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Sommes-nous aux aurores des guerres de l’eau ?

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(BFI) – Le monde a traversé plusieurs ères, chacune marquée par un ensemble de faits historiques majeurs, avec des conséquences diverses. Le début du vingt et unième siècle a été marqué lui aussi par des transformations importantes, qui ont justifié une mobilisation intergouvernementale autour de ces véritables « challenges » de cette époque. Ainsi a-t-on assisté à la naissance des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), qui représentait en fait un plan approuvé par tous les pays du monde et par toutes les grandes institutions mondiales de développement.

Adoptés en 2000 à New York avec la Déclaration du millénaire de l’Organisation des Nations unies par 193 États membres de l’ONU, et au moins 23 organisations internationales qui sont convenus de les atteindre pour 2015, ces objectifs portaient (entre autres) sur des thématiques comme l’extrême pauvreté, l’éducation primaire pour tous, la réduction de la mortalité infantile, la défense de l’environnement…etc.

Cette logique de mobilisation s’est renforcée, et c’est ainsi qu’a ensuite été formulé un appel mondial pour l’action contre la pauvreté et la protection de la planète en 2015, visant in fine la paix et la prospérité pour tous d’ici 2030. Cet appel est décliné en 17 objectifs dits de développement Durable (ODD), qui portent sur un périmètre de thématiques plus large que celui des OMD.

Le sixième Objectif de développement durable (ODD) qui concerne « l’eau propre et l’assainissement », traite d’un enjeu majeur de notre temps et nécessite qu’on s’y appesantisse. En effet selon les chiffres de l’ONU, 2,4 milliards de personnes sont privées des services de base comme les latrines, et 1,8 milliard consomment de l’eau contaminée. En plus, 40 % de la population mondiale est concernée par le manque d’eau, dans un environnement où la pollution des cours d’eaux par les activités humaines est croissante. C’est dire que l’eau est devenue un objet de compétition mondiale, et si rien n’est fait, l’on assistera un ensemble de catastrophes et de conflits sans précédent.

De la réalité d’une urgence mondiale

Rappelons tout d’abord que selon un rapport de l’ONU, d’ici 2025 deux tiers de la population mondiale vivront dans les régions où l’eau douce est rare. Le même rapport souligne que d’ici 2040, la majorité de la population mondiale ne pourra plus satisfaire ses besoins en eau. A cela s’ajoute l’assèchement plutôt rapide de plusieurs cours d’eau dans le monde, et l’accélération des externalités négatives des changements climatiques. De nos jours, le NIL, le

Colorado, le Tigre, l’Indus, le Gange et l’Euphrate sont les plus touchés.

Cela permet déjà d’entrevoir les impacts d’une telle situation sur la nutrition, l’approvisionnement en énergie et sur bien d’autres domaines, dans les régions d’Afrique du Nord, d’Asie centrale, et d’Asie du Sud. Doit-on rappeler qu’il s’agit de zones où les populations sont en pleine croissance, et où sont utilisées plus de 80% de l’eau douce annuellement disponible ? La rareté de la ressource en eau attise donc un ensemble de rivalités entre états, qui pourraient déboucher sur de véritables « guerres de l’eau ».

De la récurrence des oppositions au sujet de l’eau

La montée des tensions au sujet des ressources en eau s’est intensifiée ces dernières années, et nous présentons ici quelques cas réels.

Egypte et Éthiopie

L’Égypte est le troisième pays le plus peuplé d’Afrique derrière le Nigeria et l’Éthiopie en 2020, avec 102 millions d’habitants. Véritable pont entre l’Afrique du Nord-Est et le Moyen-Orient, ce pays est situé sur la côte sud de la Méditerranée orientale. L’Égypte est ouverte sur la mer Méditerranée au nord et sur la mer Rouge à l’est. Bordée à l’ouest par la Libye et au sud par le Soudan, l’Égypte s’étend à l’extrémité orientale de l’Afrique du Nord et se prolonge sur le continent asiatique par le Sinaï.

Du point de vue de l’hydrographie, les crues régulières du NIL ont fertilisé les terres égyptiennes depuis des millénaires et permis le peuplement de cette région désertique. Le NIL pénètre en Égypte par le Soudan et remonte vers le nord sur 1 280 km pour se jeter dans la Méditerranée. Parlant de la faune, le crocodile et l’hippopotame autrefois répandus dans toute la vallée du Nil, sont désormais cantonnés dans la haute vallée du Nil. Aussi, une centaine d’espèces de poissons se pêchent dans le Nil et les lacs du delta. Du point de vue du relief, moins de 10% du territoire égyptien est habité et cultivé. Il s’agit de la vallée et du delta du Nil, auxquels s’ajoutent les oasis occidentales.

L’Éthiopie quant à elle est située sur la Corne de l’Afrique, est un état d’Afrique orientale limité au sud par le Kenya, au sud-ouest par le Soudan du Sud, à l’ouest par le Soudan, au nord par l’Érythrée, à l’Est par la Somalie et Djibouti. Pays au relief élevé (Simien ou Ras Dachan : 4 620 m), l’Éthiopie sépare la vallée du Nil soudanais du fossé de la mer Rouge et isole la Somalie de l’Afrique arabe. Son réseau hydrographique comprend plusieurs bassins, parmi lesquels celui du NIL Bleu ou Abbaï.

Historiquement, l’Egypte a considéré le NIL comme sa propriété exclusive. Seulement, il faut dire qu’il y a dix autres pays situés dans le bassin versant du NIL, qui ne profitent pas comme ils le souhaiteraient des opportunités qu’offre cette position géographique. C’est ainsi que sont nées un ensemble de pressions à partir du XX siècle, visant à modifier le quasi-monopole de l’Egypte sur le NIL.

Le projet du barrage de la renaissance, bien que véritable illustration de la période de prospérité que vit l’Ethiopie, demeure tout de même un sujet irritant entre Ethiopie et Egypte. En effet, ce projet par lequel le pays accélère sa croissance et satisfait ses besoins énergétiques est situé sur le NIL bleu, l’affluent du NIL qui soutient plus de 80% de son débit. La conséquence directe de cet état de choses, est que l’approvisionnement de l’Egypte en eau douce se retrouve menacé, dans un contexte où sa population ne cesse de croitre. D’ailleurs, les prévisions situent cette dernière à 151 millions d’habitants en 2050. Les négociations sont devenues difficiles, et les forces en présence n’excluent pas la possibilité de faire intervenir leurs armées respectives.

Inde et Pakistan

L’Inde est un immense pays du Sud de l’Asie, dont l’histoire remonte à 5 millénaires. Cet État d’Asie méridionale est baigné à l’ouest par la mer d’Arabie, à l’est par le golfe du Bengale, et limité au nord-ouest par le Pakistan, au nord par la Chine, le Népal et le Bhoutan, au nord-est par le Bangladesh et la Birmanie. Le Pakistan une république islamique d’Asie du Sud entourée par l’Iran, l’Afghanistan, la Chine, l’Inde et la mer d’Arabie.

Ces deux pays ont en commun leur précarité en matière d’eau douce. Au rang des divers sujets pour lesquels ils s’opposent figure en bonne place le contrôle de l’Indus. Il s’agit du fleuve d’Asie qui a donné son nom à l’Inde, et qui coule depuis l’Himalaya en direction du sud-ouest, et se jette dans la mer d’Oman. Plus précisément, l’Indus parcoure les paysages indo-pakistanais sur plus de 3 000 km, prend sa source dans les hauteurs du plateau tibétain, traverse le Pakistan du Nord au Sud avant de se jeter dans la mer d’Arabie. L’Indus fait partie des sept rivières sacrées de l’Inde.

Historiquement après la partition des Indes par le royaume Uni en 1947, le Pakistan perd l’emprise sur la source du fleuve. Il faut dire que le système d’irrigation du Pakistan qui est nécessaire pour son agriculture, dépend entièrement de l’Indus. Les secteurs irrigués du Sud et surtout du Nord-Est (Pendjab) du Pakistan, correspondant à la plaine alluviale de l’Indus et de ses affluents, constituent les parties vitales du Pakistan. Ils fournissent du blé, du riz et du coton (principal produit d’exportation et base de la seule industrie notable, le textile), et par conséquent contribuent à faire reculer la pauvreté et la faim dans ce pays.

En 1960, la Banque mondiale réussit à négocier un traité qui confère à chaque partie prenante, le contrôle de 3 des 6 rivières qui fondent la source de l’Indus dans le Cachemire. La conséquence de ce traité est que le Pakistan profite désormais de 80% du débit du fleuve, et l’Inde de 20%. Aussi, le traité prévoit que l’Inde bénéficie d’un usage illimité de l’Indus, pour les activités telles que la pêche, la navigation.

L’Inde estime que ces mesurent donnent assez davantage au Pakistan, et cela fait monter le ton entre les deux états. Ces derniers n’hésitant pas à menacer de saboter le système de Gestion de l’eau.

Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizstan

La vallée de Ferghana est entourée de montagnes, au sud par la chaîne du Pamir, dont plusieurs pics culminent à 7 000 mètres, au nord et à l’ouest par d’autres massifs, qui la protègent du rude climat du désert et de la sécheresse des steppes. Sur ce territoire de 22 000 km2, véritable carrefour politique de l’Asie centrale, vivent quatorze millions de personnes. Cela représente la plus importante densité de population de cette sous-région. Cette dernière est un lieu propice à la culture du coton, activité non moins importante dans l’économie de chacun des trois pays partageant la vallée.

Selon une publication parue en mai 1999 dans le journal le monde Diplomatique, la vallée est décrite comme : « un lieu de discorde : partagé entre l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan, découpé en d’innombrables enclaves propices aux conflits frontaliers, c’est un foyer de tensions ethniques, de querelles autour de l’eau et du partage des terres, de trafics d’armes et de drogues ».

En effet la vallée de Ferghana est divisée en trois Républiques, où la lutte pour le contrôle des ressources en général et l’eau en particulier, (terre, eau, etc.) s’intensifie. Aussi l’ambition Tadjikistanaise de construire le plus haut barrage du monde, en menaçant l’économie et l’environnement du bassin de la mer d’Aral, ne fait que renforcer ces rivalités géopolitiques. Les affrontements réguliers entre les groupes au sujet de la gestion, nous portent à penser que nous sommes à l’aube d’une crise majeure si rien n’est fait.

Syrie Et Turquie

Le Tigre est un fleuve de Mésopotamie long de 1 900 km, qui prend sa source en Turquie. L’Euphrate quant à lui, est un fleuve d’Asie de 2 780 km de long. Ces deux fleuves prennent leur source en Turquie, et parcourent la Syrie et l’Irak pour se jeter dans le Golfe Persique par le delta du Chatt-el-Arab. Consciente de cet atout géographique, la Turquie a engagé un ensemble de projets infrastructurels impactant ces fleuves. En effet elle est passée de la construction des réservoirs d’irrigation permettant de faciliter le développement de l’agriculture et la lutte contre les inondations, à la construction de grands barrages hydroélectriques, visant à satisfaire les besoins en énergie de sa population.

La pomme de discorde nait du fait que les pays en aval ne sont pas pris en compte par ces projets infrastructurels, et l’impact direct est la diminution du débit naturel à leur niveau. Cette dernière est de l’ordre de 50% pour le Tigre et 70% pour l’Euphrate. Il faut rappeler que cela se produit dans un contexte où la demande totale en eau de la Turquie, Syrie et Irak représente 107% du potentiel du Tigre, et 147% de celui de l’Euphrate. La Syrie étant l’un des pays les plus secs du monde, se retrouve fortement impactée par ces initiatives Turques. Elle a traversé des périodes de sécheresse, occasionnant la perte de 85% du bétail, entrainant par ricochet la faillite de 75% des fermes du pays. L’exode rural en masse des éleveurs qui s’en est suivi, n’a fait que fragilisé ce pays déjà en proie aux menaces des groupes islamistes et aux tensions sociales.

L’ensemble de négociations initiées pour trouver un consensus entre les pays de cette zone au sujet de l’eau, n’ont jusque-là pas réussi, à apaiser les tensions.

L’impératif d’action dans un contexte mondial de Vulnérabilité

Dans cette période post Covid19 où l’activité économique mondiale tente de retrouver sa vitesse de croisière, survient une double crise qui est tant militaire qu’énergétique. En effet depuis février 2022 avec l’invasion à grande échelle en Ukraine, la vulnérabilité s’étend aux chaines globales de valeur et aux systèmes agroalimentaires. C’est dire que la planète entière est à la recherche de solutions, alors que ses capacités d’adaptation et alternatives sont de plus en plus questionnées.

L’heure est donc à l’action, et les initiatives à entreprendre devraient prioritairement impacter les domaines comme la sécurité alimentaire, la santé, l’accès à l’eau pour tous, dans le respect de l’environnement et la lutte contre les changements climatiques, pour in fine générer de la croissance économique.

Seulement la condition pour la matérialisation d’une telle vision, passe par la mise en place de cadres de concertation internationaux, visant à mobiliser les acteurs (Etats, partenaires multilatéraux, ONG environnementales, Centres de recherche, secteur privé…etc.) autour de ces questions dont dépend la stabilité du monde.

La thématique de l’eau dans le monde devrait connaître un niveau de mobilisation internationale, au moins semblable à celui observé pour la lutte contre les pandémies telles que le VIH/SIDA ou le Covid 19. Il s’agit plus que jamais d’un enjeu majeur de cette époque, et nous sommes tentés de penser que l’accès à l’eau déterminera un grand nombre de choix stratégiques du monde de demain.

L’heure est plus que jamais à l’action, pour l’accès à l’eau pour tous.

Par Joseph Helmut ESSONO, Cadre de Banque & Expert en Management de Projets

Rédaction
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2 Commentaires

  1. Via ce texte, j’apprends des choses!
    Un véritable travail de recherche, pointu et hautement fourni.
    Merci Monsieur ESSONO pour cette œuvre.

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