(BFI) – Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), a une nouvelle présidente-directrice générale (P-DG) depuis le 16 juin 2021, en la personne d’Elisabeth Claverie de Saint Martin.
Nommée pour un mandat de cinq ans, cette dernière prend les rênes d’un établissement de 1 600 chercheurs qu’elle connaît bien puisqu’elle y occupait, depuis 2018, les fonctions de directrice générale déléguée à la recherche et à la stratégie. Auparavant, elle avait été, entre 2013 et 2016, la conseillère principale pour la France auprès de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) à Washington DC aux Etats-Unis.
Et de 2016 à 2018, elle était directrice adjointe du développement durable à la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international au ministère de l’Europe et des affaires étrangères en France. Elisabeth Claverie de Saint Martin souligne dans cette interview son désir de contribuer à renforcer les systèmes alimentaires et la préservation de la biodiversité à travers le monde, et en particulier en Afrique.
Quelles vont être les priorités de votre mandat en tant que P-DG du CIRAD ?
Nous souhaitons contribuer à des systèmes alimentaires durables et équitables, qui permettent de rémunérer décemment les producteurs tout en préservant les ressources naturelles. C’est-à-dire des systèmes alimentaires qui soient à la hauteur des enjeux de croissance démographique, notamment en Afrique. Pour cela, nous avons six priorités d’établissement qui sont : l’agroécologie, les systèmes alimentaires, l’approche territoriale, le climat, la biodiversité et l’approche de la santé intégrée.
Dans l’une de vos premières prises de parole après votre nomination, vous avez affirmé qu’il est urgent de transformer en profondeur le système alimentaire mondial. A quels types de transformations faites-vous allusion ?
Que ce soit pour la production ou pour la consommation, il y a une très grande diversité de systèmes alimentaires. Nous les occidentaux, avons malheureusement convergé vers un seul modèle. Mais, dans le monde, il n’y a pas qu’un seul modèle. En Afrique, il y a de la toute petite agricultures, il y a une agriculture structurée avec des réseaux de coopératives, il y a de l’agribusiness, etc. Il ne faut rien rejeter de ces systèmes. Il faut donner à chacun les moyens de produire le mieux possible et de la façon la plus efficace possible.
D’autre part, il faut prendre le système alimentaire de deux côtés. D’un côté la production pour s’assurer qu’on mange des aliments sains. De l’autre côté, on doit s’assurer que la transformation des aliments permet un apport nutritionnel, notamment pour les enfants parce que le développement de leurs cerveaux dépend considérablement de ce qu’ils mangent.C’est ainsi que nous avons un programme avec la Fondation Gates qui s’appelle RTBFoods (Racines, tubercules, Banane). L’idée est de partir de l’alimentation de base de beaucoup d’Africains pour voir comment améliorer les semences à travers la recherche participative. Nous travaillons avec des communautés et quand on essaie d’améliorer les plantes pour qu’elles aient moins de maladies, pour qu’elles soient plus productives et pour qu’elles résistent mieux aux changements climatiques, on les fait goûter pour s’assurer que les aliments produits sont mangeables.
Il faut que ce système alimentaire apporte la santé, de l’emploi, de la richesse, et qu’il préserve l’environnement.
Vous vous proposez d’accentuer les partenariats entre les chercheurs du Sud et ceux du Nord. Quels sont les aspects de cette coopération que vous souhaiteriez renforcer ?
Nous sommes convaincus qu’il n’y a plus de défis du Nord et de défis du Sud. Quand nous travaillons avec des pays du Sud, nous travaillons aussi sur nos enjeux. Ce n’est plus de l’aide au développement, c’est un partenariat. Parce que ce qui se passe au Nord va arriver au Sud, et vice-versa. Les virus n’ont pas de frontière et, pour parler de système alimentaire, l’épidémie d’obésité, est la même à Paris, en Inde et à Dakar. Ce sont les mêmes produits qui causent les mêmes effets. Donc, nous avons besoin de réfléchir ensemble. C’est ce partenariat-là que nous souhaitons.
Je trouve que c’est aussi un devoir de solidarité. Les cerveaux sont les mêmes au Sud et au Nord. Le Nord a la chance d’avoir des moyens financiers plus importants qui lui permettent d’avoir les équipements qui font la différence. Donc, il s’agit aussi de voir comment est-ce que le CIRAD peut, sur certaines technologies, être un transmetteur, former, demander à l’Agence française de développement (AFD) de financer l’achat d’équipements pour le Sud… C’est par exemple ce que nous avons fait sur la santé animale dans un grand projet au Zimbabwe où nous avons convaincu l’AFD de financer des infrastructures de la filière élevage.
Quel est l’intérêt pour le CIRAD de collaborer avec des institutions faisant de la recherche dans des domaines autres que l’agronomie qui est votre secteur de prédilection ?
Il y a plein de secteurs sur lesquels nous travaillons et qui ne sont pas de la pure agronomie ; à l’instar de l’eau qui est une problématique très importante. C’est que pour concevoir l’irrigation intelligente par exemple, il faut travailler sur l’eau.
Nous avons aussi beaucoup d’économistes parce que pour proposer une filière, il faut faire des études de marchés et l’agronomie toute seule ne suffit pas. Par exemple, nous sommes en train de monter une belle filière de café durable en Ouganda. S’il y a juste de l’agronomie, ça ne suffit pas. Il faut que les gens sachent que dans 10 ans ou 15 ans, ils auront des débouchés ; il faut réfléchir sur les stratégies de marchés et trouver des distributeurs… On est aussi présents dans la modélisation du climat parce que là aussi, pour connaître l’effet du climat, on doit avoir des agronomes qui savent modéliser le climat.
Vous avez auparavant travaillé au FMI, à la Banque mondiale et au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Quels atouts votre passage dans ces institutions peut vous apporter dans votre mandat à la tête du CIRAD ?
J’ai vu passer tous les dossiers africains au FMI. Donc, c’est d’abord une grande connaissance des problématiques des grands bailleurs de fonds. Savoir ce qu’ils pensent et les connaître, c’est utile. Parce qu’on peut ainsi faire passer des messages auprès d’eux et ça permet de ne pas avoir une image caricaturale. De par mon expérience, je peux dire qu’ils ont besoin qu’on les irrigue de connaissances. Si on apporte quelque chose de structuré, de l’intelligence, les gens dans ces institutions vont écouter…
Vous savez, le FMI travaille depuis longtemps sur les risques macrosystémiques. Ce sont des risques qui, au-delà des finances publiques, peuvent vraiment mettre en danger la trajectoire de croissance des pays. Et sur ces risques-là, les questions de climat ont été identifiées, de même que les questions d’énergie et de genre. Les questions de genre sont importantes quand on travaille sur l’Afrique parce que ce sont les femmes africaines qui font l’agriculture en très grande partie et ce sont encore elles qui sont sur les marchés. Donc, la façon qu’on aura de leur donner plus de moyens pour rendre leur travail visible et plus productif est un facteur colossal de croissance en Afrique. J’en suis convaincue.
Ces discussions-là ont lieu aussi au FMI et à la Banque mondiale. Donc, j’aimerais bien être un peu une voix de l’Afrique dans ces institutions pour inciter à ce qu’on finance une belle agriculture qui fera l’avenir des Africains de demain. J’espère que j’y arriverai…
Vous prenez les commandes du CIRAD au moment où la COVID-19 cristallise toute l’attention et monopolise l’essentiel des financements. Ce contexte ne risque-t-il pas de contrarier vos ambitions ?
Il va y avoir des retards à cause des missions qui n’auront pas pu se faire dans les deux sens. A savoir les collègues africains qui n’auront pas pu venir en Europe et ceux d’Europe qui n’auront pas pu se rendre en Afrique. Mais, nos expatriés sont restés sur le terrain et j’en suis très fière parce qu’ils ont fait confiance au système sanitaire africain. Certains ont été malades et ont tous guéri. Ce que nous essayons de faire maintenant, c’est de reprendre en pensant différemment. Peut-être y a-t-il des choses qui peuvent se faire à distance…
Mais, nous insistons beaucoup sur le fait que les financements ne devraient pas aller que vers la Covid-19. C’est bien de soigner les gens et l’Afrique a immensément besoin de vaccins ; mais, ils doivent aussi avoir à manger. Là-dessus, nous avons été écoutés. Notamment sur l’idée que la sécurité alimentaire fait partie du paquet de relance des économies africaines et je suis plutôt optimiste sur les financements dont l’Afrique doit bénéficier et sur la continuité d’une priorité sur les activités de sécurité alimentaire, de système alimentaire et de production alimentaire. Donc, il y a un choc; mais, je ne crois pas qu’on va dévier de trajectoire.