(BFI) – Les quinze Etats de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont adopté une feuille de route en vue du lancement d’une monnaie commune en 2027, selon le président de la commission de la Cédéao, Jean-Claude Kassi Brou, à l’issue d’un sommet samedi au Ghana. L’économiste sénégalais Malick Sané revient sur les défis de l’organisation.
Cette feuille de route des Etats de la CEDEAO est-elle réaliste ?
Cette feuille de route sera effectivement réaliste à condition que les pays travaillent d’ores et déjà pour pourvoir à l’échéance 2027, être prêts pour mettre en place cette monnaie commune de la CEDEAO.
Pour mettre en place une monnaie unique à l’échelle de 15 pays, je pense qu’il faut des préalables comme l’avait prévu le traité d’Abuja avec la création pour l’Afrique de l’Ouest de la zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest qui devait être en place depuis 2014 et qui ne l’est pas encore à nos jours.
Est-ce que ce calendrier ne semble pas un peu serré étant donné le contexte de pandémie de Covid 19 et puis beaucoup d’Etats ne sont pas prêts à adopter cette monnaie unique?
Tout dépend de l’engagement et de l’organisation des pays. C’est sûr qu’il y a beaucoup de défis à relever mais je pense que si les pays s’engagent véritablement il y a des possibilités à l’horizon 2027.
Mon souci c’est par rapport aux pays hors UEMOA en commençant par le géant le Nigéria et d’autres pays qui devraient se mettre dans une dynamique de faire converger leurs économies.
Beaucoup d’économistes pensent qu’il est difficile de faire converger un pays comme le Nigéria avec ses 10% d’inflation par rapport à la zone UEMOA où l’inflation est sous la barre des 2% ?
Faire converger une économie comme celle du Nigéria qui est le pays leader, largement leader par rapport aux autres pays pose problème et surtout des problèmes techniques. Vous voyez déjà du point de vue de la démographie, le Nigéria c’est 270 millions d’habitants alors que les autres pays tournent autour de 20 millions d’habitants.
Le Nigéria est aussi le seul pays producteur et exportateur de pétrole en Afrique au Sud du Sahara alors que la quasi-totalité des autres pays sont des pays importateurs. Troisième point, au Nigéria on est à des taux d’inflation à deux chiffres alors que dans les autres pays on atteint même pas 2%.
Quatrièmement, le Nigéria ne joue pas son rôle de pays leader, suffisamment engagé à tirer les autres pays vers le haut parce qu’il y a des coûts économiques et des coûts sociaux que le Nigéria devrait supporter. Et, ce pays n’a pas encore le courage de les supporter comme la France et l’Allemagne l’ont fait en ce qui concerne l’Europe.
Le Nigéria devrait montrer plus d’engagement, plus de détermination en travaillant pour se conformer et rendre possible la mise en place de cette monnaie unique à l’horizon 2027.
Un nouveau traité monétaire va être signé avec Paris et il y a un courant souverainiste au sein de l’UEMOA qui plaide pour une émancipation totale. Est-ce-possible ?
Oui c’est possible. Le traité d’Abuja de l’Union africaine va dans ce sens-là parce qu’il était prévu de mettre en place dans chacune des régions africaines une monnaie unique pour que la fusion se fasse.
C’était prévu à l’horizon 2028 et au bout du compte on devrait se retrouver avec la création d’une monnaie unique africaine à l’échelle continentale, une banque centrale africaine, un fonds monétaire africain.
Je pense que la présence d’un pays comme le Nigéria va conférer à nos pays de l’Afrique de l’Ouest un pouvoir de négociation suffisamment élevé pour pouvoir faire face à nos partenaires extérieurs qu’il s’agisse de l’Europe ou d’autres régions du monde parce que les partenariats sont possibles pour mettre en place un panier de monnaies (euro, dollars, etc.) et de partir en toute autonomie gérer nous-mêmes notre monnaie.
Une feuille de route est désormais en place mais l’avenir de la monnaie unique ne sera-t-elle pas imposée par l’économie réelle ?
On est dans une région, la gouvernance politique a un rôle extrêmement important à jouer et s’il n’y a pas d’absence par rapport à nos gouvernements par rapport à nos responsables, pour s’engager dans cette monnaie-là malgré l’économie réelle, je pense qu’il y aura encore des obstacles.
C’est la raison pour laquelle cette réforme doit être la plus participative possible.