la ligne de coût de production de divers secteurs de l’économie. Cependant, dans le contexte du coronavirus, ces bénéfices n’ont pas été ressentis, car la pandémie a contraint les États à mettre en place des plans de riposte sanitaire et des mesures de sauvegarde économique et sociale particulièrement onéreux.
Quelles sont les répercussions monétaires de la chute des cours du pétrole ?
La baisse actuelle des cours du brut se répercutant sur les réserves en devises, elle a, de fait, un impact plus ou moins important sur les fluctuations des devises des pays pétroliers par rapport aux devises de référence, comme l’euro et le dollar. Dans les pays producteurs de pétrole qui appartiennent à des zones monétaires à taux de change fixe, comme de ceux de la zone franc qui ont un système de parité fixe avec l’euro, on peut penser que le système agit telle une sorte de sécurité, au moins pendant cette période particulière – ce qui n’empêche pas pour autant le débat sur le mode de fonctionnement de ce système monétaire.
Une fois encore, ce sont les pays les plus dépendants du pétrole qui pourraient être les plus affectés par la dépréciation monétaire. Ils sont très souvent tributaires de l’extérieur pour se nourrir et doivent importer des matières premières agricoles ou des produits de grande consommation, ce qui impacte négativement leur balance commerciale. Par exemple, nous consommons beaucoup de riz en Afrique, mais combien de pays sont autosuffisants dans la production de riz ? Or, pour importer du riz d’Asie et commercer avec ces pays, il faut des réserves en devises suffisantes. Si votre monnaie est dévaluée, ou si elle se déprécie, vous perdez du pouvoir d’achat, et cela peut se traduire par des crises alimentaires. Pour l’instant, les États africains se sont montrés plutôt efficaces sur ce plan, puisqu’on n’a pas observé de pénurie alimentaire majeure sur le continent depuis le début de la crise. C’est un constat que l’on peut saluer.
Pour l’analyste économique Mays Mouissi, il faudrait une véritable stratégie de relance basée sur trois piliers : l’appui au secteur privé formel et informel, le renforcement de la protection sociale et l’investissement public.
Y a-t-il des risques de dévaluation dans certaines zones ou certains pays ?
C’est assez difficile à dire pour le moment, car nous vivons une crise quasiment sans précédent qui affecte presque tous les pays de la planète. Nous sommes dans une situation où les prix du pétrole baissent, mais le niveau des importations diminue également avec la réduction des activités économiques. Pour l’instant, ce que je constate c’est que le naira nigérian ou le dinar algérien sont particulièrement observés.
Nombre de pays pétroliers sont déjà fortement endettés. Quelle est, selon vous, la meilleure stratégie en matière de dette dans le contexte de l’affaiblissement des cours du pétrole ?
Il y a en effet des niveaux d’endettement préoccupants. Le Gabon, par exemple, a une dette publique supérieure à 60 % du PIB. Au Congo, la dette publique est même supérieure à 100 % du PIB. Ces niveaux d’endettement sont encore plus préoccupants quand on regarde les dépenses engagées en urgence dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 et qui ne manqueront pas d’accroître davantage le poids de la dette.
Le groupe d’experts mis en place par l’Union africaine, avec notamment l’Ivoirien Tidjane Thiam, a préconisé la mise en place d’un moratoire d’un an sur le remboursement de la dette pour permettre aux États d’affecter les ressources prévues pour le service de la dette en 2020 à la riposte contre le Covid-19. Cette solution, qui fait sens, a cependant l’inconvénient d’accroître la charge de la dette pour les années futures. C’est pourquoi je pense qu’il faut l’enrichir. Je propose de négocier le décalage d’au moins une année de toutes les échéances de remboursement des dettes bilatérales et multilatérales sans que cela n’entraîne une augmentation de la charge de la dette. C’est une discussion qui peut être engagée avec les bailleurs de fonds. C’est principalement pour cette raison que je n’adhère pas non plus au moratoire proposé par le G20.
Quant à l’annulation de la dette réclamée par certains pays africains, c’est une question qui me met mal à l’aise et qui renvoie de l’Afrique une image d’éternelle assistée dont les citoyens africains ne veulent plus. Je pense qu’il est du devoir des dirigeants de chaque pays d’honorer les dettes contractées. Des dirigeants qui ont massivement endetté leurs pays et utilisé la dette publique pour leur enrichissement personnel ne sont pas légitimes pour demander une quelconque annulation de la dette. Le leur accorder reviendrait à encourager la prédation des ressources publiques. Il me paraît donc évident que, sur la dette, on ne peut pas traiter les pays africains de façon homogène.
Comment votre pays, le Gabon, a-t-il été affecté en particulier par la chute des cours du pétrole ?
Premièrement, les recettes prévisionnelles du budget de l’État, évaluées à 3 000 milliards de francs CFA, seraient amputées de 700 milliards. Une telle perte de recettes est catastrophique d’autant que les charges de l’État demeurent quasiment constantes. Les salaires des fonctionnaires et les prestations sociales doivent continuer d’être payés. Il convient de rappeler que le Gabon compte 100 000 fonctionnaires pour 2 millions d’habitants, c’est le ratio agent public par habitant le plus élevé au sein de la zone franc.
Deuxièmement, pour la première fois depuis 2009, le Gabon va très probablement entrer en récession en 2020. Or, d’après mes observations, le seuil à partir duquel les populations commencent à ressentir les bénéfices de la croissance économique se situe autour de 7 %. J’en déduis que les répercussions sociales de cette récession seront désastreuses.
Enfin, soulignons que le secteur privé paie un lourd tribut à la chute des cours du pétrole combinée aux mesures de confinement et au ralentissement généralisé de l’activité économique. Les secteurs pétrolier et minier, avec l’extraction du manganèse et forestier, en plus des emplois directs qu’ils créent, alimentent toute une chaîne de sous-traitance qui est pourvoyeuse d’emplois. Les réductions de coûts qui vont s’opérer dans les grandes compagnies pétrolières et minières du pays vont inexorablement menacer des milliers d’emplois dans la sous-traitance. C’est pourquoi il aurait été judicieux pour l’État gabonais d’aider spécifiquement les sous-traitants des grands groupes pétroliers et miniers.
Quelles pistes de solutions préconisez-vous au Gabon pour surmonter la crise ?
J’invite les décideurs à mettre en place une véritable stratégie de relance basée sur trois piliers : l’appui au secteur privé formel et informel, le renforcement de la protection sociale et l’investissement public.
Au niveau des entreprises, je propose de conjuguer dans le cadre d’un programme coordonné des mesures de soutien économiques, budgétaires, fiscales et monétaires, en vue d’assurer l’accès des entreprises à la liquidité dont elle manque tant et qui est indispensable pour assurer leur pérennité. Sur le plan monétaire, la banque centrale doit évoluer, jouer pleinement son rôle et assumer une politique quantitative à l’instar de ce qu’on observe à la Ressource fédérale américaine et à la Banque centrale européenne. L’urgence est de financer les entreprises, et pas uniquement par le canal bancaire.
Ces propositions appellent de la part de l’État de mesures économiques évidentes. C’est pourquoi je suggère de faire des économies dans les dépenses de fonctionnement de l’État et de sacraliser les dépenses d’investissement nécessaires à la relance économique ainsi que les dépenses sociales indispensables au bien-être des populations.
Il s’agit notamment de réduire de façon significative le budget de certaines institutions privilégiées à commencer par la présidence de la République, de supprimer des institutions en doublon, comme le Sénat, qui ne m’apparaît pas indispensable au fonctionnement de l’État, dans le sens où il a sur le plan constitutionnel exactement les mêmes missions que l’Assemblée nationale. Le but est de générer des économies afin de ne pas restreindre les dépenses liées à des secteurs essentiels, comme l’éducation, la santé ou les infrastructures.
Le Point Afrique