(BFI) – La pandémie a eu sur l’Afrique un effet plus économique que sanitaire. Dans ce contexte, comment l’UE peut-elle renforcer ses liens avec le continent ?
Lorsque les premiers signes de circulation du virus ont été constatés sur le continent africain, en février-mars 2020, les pronostics les plus pessimistes ont été formulés. Un an plus tard, ces pronostics ont fort heureusement été démentis par la résilience de l’Afrique face à la pandémie, illustrée par une incidence et un nombre de décès dus à la Covid-19 beaucoup plus faibles, lorsqu’on les rapporte au nombre total d’habitants, qu’en Europe et dans les Amériques.
Bien sûr, d’un pays africain à l’autre, l’incidence du virus n’est pas la même. Les pays les plus « connectés » du continent, à l’instar de l’Afrique du Sud et du Maroc, ont été plus touchés. D’autres pays, plus isolés, ont été relativement épargnés. Mais, dans l’ensemble, la résilience est réelle, surtout si on la rapporte au niveau de développement des infrastructures sanitaires.
Parmi les facteurs avancés pour expliquer cette résilience, la pyramide des âges est l’un des plus plausibles. En Afrique subsaharienne, les moins de 15 ans représentent en effet plus de 40 % de la population. Leur proportion est de 30 % en Afrique du Nord. A contrario, seuls 3 % des habitants d’Afrique subsaharienne ont plus de 65 ans. Cette proportion monte à 7 % en Afrique du Nord mais elle reste très loin des niveaux européens : les seniors représentent par exemple un cinquième de la population en France et quasiment un quart en Italie.
En Afrique, une crise plus économique et sociale que sanitaire
La pandémie a néanmoins constitué un choc économique et social sans précédent pour le continent africain, aussi bien pour les pays exportateurs de matières premières, comme l’Algérie, le Nigeria ou l’Afrique du Sud, que pour les exportateurs de biens manufacturés et de services touristiques, comme le Maroc et la Tunisie.
Face à ce choc, les réponses des États africains ont été hétérogènes. L’Afrique du Sud, où près d’un septième des emplois a été « emporté » par la pandémie au premier semestre 2020, a réagi de manière très classique, à travers un plan de relance keynésien basé sur la création d’emplois publics et d’infrastructures, creusant davantage encore le déficit et la dette publique – qui pourrait dépasser 100 % du PIB à l’horizon 2023 –, dans un pays marqué par des blocages politiques et institutionnels, des scandales de corruption à répétition et une stagnation décennale.
A contrario, au Maroc, le gouvernement a mobilisé un arsenal de mesures non conventionnelles pour soutenir les entreprises et les ménages, tout en ménageant les finances publiques. Une part importante de ces mesures a consisté en garanties de crédit, à l’instar des dispositifs « Damane Oxygène » et « Damane Relance » qui ont permis d’octroyer 53 milliards de dirhams (MMDH) et ont bénéficié à 66 200 entreprises en 2020, selon le directeur général de la Caisse centrale de garantie (CCG), Hicham Zanati Serghini, pour un coût relativement limité pour le Trésor public. En outre, ainsi qu’il ressort de la Situation des charges et ressources du Trésor de décembre 2020, les recettes fiscales n’ont que peu baissé en 2020, et l’exécution des dépenses s’est caractérisée par un effort de rationalisation des dépenses courantes au profit du renforcement de l’effort budgétaire dicté par la crise.
Ces mesures d’urgence ont été adossées à un plan de relance ambitieux, visant à relancer la compétitivité de la production nationale à travers une réorganisation du portefeuille de participations publiques – via la cession prévue de certaines d’entre elles – et en étendant la protection sociale à l’ensemble de la population marocaine à l’horizon 2024. À Rabat, la crise a ainsi été perçue comme une opportunité d’accélérer la mise en œuvre d’un modèle de développement plus inclusif.
Où en est le partenariat entre égaux ?
L’année 2020 devait être l’année de concrétisation du « partenariat entre égaux » imaginé par l’ancien président de la Commission européenne, Jean‑Claude Juncker, entre l’UE et l’Afrique. Mais la lutte contre la pandémie a bouleversé les agendas politiques et les priorités.
De plus, les discussions sur le Plan de relance européen et sur le budget 2021-2027 ont été interminables, et l’Accord sur le Brexit n’a été conclu qu’à la vingt-cinquième heure. Dans ces conditions, le partenariat euro-africain a été relégué au rang de question subsidiaire.
À cet égard, le seul acquis de l’année a été la signature, en décembre dernier, d’un nouvel accord de partenariat UE-ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), qui entérine la régionalisation de cet accord, sur la base d’un socle commun, et qui reconnaît la spécificité du partenariat euro-africain. Néanmoins, sur le fond, les changements apportés ont été minimes. Si l’aide au développement stricto sensu est désormais intégrée au budget européen, les questions liées à l’économie et au commerce restent traitées dans le cadre d’accords de partenariat économique (APE) conclus par l’UE avec les différentes sous-régions africaines. Les pays d’Afrique du Nord font, quant à eux, exception à cette architecture institutionnelle complexe, puisqu’ils relèvent de la politique de voisinage de l’UE.
À l’aune de la pandémie, l’Europe a surtout réagi en déployant une aide humanitaire d’urgence en Afrique, et en s’engageant à garantir un accès équitable aux vaccins contre la Covid-19 pour une centaine de pays en développement. L’UE est en effet, à concurrence avec la fondation Bill et Melinda Gates, le premier bailleur de fonds de l’initiative COVAX, portée par l’OMS. Néanmoins, face aux lenteurs de cette initiative multilatérale, l’Europe se retrouve en porte-à-faux vis-à-vis de ses partenaires africains face à l’offensive de la Chine et de la Russie qui pratiquent une « diplomatie du vaccin » décomplexée.
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Il est encore possible de corriger le tir. Pour ce faire, l’UE devrait prendre des initiatives fortes comme la conversion d’une partie de la dette africaine en investissements destinés à accélérer la transition numérique et la transition verte sur le continent. Elle pourrait également mobiliser davantage les financements mixtes (« Blended finance ») budgétisés dans le cadre du Plan d’investissement extérieur (PIE). Concrètement, cela consiste à mieux flécher les ressources et les financements disponibles, tant au niveau public que privé, en s’assurant de leur complémentarité – dans le cadre de « projets de partenariat public-privé » et de dispositifs de soutien au secteur privé africain, à travers des participations dans des PME, des prêts ciblés et des garanties –, et en s’appuyant sur l’expérience de pays pionniers comme le Maroc en la matière.
Un modèle marocain ?
Dans le cadre de son plan de relance post-Covid, le gouvernement marocain a créé le Fonds stratégique Mohammed VI, destiné à soutenir les entreprises nationales et à cofinancer des projets réalisés dans le cadre de partenariats public-privé (PPP). Ce n’est peut-être pas une coïncidence si la nouvelle agence de développement américaine, la US International Development Finance Corporation (DFC) créée fin 2019, a décidé de faire du royaume son hub pour l’Afrique. L’UE pourrait s’en inspirer : cette logique de hub, répliquée avec d’autres pays africains, permettrait de réaliser un effet de levier opérationnel et financier, tout en articulant davantage les institutions de l’UE avec des partenaires locaux et en identifiant les besoins et les opportunités d’investissement au plus près du terrain.
Il y a quelques décennies, dans un contexte marqué par la reconstruction de l’Europe et par la décolonisation, l’un des pères fondateurs de l’Union européenne, Robert Schuman, avait appelé à arrimer solidement ces deux continents que sont l’Afrique et l’Europe. En effet, dans la Déclaration du 9 mai 1950, considérée comme le texte fondateur de la construction européenne, Robert Schuman appelait déjà l’Europe à poursuivre « l’une de ses tâches essentielles : le développement de l’Afrique ».
L’Europe doit aujourd’hui impérativement dépasser son image d’« empire normatif » en allant au-delà des déclarations d’intentions, telles celles qui sont contenues dans la Stratégie africaine dévoilée par la Commission européenne en mars 2020. De la coproduction industrielle à la digitalisation et à la lutte contre le changement climatique, il est urgent de proposer un partenariat lisible, fondé sur des projets à forte résonance qui répondent véritablement aux besoins des Africains.
Par Alexandre Kateb, économiste et maître de conférences à Sciences Po Paris.