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Aucun des maux actuels de l’Afrique n’a été provoqué par le coronavirus

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(BFI) – La pandémie du coronavirus n’est que révélatrice et accélératrice des maux actuels de l’Afrique. Elle n’en n’est pas la cause.

Le monde s’inquiète du prix du baril de pétrole qui est récemment passé sous la barre de zéro dollar, alors que la crise sanitaire du coronavirus bat son plein. Malheureusement, cette situation est également source d’inquiétude pour toutes les économies africaines, pétrolières ou non. L’on se rend encore compte que la diversification économique (prônée à tue-tête lors des campagnes électorales ou à l’occasion des baisses du prix du pétrole) n’est pas un vain mot ! Et c’est cela qui mettrait à l’abri toute économie rentière. Le monde et l’Afrique avec, vivent aujourd’hui une double crise (sanitaire due au Covid-19 et pétrolière) sur fond d’une crise économique majeure. Les pays africains vont inéluctablement et profondément souffrir de cette crise ; si ce n’est déjà le cas pour ceux dont les recettes budgétaires sont presque entièrement adossées à la rente pétrolière, surtout lorsque la gouvernance sous toutes ses formes fait extrêmement défaut.

Coronavirus et chute du pétrole, révélateurs et accélérateurs

Les variations du prix pétrole sont cycliques, et nos pays ne l’ignorent pas. La baisse actuelle a débuté plusieurs années avant le Covid-19 et elle a déjà des conséquences telluriques pour les pays qui en tirent jusqu’à 80% de leurs recettes. Certains pays qui, en ce moment, sombrent économiquement, socialement et politiquement font du Coronavirus le  »bouc émissaire ». Il importe d’être très clair : aucun des maux actuels de l’Afrique n’a été provoqué par le Coronavirus, leur origine se trouvant dans la crise structurelle qui secoue le continent depuis la décennie des indépendances. Le Covid-19 et la baisse du prix du pétrole en sont les révélateurs et accélérateurs, pas la cause.

La crise du coronavirus, qui a poussé au confinement de près de 4 milliards de personnes, a provoqué une chute de la demande de pétrole de près de 30 Millions de barils/jour (Mb/j). Depuis plusieurs semaines, toutes les places financières mondiales enregistrent de nets replis en raison de la très rapide évolution de cette pandémie économiquement « invalidante ». Les conséquences économiques du « Grand Confinement » également appelé « Récession du Coronavirus », en référence à la « Grande Dépression » de 1929, ne vont épargner aucun continent. Le monde doit s’attendre à une récession comme il n’en a pas connu, en temps de paix, depuis près d’un siècle et les raisons profondes sont plus systémiques que « sanitaire » ou « pétrolière ».

Un « Plan Marshall pour l’Afrique » n’est qu’un leurre !

Mais la pandémie est utilisée comme prétexte par certains dirigeants pour écarter leurs responsabilités ou même se dédouaner de leur très mauvaise gouvernance. Pour les mêmes, c’est l’occasion d’élaborer dans la précipitation et sur aucune base objective, des requêtes de financement de plusieurs milliards de dollars US à soumettre aux traditionnels bailleurs dans le cadre de la riposte contre le Covid-19. Tout est arrêté. La nouvelle trouvaille est le Covid-19. De nouveaux programmes de développement et même un Plan Marshall (plan que le Président Macron – lors du 12ème Sommet du G20 à Hambourg en Allemagne le 8 juillet 2017- a tourné quelque peu en dérision avec des arguments inutilement insultants et méprisants à l’égard des Africains) désormais liés à la riposte contre le Covid-19 sont imaginés, l’essentiel étant d’avoir l’argent. Un « Plan Marshall pour l’Afrique » n’est qu’un leurre ! Il ne serait qu’une autre forme de « Programme d’Ajustement Structurel », qui profiterait aux seules puissances occidentales et qui achèverait de ruiner les États africains.

Sans la sous-estimer, la pandémie a tué à ce jour (19 Mai 2020) 2835 personnes en Afrique, soit une moyenne de 27 décès par jour depuis sa première apparition en Afrique, le 14 Février 2020 en Egypte. Comparaison n’est pas raison, nous sommes très loin de l’hécatombe que nous impose le paludisme (le bilan des morts du paludisme en Afrique subsaharienne est de plus de 3000 décès par jour selon l’OMS à l’occasion de la Journée mondiale du paludisme, le 25 avril dernier). En 2018, six (6) pays africains ont enregistré à eux seuls plus de la moitié des cas de la planète : le Nigeria (25%), la RD Congo (12%), l’Ouganda (5%), la Côte d’Ivoire, le Mozambique et le Niger (4% chacun). Chose à s’en féliciter, les laboratoires sont en compétition pour sortir au plus vite des remèdes et des vaccins contre le Covid-19. Par contre pour le paludisme, personne n’est pressé. Les Africains au sud du Sahara devront encore prendre leur mal en patience. Son traitement n’étant pas la priorité de nos Etats et encore moins rentable dans le business plan des multinationales pharmaceutiques.

Pression sur les pays pétroliers

Dans les économies pétrolières africaines, les marges de manœuvres financières sont extrêmement limitées et le recours à l’emprunt international demeure périlleux, parce-que déjà surendettées. Par manque de vision et d’anticipation, les prévisions budgétaires 2020 de ces pays, ont été élaborées sur la base d’un baril de pétrole entre 50 et 65 dollars US. Et malheureusement, dès le mois de février, le cours du baril a amorcé sa dégringolade et l’une des principales mesures prises dans la précipitation des lois de finances rectificatives, c’est de réindexer les recettes pétrolières sur un prix du baril plus réaliste, entre 20 et 30 dollars US, et aussi de revoir à la baisse la production en rapport avec la décision de l’OPEP+. Les budgets réajustés ont été amputés de plus de moitié par rapport aux prévisions initiales. Afin d’éviter de tomber dans l’abîme, certains ont été contraints d’opérer, en catimini, des coupes drastiques. Le peu de recettes budgétaires qui seront collectées seront malheureusement consacrées à la riposte contre le coronavirus et encore plus grave, les secteurs sociaux de bases (éducation, santé, hydraulique villageoise, salaires des fonctionnaires, …) risquent de souffrir l’assèchement des caisses des Etats.

Dans cette optique, les inégalités et injustices croissantes, pourraient alimenter le mécontentement social et exposer ces pays à des troubles politiques. Voilà donc la triste réalité dans laquelle se trouve beaucoup de pays producteurs de pétrole, particulièrement ceux en déficit de démocratie et de bonne gouvernance.

La reprise pourrait prendre du temps

Du fait de son extrême volatilité, le pétrole est la commodité la plus imprévisible et son cours à moyen et long termes non maîtrisable. Mais il y a lieu de se rappeler que pendant les crises pétrolières, les chocs et les contre-chocs sont souvent violents et brefs, et la reprise prend relativement plus de temps. Cela est d’ailleurs justifiable dans la situation actuelle, au regard de l’abondant stock physique de pétrole entreposé un peu partout dans le monde. Tant qu’il ne sera pas suffisamment déstocké, l’excédent de pétrole va toujours persister sur les marchés et cela ne sera pas de nature à faire remonter les prix du baril dans l’immédiat. Aussi longtemps que va durer le confinement, aussi longtemps que les activités économiques mondiales (transports, industries, tourisme, …) n’auraient pas pleinement repris, la demande en pétrole restera atone et les prix du baril de pétrole (Brent et WTI) n’excéderont certainement pas les 30 dollars US. Aucun pays producteur ne sera épargné ; y compris l’Arabie Saoudite (qui pourtant dispose encore de réserves financières), mais où il est attendu un déficit budgétaire estimé à 50 milliards dollars US. Et comme un malheur ne vient jamais seul, les rites des pèlerinages à La Mecque et à Médine (Oumrah et Hajj) qui sont, après le pétrole, le deuxième pourvoyeur des recettes budgétaires du Royaume sont annulés cette année pour cause de Covid-19 (c’est d’ailleurs la première fois dans l’histoire de l’Islam que cela arrive).

L’enjeu pour tout le monde, serait donc d’élargir, au moins de façon temporaire, cette alliance appelée OPEP+ pour inclure des pays producteurs comme le Canada, le Brésil, la Norvège, le Royaume-Uni, l’Egypte, et peut-être les Etats-Unis (une exigence de la Russie) et demander à chacun de consentir un gros effort de réduction de sa production. Cependant, les efforts de réduction par tous ces pays seront vains et certaines estimations font état d’un besoin de réduction comprise entre 25 et 30%, soit 25 à 30 Mb/j pour faire véritablement remonter les prix du baril. Cette hypothèse est donc quasiment à exclure (sauf miracle !).

Une reprise effective ne semble donc pas être pour demain et je pense personnellement que le salut ne peut venir entre autres que de l’efficacité de la riposte contre le Covid-19, le déconfinement total, la réouverture des frontières aériennes et terrestres de tous les pays, mais aussi l’impossible ultime sacrifice de réduction de tous les pays producteurs. En tout cas, la situation va en cascade, et tout semble sur le point de s’effondrer : économie, société et pire, il est à craindre qu’elle ne génère des troubles socio-politiques dans certains pays. N’étant pas de nature pessimiste, je prie et souhaite bien me tromper dans cette analyse…Mais la situation tant du point de vue sanitaire, qu’économique est très préoccupante, et quoi qu’il arrive, in fine, les séquelles du Covid-19 seront très profondes et douloureuses.

Mahaman Laouan Gaya, ancien Secrétaire Général de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO)

Rédaction
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