(BFI) – Ancien président de l’Association des Sociétés d’Assurances du Cameroun (ASAC) et de la Fédération des Sociétés d’Assurances de Droit National Africaines (FANAF), Protais Ayangma Amang, 69 ans, n’est plus à présenter. Actionnaire de Saham Cameroun (aujourd’hui Sanlam) et patron de Prévoyance-Assurance-Assistance (P2A), l’homme d’affaires, connu pour son franc parler, s’étonne, dans une lettre détonnante, du “silence des assureurs” (parue d’abord dans le journal camerounais Mutations) depuis le déclenchement de la pandémie liée au coronavirus. In extenso.
Lettre aux assureurs
Devant le silence observé par les assureurs face au Covid-19, j’ai personnellement été interpellé bien que je n’ai plus de responsabilités opérationnelles dans ce secteur depuis déjà quelques années. Il va donc de soi que les opinions que j’émets ici ne peuvent être que personnelles et n’engagent que moi. Elles ont pour but de susciter le débat. La discrétion des compagnies d’assurance peut surprendre, dans un domaine où elles auraient dû être en première ligne : la maladie, la mort, l’accident… bref les risques de la vie, sont au cœur des préoccupations des assureurs et leur Business Model est essentiellement fondé sur l’insécurité sous toutes ses formes.
Le secteur de l’assurance au Cameroun face au Covid-19
La planète toute entière subit les affres du Covid-19 depuis décembre dernier. Parti de la lointaine Chine, le COVID-19 s’est propagé progressivement partout dans le monde et le Cameroun n’y échappe pas. Au-delà de la crise sanitaire, c’est bien une crise économique qui se profile à l’horizon. Avec le confinement, la fermeture des frontières et plusieurs autres mesures prises pour endiguer la pandémie, de nombreux secteurs d’activités tournent au ralenti quand elles ne sont tout simplement pas arrêtées. Et des pertes se profilent à l’horizon.
Qu’en est-il du secteur des assurances?
En Afrique, le taux de pénétration de l’assurance reste faible. Au Cameroun avec un chiffre d’affaires de 207 milliards de FCFA, il se situait autour de 0,97% en 2018 selon les chiffres officiels de la Direction Nationale des Assurances. Face à ce faible taux de pénétration de l’assurance, on peut a priori penser que l’impact du COVID-19 dans ce secteur va être insignifiant. Néanmoins, on peut craindre un ralentissement de la croissance du Chiffre d’Affaires dans ce secteur qui connaissait une progression annuelle moyenne de 5% au cours de ces dernières années, et même une légère décrue.
Comment les différentes branches seront impactées?
Un impact différencié
Plusieurs branches pourraient être impactées plus ou moins significativement. Il s’agit entre autres de l’assurance transports, de l’assurance voyage, de l’assurance santé, de l’assurance vie, de l’assurance automobile. La fermeture des frontières à travers le monde a eu pour effet direct la limitation des déplacements aussi bien des personnes que des marchandises. L’assurance transports (13,38% de parts de marché), particulièrement les transports maritimes (près de 10% des parts de marché) risque de connaître une forte baisse si la situation sanitaire ne s’améliore pas. Et de dégrader la rentabilité globale des compagnies compte tenu de la bonne tenue de ce risque (sinistralité de …moins de 1% en transports maritimes !) Il en va de même pour l’assurance voyage. Mais son impact est peu significatif du fait de sa contribution marginale dans le Chiffre d’Affaires. L’automobile (26,7% des parts de marché), risque obligatoire, pourrait ne pas être impacté par le COVID-19 en ce qui concerne le chiffre d’affaires.
Cependant, la limitation des déplacements notamment interurbains, de même la limitation du nombre de personnes transportées par les taxis et mototaxis, pourraient avoir un effet positif sur la sinistralité de ce secteur dont le taux se situait autour de 47,51% en 2018. On pourrait ainsi connaitre une baisse de la sinistralité. Ce qui laisse une fenêtre pour envisager une petite baisse de tarif qui d’ailleurs risque de s’imposer face à la pression des transporteurs confrontés à une forte baisse des revenus du fait des mesures barrières décidées par le Gouvernement.
L’assurance Santé pourrait elle aussi ne pas être impacté du fait de l’exclusion par les assureurs du risque de pandémie (c’était déjà le cas du SIDA) et la prise en charge totale des soins par l’Etat. Les résultats de cette branche pourraient être bonifiés par l’arrêt forcé des évacuations sanitaires qui constituent une poche de dépenses importantes pour les assureurs. L’assurance vie quant à elle devrait connaître des retards et même des cessations de paiement de primes ainsi que des rachats importants en ce qui concerne les produits d’épargne (41% du Chiffre d’Affaires VIE). La sinistralité ne devrait pas se détériorer parce que le taux de mortalité lié à ce virus est relativement faible dans notre pays, et que les assureurs tardent à se prononcer sur la prise en charge ou non de cette pandémie, généralement exclue des contrats.
Au total, un impact limité mais qui consacre malheureusement, le «confinement» du secteur des assurances dans la marginalité face à une crise aussi grave qui touche tout le corps social. Pourtant, les périodes de détresse et de calamité sont les périodes où les assureurs sous d’autres cieux se réinventent et font preuve de créativité et d’ingéniosité pour adresser les risques et les défis nouveaux. Il est un fait que c’est pendant ces périodes là que les hommes prennent conscience de leur humanité et de leur situation de vulnérabilité et de fragilité et se tournent vers des solutions assurantielles (notamment pour leurs problèmes de maladie et de décès).
Hélas, on n’a pas vu les assureurs beaucoup se bouger en dehors du groupe SUNU qui a fait don appréciable de matériel médical à l’hôpital Laquintinie. C’est pourtant l’intérêt des assureurs de s’investir dans la lutte contre les pandémies pour non seulement montrer et démontrer leur utilité sociale mais aussi limiter leurs conséquences sur leurs exploitations. Ils ont également manqué l’occasion de dorer leur image largement écornée par des comportements jugés très souvent irrespectueux de leurs engagements pour certains d’entre eux. L’assurance c’est d’abord la SOLIDARITE et la MUTUALITE. Les assureurs devraient être en première ligne dans ce combat en se montrant et non en se cachant, d’autant plus qu’ils pourraient en tirer de substantiels dividendes en terme d’image et donc de plus grande adhésion à leurs produits. Sans jouer sur la peur et le malheur, ils devraient proposer des produits santé, frais d’obsèques, assistance, épargne et montrer qu’ils sont là «dans les coups durs». Leurs populations leur en seront gré.
L’image des assureurs en France s’est profondément transformée à la suite de leurs interventions dans les catastrophes (inondations…). A défaut d’une intervention directe (dons…) des assureurs dans la lutte contre le COVID-19, les assureurs pourraient en concertation avec l’Etat, revoir à la baisse la prime de l’assurance RC automobile pour les transporteurs publics de voyageurs TPV et accepter pour ceux qui le souhaitent, la mensualisation des primes sans aucune pénalité tout en réglant rapidement les sinistres pour soulager la trésorerie de leurs clients pendant cette période de vaches maigres. Ce serait leur effort de guerre. Les banquiers ont pour leur part déjà annoncé qu’ils étaient prêts à restructurer les engagements de leurs clients.
Urgence de réfléchir à une sécurité sociale …plus sociale
Au-delà des assureurs, cette pandémie questionne notre système de sécurité sociale en général et notre système de santé en particulier. Qu’est devenue la Couverture Santé Universelle ? Slogan politique ou promesse qu’on sort à chaque échéance électorale et qui est rangée les élections passées? L’Etat, du fait de son incapacité à mettre en place cet outil essentiel est obligé de supporter tout seul l’effort de la riposte sanitaire alors que dans un système de couverture Santé Universelle, tout le monde aurait pu y contribuer.
Il y’a URGENCE à construire un système de santé robuste. La construction des infrastructures de santé doit être ouverte aux investisseurs camerounais parmi lesquels les assureurs. La CNPS a montré la voie avec la construction à Yaoundé de l’une des meilleures structures de santé du Cameroun. La règlementation qui semble réserver le monopole de la construction des structures médicales aux seuls médecins, doit en conséquence être revisitée. J’y avais été confronté lorsqu’il y a une vingtaine d’années j’avais voulu ouvrir une structure sanitaire avec l’aide de la SFI. Une des leçons pas forcément négatives du COVID-19 aura été la fermeture des frontières, empêchant toute évacuation sanitaire et obligeant tous les camerounais à se soigner sur place. Ce qui a révélé l’indigence de notre système de santé et l’impérieuse nécessité de le structurer. Notre système de sécurité sociale devrait également être repensé.
C’est maintenant ou jamais, au moment où la CNPS affiche un insolent bilan de santé (plus de 72 milliards d’excédent en 2019 et plus de 200 milliards de trésorerie dans les banques). A quand la prise en charge du chômage ? A quand la revalorisation des maigres pensions des retraités qui réduisent drastiquement leur espérance de vie ? Que dire des prestations familiales que certains ont renoncé à réclamer du fait de leur insignifiance ? A quand la révision de la liste des maladies professionnelles (la dernière date de 2009) qui semble inscrite dans le marbre malgré les nombreuses mutations intervenues et l’apparition de nouvelles maladies liées au travail? (en l’état actuel de notre règlementation par exemple les personnels de santé qui seraient atteints par le COVID-19 dans le cadre de leur travail ne seraient pas couverts malgré leur engagement et leur dévouement, si on s’en tient à la liste limitative actuelle des maladies professionnelles). Vivement que le chantier de la sécurité sociale ouvert depuis de longues années, soit accéléré.
Par Protais Ayangma, Ancien président de l’Association des Sociétés d’Assurances du Cameroun (ASAC) et de la Fédération des Sociétés d’Assurances de Droit National Africaines (FANAF)