(BFI) – De plus en plus de constructeurs de véhicules industriels s’intéressent au continent. Le phénomène n’est pas nouveau, mais on note au cours de ces dernières années une montée en puissance des implantations, accentuée par la rivalité entre les constructeurs chinois et européens. Si ces unités de montage de petite taille sont globalement bien vues, les taux d’intégration demeurent encore faibles, voire négligeables.
Le marché des véhicules industriels en Afrique est dominé par la Chine dont les ventes de camions et de bus explosent grâce, notamment, à leur rapport qualité/prix. Les marques européennes -Mercedes-Benz, Iveco, MAN, Renault Trucks, DAF Trucks, Scania, Volvo Trucks…- résistent et cherchent à se différencier des Chinois en misant sur la qualité. Seulement, si tout le monde a tendance à y trouver son compte, depuis bientôt deux décennies, ce sont les constructeurs chinois (FAW, Sinotruk, Dongfeng, Shacman, Foton, Beiben, Youngman…) qui dominent les ventes grâce à une concurrence qui tire les prix et la qualité vers le bas.
Une situation qui poussé de nombreux géants européens à s’allier aux constructeurs chinois. L’allemand MAN est entré dans le capital du géant chinois Sinotruk en en acquérant 25% du capital. De leur côté, Foton et Daimler (Mercedez-Benz) ont créé en 2012 une joint-venture… Grâce à ces partenariats, constructeurs chinois et européens développent des produits intermédiaires, entre le haut de gamme et le low-cost.
Pour le contrôle des marchés africains, dont la demande croît sous l’effet des dynamiques économiques de nombreux pays et renouvellement des parcs automobiles industriels vieillissants et ne répondant pas aux normes environnementales, la concurrence entre constructeurs s’exacerbe et les arguments basés sur les prix et la qualité ne suffisent pas pour dominer un marché.
Résultat, les géants de l’industrie des véhicules industriels, qui convoitent le marché africain, mettent désormais l’accent sur l’implantation d’unités industrielles dont le nombre s’est multiplié sur le continent.
Le secteur du montage des véhicules industriels, qui comprend camions, bus, autocars, remorques et semi-remorques…n’est pas nouveau en Afrique. Il fut même l’un des premiers investissements directs étrangers dans certains pays africains nouvellement indépendants.
C’est le cas du Maroc où le montage de véhicules industriels est historique, le premier investissement direct étranger du Maroc indépendant est lié à cette activité. Berliet Maroc a été créé en 1958 et le premier camion de type GLC6 est sorti de l’usine de montage en avril de la même année. Avec plus de 60 années d’expériences, le Maroc jouit d’un véritable savoir-faire dans ce domaine. Il s’agit d’une activité qui s’appuie essentiellement sur les éléments importés en CKD. Avec ce type de montage, la décision industrielle reste au Maroc et cela crée des possibilités industrielles induites (équipementiers, carrosseries, pièces de rechange…).
D’autres unités de montage de véhicules industriels plus récents se sont développées depuis lors. L’usine d’assemblage du groupe Auto Hall a été mise en service au début des années 1970 avec les camions Ford, puis de Mitsubishi Fuso au milieu des années 1980 et plus récemment les camions chinois, DFSK, puis Foton. L’usine du groupe dispose d’une expérience dans le montage de véhicules industriel avec une capacité de production de 10.000 véhicules par an.
Il s’agit d’une unité de montage CKD (Complete knock Down), c’est-à-dire en pièces détachées assemblées par un personnel qualifié de l’entreprise. Avec les camions chinois Foton et DFSK et du japonais Mitsubishi Fuso, le groupe développe et commercialise une gamme complète de camions de petit, moyen et gros tonnage.
Si l’activité industrielle est relativement ancienne au Maroc, il en est autrement pour le reste du continent. Le développement des unités de montage de véhicules industriels y est récent et surtout le fait des géants chinois.
Au Nigeria, première puissance économique du continent, le chinois Sinotruk s’est allié à l’homme d’affaires Dangote pour créer Dangote Sinotruk West Africa Ltd pour créer une coentreprise assemblant différents types de camions. D’un investissement de 100 millions de dollars, cette unité d’une capacité de 5000 véhicules par an, couvre une gamme complète de véhicules industriels: camions lourds, moyens, légers, semi-remorques…
Toujours au Nigeria, l’Etat de Lagos et le chinois Yutong Bus comptent lancer une unité de montage de bus électriques. Cet accord rentre dans le cadre d’un accord portant sur la livraison der 12.000 véhicules.
Le constructeur chinois Foton dispose d’une unité d’assemblage au Kenya. Quant à FAW, il est présent en Afrique du Sud, Sinotruk est aussi présent au Maroc en partenariat avec Somagec avec une capacité de montage de 5000 camions par an… Les constructeurs chinois sont également présents dans de nombreux autres pays africains.
Si certains géants européens tirent profit de ces implantations grâce à leurs partenariats capitalistiques avec des groupes chinois, comme c’est le cas de MAN avec Sinotruk, de Dailmer avec Foton…, il n’en demeure pas moins que certains d’entre eux sont aussi motivés par des implantations d’unités de montage en Afrique.
Ainsi, le 10 juin dernier, l’allemand Dailmer a inauguré une unité de montage de bus de la marque Mercedes Benz en République Démocratique du Congo (RDC).
Cette unité d’une capacité de production de 25 bus par mois, produira deux modèles: la Mercedes Benz 1723 de 49 places et la Mercedes Benz 917 de 39 places. Fruit d’un partenariat avec SERVE AIR visant la livraison de 670 bus à Transco (Société de transport du Congo), celle-ci fait renaître l’industrie automobile congolaise dont les unités de General Motors et Iveco avaient été fermées au début des années 1990.
Pour sa part, le groupe allemand MAN, déjà présent en Afrique du Sud, au Nigeria et en Algérie, s’est implanté aussi en Ethiopie avec une unité de montage d’une capacité de 1000 camions par an. Idem pour le constructeur suédois Volvo, déjà présent en Afrique du Sud où il assemble les modèles Volvo Trucks et Renault Trucks à Durban, cible l’Afrique de l’Est et compte redémarrer son unité d’assemblage en Algérie.
En plus des Chinois et des Européens, les Indiens aussi arrivent sur le marché. Ashok Leyland, le constructeur indien de véhicules industriels et d’autobus, a annoncé une joint-venture avec l’entreprise égyptienne El Nasr Automotive Manufacturing Company pour la fabrication de camions, de camionnettes et d’autobus électriques. A travers cette unité, le constructeur indien souhaite contribuer au développement des transports moins polluants en Afrique.
Outre l’Egypte, le constructeur indien a également signé un accord avec l’Etat ivoirien pour la mise en place d’une unité de montage de véhicules industriels qui sera opérationnelle en juin 2024. Elle aura une capacité de production annuelle de 1.700 véhicules de 5 modèles différents du constructeur indien Ashok Leyland. Cette production va contribuer au renouvellement du parc de véhicules industriels en Côte d’Ivoire et dans la sous-région. A noter que la Côte d’Ivoire est le principal hub de distribution des véhicules de la marque indienne en Afrique de l’Ouest.
Outre Ashok Leyland, la Côte d’Ivoire accueille depuis janvier 2022 une unité de montage de minibus. Cette unité, implantée à Koumassi, dans le sud d’Abidjan, fruit d’une joint -venture entre le groupe Iveco, constructeur de véhicules industriels et de bus, du groupe italo-américain CNH Industrial et de la Société de transport abidjanais (Sotra), a démarré avec une capacité de 500 véhicules par an et devrait monter en puissance pour atteindre 1000 unités à partir de sa troisième année. Les premiers minibus sortis de cette unité circulent actuellement à Abidjan et vont contribuer au renouvellement du parc automobile. Si la production au démarrage est réservée au marché ivoirien, cette unité industrielle cible le marché du transport urbain ouest-africain.
Comme on le voit, les implantations d’unités de montage de véhicules industriels et de bus se multiplient en Afrique. Globalement, il s’agit de petites unités de montage dont les capacités vont de 500 à 10.000 unités par an visant à satisfaire à la demande locale et/ou régionale.
Ces implantations récentes sont dictées par plusieurs facteurs. D’abord, elles se justifient par la volonté des pays africains à s’industrialiser. De nombreux pays du continent essayent d’attirer les constructeurs mondiaux de véhicules industriels afin de faire face à la demande locale sur ces segments d’automobiles nécessaires aux industries de la logistique, de la construction, de l’agroalimentaire, des bâtiments et travaux publics (BTP)… et la nécessité de renouveler leur parc de bus et de véhicules industriels d’un autre âge.
Ensuite, elle résulte de la concurrence entre les acteurs des poids lourds mondiaux qui souhaitent contrôler les marchés des pays africains en cours de mutation. Dans cette optique, afin de gagner des parts de marché, certains constructeurs préfèrent s’implanter localement, ce qui leur permet souvent de bénéficier des marchés de renouvellement des parcs et d’être plus compétitifs grâce aux avantages fiscaux octroyés par les pays d’accueil.
Enfin, ces implantations se justifient aussi par l’existence d’un marché de cette gamme de véhicules en pleine croissance sous l’effet d’un certain nombre de facteurs: nécessité d’un rajeunissement du parc de véhicules industriels très vieillissant et de bus polluants, nécessité de s’adapter aux normes environnementales et notamment le virage vers les moyens de locomotion verts….
Reste que si ces implantations contribuent à la diversification économique et à la création d’emplois, aussi faible soit-elle, il n’en demeure pas moins que se pose avec acuité le problème du taux d’intégration local. En effet, il ne sert presque à rien de parler d’unité de montage de poids lourds ou de bus si toutes les pièces sont importées pour être montées sans aucune valeur ajoutée locale.
Malheureusement, la plupart des unités de montage réalisent un seul type d’assemblage qui consiste en un montage de kits automobile préassemblés, le système SKD (Semi knocked down). Le procédé consiste à monter des véhicules dont les pièces sont déjà reçues et partiellement assemblées. Sur le site du montage, le personnel ne fait que compléter les parties non encore montées.
C’est dire que pour le montage SKD, le niveau du taux d’intégration local est anecdotique. D’où l’intérêt à passer à des unités de montage de type CKD ou Completely Knocked Down. Avec ce système, les composants sont entièrement démontés et l’assemblage final est opéré au niveau du pays africain avec des lots de pièces réceptionnés depuis l’étranger auxquels peuvent s’ajouter des éléments produits locaux dans le but d’atteindre une intégration nationale plus intéressante.
Seulement, du fait de l’absence d’écosystèmes automobiles industriels composé de sous-traitants, de fournisseurs et d’équipementiers automobiles implantés dans les pays africains, il sera difficile d’opter pour le CKD. Il faut dire aussi que les capacités de production ciblées, entre 500 et 10.000 unités, ne favorisent pas l’implantations de fournisseurs et de sous-traitants étrangers. Seuls les pays ayant une histoire industrielle dans le domaine du montage des véhicules industriels, comme le Maroc, l’Afrique du Sud… peuvent prétendre à des unités de montage de type CKD avec de la valeur ajoutée locale en s’appuyant sur une industrie automobile locale relativement développée.
Pour les autres pays, il faut au préalable négocier pour intégrer au fur-et-à mesure du contenu local. Certains pays n’hésitent pas à imposer aux constructeur une certaine dose de contenu local. Ainsi, en Côte d’Ivoire, si le taux d’intégration local des véhicules industriels de l’Indien Ashok Leyland n’a pas été dévoilé, les autorités ivoiriennes ont souligné qu’il bénéficiera d’un accompagnement spécial de l’Etat pour la fabrication sur place de certains composants.
«La Côte d’Ivoire dispose de tous les éléments nécessaires pour la production de pneus, à savoir le pétrole, l’eau, la matière première (le caoutchouc), la technologie et l’accompagnement du ministère de l’Industrie qui a élaboré un livre blanc sur l’industrie automobile. Nous pensions que c’est un pari que nous pouvons réussir», a expliqué le ministre des Transport, Amadou Koné.
Il faut dire qu’avec un peu de volonté, plusieurs composants peuvent être produits localement dans certains pays. C’est le cas des carrosseries de bus, des chaises, des tissus, des revêtements plastiques… A plus ou moyens long terme, certains producteurs de caoutchoucs peuvent aussi attirer les constructeurs mondiaux du secteur des pneus.
En conclusion, l’assemblage de véhicules industriels devrait ouvrir aux pays africains la perspective de remonter les filières afin d’accroître le taux d’intégration et donc la valeur ajoutée locale. La création davantage d’emplois relativement qualifiés s’en trouvera également renforcée.
Avec le 360Afrique