(BFI) – Du haut de sa dizaine d’années d’expérience dans l’accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME) en Afrique, le directeur délégué d’Investisseurs & Partenaires (I&P) au Cameroun présente les avantages de ce mode de financement pour les PME et des pistes de solution pour développer le private equity dans le pays. L’ingénieur en maintenance industrielle et productique dévoile aussi la stratégie et les offres de I&P pour augmenter son portefeuille dans le pays, riche de seulement une dizaine d’entreprises dans ce domaine de la finance.
À Investisseurs & Partenaires, vous défendez l’idée selon laquelle le capital-investissement est le mode de financement le plus adapté aux PME du Cameroun. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
Les PME au Cameroun représentent plus de 90% du tissu des entreprises nationales. Elles créent le plus d’emplois localement, contribuent très activement à l’essor de l’économie. Cependant, elles sont les moins bien financées. En effet, prise individuellement, une PME a besoin de financement d’investissement (financement patient) et de financement pour le fonctionnement. De plus, chaque PME a besoin de renforcer sa structuration et d’être accompagnée sur le temps pour améliorer sa gestion.
Mais, force est de constater que le système classique de financement offre beaucoup plus des solutions de financement de fonctionnement, sans accompagner les PME dans leur transformation organisationnelle et managériale. Le capital-investissement vient justement offrir la possibilité de financer les investissements sur le moyen et long terme ; et en plus, accompagne chaque PME dans l’amélioration de sa gouvernance, de sa structuration, de son fonctionnement. D’où le rôle crucial et adapté de ce mode de financement pour les PME du Cameroun.
À combien estimez-vous la taille du marché actuel du private equity au Cameroun ?
Il est très difficile d’avoir une estimation exacte de la taille. Toutefois, on constate que les besoins de financement et d’investissement des PME sont énormes. Nous recevons chaque jour des demandes de financement provenant d’entreprises. On pourrait donc imaginer que la taille du besoin de financement à travers le capital investissement correspond à la taille du besoin d’investissement exprimé par ces PME.
Vous affirmez aussi que ce mode de financement reste encore très peu connu des PME au Cameroun ? Qu’est-ce qui fait problème ?
Le capital-investissement est présent au Cameroun depuis la création de la SNI (1964, NDLR). Cependant, il n’est pas très répandu au sein de la communauté des entrepreneurs pour plusieurs raisons : l’absence d’un nombre important (masse critique) d’acteurs en capital-investissement qui visent uniquement les PME, ce qui réduit la diffusion de ce mode de financement dans l’environnement.
Il y a aussi l’environnement des affaires qui est assez complexe localement et qui peut dissuader un fonds de s’y installer. Le sens de « possessivité » très présent au sein des entrepreneurs au Cameroun qui ne souhaitent pas toujours ouvrir leur capital à des tiers pour partager le risque entrepreneurial est très poussé. Or, un capital-investisseur, par principe, a besoin de prendre des parts/actions au sein de l’entreprise pour pouvoir déployer plus efficacement son modèle de financement-accompagnement de l’entreprise.
De plus, nous avons la faible structuration de certaines filières, la variabilité du système fiscal qui réduit la visibilité sur le moyen et long terme concernant les divers impôts et taxes auxquels seront assujettis les entreprises supportées par le fonds (et de facto la rentabilité du fonds), le fort impact du secteur informel sur notre économie, qui est de nature à rendre difficile la lecture et la traçabilité des activités des entreprises.
Vous avez évoqué plusieurs obstacles au développement du private equity. Commençons par le système fiscal. En quoi sa variabilité est-elle un frein à votre activité ?
Les activités économiques dans un pays ont besoin d’être encadrées. À cet effet, il est tout à fait normal qu’il y’ait un système fiscal pour que chaque entreprise participe de manière active au développement du pays. Néanmoins, la « variabilité » de ce système ainsi que les diverses interprétations possibles des textes du système fiscal peuvent donner une impression d’instabilité du système. Ce qui peut être de nature à ralentir l’implantation des fonds d’investissement, qui ont plutôt besoin de visibilité sur le long terme et donc de stabilité et de maitrise de l’environnement.
Que peut-on faire pour faire améliorer les choses ?
Je pense qu’il est très utile que les acteurs de l’économie (entrepreneurs, investisseurs, gouvernement, institutions financières, etc.) amplifient les travaux de collaboration pour continuer d’améliorer le système et l’environnement des affaires au Cameroun. Ceci pour dire que bien qu’il y’ait eu de bonnes avancées sur le plan fiscal et l’environnement des affaires, il existe encore des zones d’amélioration pour tendre vers la perfection ; une perfection qui bénéficiera à tous les acteurs et principalement à l’économie camerounaise.
La majorité des PME camerounaises sont des entreprises familiales, et comme vous l’avez indiqué, généralement réticentes à ouvrir leur capital. Comment leur faire changer d’avis ?
Nous partageons ce constat. Toutefois, nous assistons aussi de plus en plus à une diminution de ces réticences. Car, les jeunes générations qui prennent le relais dans la gestion des affaires sont plus ouvertes au partage du risque et donc à une ouverture du capital. Pour autant, il faut que cela soit bien encadré et que les droits des parties soient bien protégés.
Cela dit, il faudrait augmenter la sensibilisation et même la formation des entreprises sur les avantages du capital-investissement (solidité financière, meilleure gouvernance, meilleure structuration, contribution à la pérennisation des entreprises, etc.), sans toutefois omettre de présenter certaines des contraintes qui vont avec.
De plus, il faut renforcer la formation des étudiants et apprenants sur ce mode de financement. Car, ce sont eux qui, demain, assureront la gestion des entreprises (fussent-elles familiales). Enfin, il faut avoir des « success stories » qui peuvent témoigner de la vie avec un capital-investisseur. Bien entendu, ce sont des pistes qui ne sont pas exhaustives.
Justement, I&P est présent au Cameroun depuis plusieurs années. Quels sont vos success-stories ?
À ce jour, Investisseurs et Partenaires a investi dans diverses entreprises qui présentent de belles réalisations et performances ; que ce soit dans l’éducation, la finance ou l’informatique, pour ne citer que ces quelques secteurs. Nous sommes fiers d’accompagner des entreprises dans ces secteurs, qui au-delà des réalisations économiques, réalisent aussi de belles performances sociales (création d’emplois, amélioration de la qualité des emplois existants), et sont devenues mieux structurées en termes d’organisation interne et de gouvernance.
Dans des pays comme le Maroc, tout un guide a été élaboré pour sensibiliser les entrepreneurs au capital-investissement. Avez-vous pensé à dupliquer une telle initiative au Cameroun ?
C’est une bonne initiative que d’avoir élaboré un tel guide comme c’est le cas au Maroc. Ce type d’action peut effectivement être dupliqué au Cameroun, avec tout de même un penchant vers la démonstration. Car, une des tendances que nous remarquons c’est que les entrepreneurs locaux sont plus intéressés à ce qu’ils voient, testent, discutent.
À cet effet, Investisseurs & Partenaires a organisé le 21 juillet 2021 un évènement axé sur le financement et les modes d’accompagnement des PME au Cameroun, à la Chambre de Commerce (CCIMA) à Douala-Bonanjo. Nous avons présenté à la centaine d’entrepreneurs présents : le mode innovant de financement d’amorçage des PME développé par I&P au Cameroun, à savoir le programme I&P Accélération au Sahel, entièrement sponsorisé par l’Union européenne. Ce financement s’adresse aux jeunes entreprises, et consiste à octroyer un montant maximum de 40 millions de FCFA à l’entreprise, à 0% de taux d’intérêt, sans garantie, sous forme d’avance remboursable, à rembourser sur une durée maximale de deux ans.
En plus de ce mode de financement d’amorçage, les participants ont été édifiés sur l’apport stratégique d’un fonds d’investissement et la contribution du capital investissement pour pérenniser une entreprise. Au sortir de cet évènement, l’étude de dossier d’une dizaine d’entreprises est déjà en cours pour un financement.
Vous l’avez dit, le niveau d’informalité des PME est un frein à l’accès au financement. Mais à I&P, vous voyez le secteur informel comme une opportunité. Expliquez-nous cela…
Selon certaines statistiques, le secteur informel contribue à plus de 50% à l’économie du Cameroun et son fonctionnement. Il représente en lui seul une mine d’or pour renforcer et consolider notre économie. En travaillant à sortir progressivement les entreprises du secteur informel, il va de soi qu’il sera plus aisé pour les acteurs et même le gouvernement de mieux bâtir des stratégies fiables de financement et de croissance de l’économie. Toutefois, il faut noter que I&P finance les entreprises qui ont une activité formelle, et nous encourageons fortement les entrepreneurs à renforcer leur formalisation, pour faciliter l’accès au financement que nous apportons.
Certains experts présentent aussi le private equity comme un levier pour attirer les investissements directs étrangers (IDE). Vous qui avez séjourné dans plusieurs pays d’Afrique, avez-vous eu le sentiment qu’on en a conscience sur le continent ?
Le private equity est bien développé en Afrique. Que ce soit en Afrique de l’Ouest, de l’Est ou en Afrique du Nord. Plusieurs fonds d’investissement actifs en Afrique lèvent leurs ressources financières auprès de plusieurs acteurs, y compris des institutions étrangères. En cela, à travers le private equity, on assiste à des investissements dont certaines ressources financières proviennent aussi de l’étranger ; mais il me semble qu’il ne s’agit pas fondamentalement des IDE dans ce cas. Par contre, si à travers le capital-investissement, les pays en Afrique sont capables d’améliorer la compétitivité de leurs économies, on peut très bien imaginer qu’on pourrait assister à une croissance plus accélérée des IDE sur le continent.
On voit se développer au Cameroun le financement participatif. Comment le capital-investisseur que vous êtes observe-t-il cette dynamique ?
C’est avec beaucoup d’intérêt que j’observe cette dynamique. Ce mode de financement (participatif) permet à plusieurs entreprises d’obtenir des financements qu’elles n’auraient parfois pas obtenus dans un système de financement classique. Le système classique ne pouvant pas faire entièrement face à la demande. À travers ce mode de financement, on assiste à une mutualisation des efforts individuels pour la réussite d’un projet ou d’une entreprise, dont les contributeurs sont convaincus de la viabilité. C’est un bel exemple de partage de risque.
Toutefois, je note qu’il existe des challenges de réglementation locale face à ce mode de financement (qui est très répandu sous d’autres cieux). Je suis néanmoins convaincu que le gouvernement travaille ardemment pour bien encadrer cette dynamique, afin de permettre que ce mode de financement alternatif puisse contribuer efficacement au développement de notre économie.
In Investir au Cameroun