(BFI) – Si l’on s’accorde sur le fait qu’un manager est celui qui ne jure que par la performance à travers entre autres, les résultats de son labeur, sa détermination, sa vision et son esprit de créativité, il serait important de considérer également sa capacité à développer les intelligences et la performance de ses collaborateurs. Car s’il est vrai que la réussite du manager est retentissante, il est d’autant plus avéré que la progression de ceux qui l’entourent est un élément fort important de son succès. Brice Beumo puisqu’il s’agit de lui, est le fondateur et Directeur Général de BEKO CAPITAL ADVISORY S.A, une institution financière panafricaine agréée et régulée par la COSUMAF en qualité de société de bourse dans la zone CEMAC. Il a plus de 20 ans d’expérience dans le développement des affaires, le marché des capitaux, le financement de projets et la gestion de fonds en Afrique subsaharienne avec une expertise indéniable dans la couverture et l’exécution de transactions ou projets d’une valeur de plus de 2 milliards de dollars.
Brice a occupé plusieurs postes de direction dans le secteur financier, notamment celui de directeur général chez Eaglestone Advisory BV à Londres, où il couvrait l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique centrale, les pays francophones et les transactions sur le marché des capitaux en Afrique subsaharienne. Brice a également occupé des postes de direction chez BMCE Bank International, Ecobank Development Corporation, Renaissance Capital et Iroko Securities (FMO Holding Company). Il est actuellement président tournant du conseil consultatif de la Developing Market Association (DMA INVEST) au Royaume-Uni, l’un des principaux organismes de promotion du commerce et de l’investissement pour les économies en dehors du G20. Il est également membre du conseil d’administration de UBA CAMEROUN PLC et ancien consultant de Delarue, le plus grand imprimeur commercial de billets de banque au monde. Brice est titulaire d’un ‘Master of Arts in International Business and Administration’’ obtenu à l’Université de Westminster (Royaume-Uni).
Dans cette interview exclusive accordée à Business & Finance International, Brice Beumo ressort les clés du développement du marché financier de la CEMAC dont il maîtrise les rouages.
- En 2022, Beko Capital Advisory a été mandaté en qualité d’arrangeur et co-chef de file par la République du Tchad pour structurer son emprunt obligataire de 100 milliards de Fcfa. Ce fut une belle expérience pour vous, moins de deux ans seulement après le lancement de vos activités en qualité de société de bourse. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’était effectivement une très belle expérience, nous avons pu en collaboration avec les autres co-arrangeurs accompagner l’Etat du Tchad -sans track record significatif sur le marché financier- et qui n’y était pas revenu depuis près de 15 ans à mobiliser 100 milliards de FCFA.
Cette opération n’a pas été un exercice facile mais grâce aux actions concertées avec Afriland Bourse, CBT Tchad et AFG Bourse, nous avons pu mobiliser et obtenir une sursouscription de plus de 100 milliards de FCFA mais l’Etat du Tchad a décidé de retenir 100 milliards, montant initialement sollicité dans le cadre de cette émission.
A la suite de cette opération nous pouvons dire sans risque de nous tromper, que ce retour de l’Etat du Tchad sur le marché lui a permis d’améliorer sa signature auprès des investisseurs et pour nous conforter dans ce que nous disions déjà à l’époque, l’Etat du Tchad a reçu une notation souveraine B- de FITCH et de S&P.
- Pour mobiliser 200 milliards de Fcfa, le Gabon a une fois de plus fait confiance aux sociétés de bourse camerounaises dans le cadre de son emprunt obligataire « EOG MULTI-TRANCHES 2024-2030 » émis le 27 mai dernier, notamment BEM Securities et ASCA. Beko Capital Advisory y a contribué en tant qu’agent placeur. C’est quoi un agent placeur et quel a été votre rôle dans le cadre de cette opération ?
Dans le cadre de cette opération nous avons été agent placeur donc membre du syndicat de placement et avons pu à ce titre mobiliser environ 2,250 milliards XAF.
Un agent placeur est un intermédiaire financier qui se charge de la distribution ou de la vente des titres qui sont émis dans le cadre d’un emprunt obligataire ou d’une introduction en bourse. De manière concrète, dans le cadre de l’emprunt obligataire dénommée « EOG MULTI-TRANCHES 2024-2030 » lorsque BEM Securities a reçu le mandat, elle a fait jouer son réseau en suscitant l’intérêt des Sociétés de Bourse et banques de la sous-région CEMAC afin de maximiser les prises de participation pour la réalisation de cet emprunt. C’est une manière de faire participer tout le monde et s’assurer que nous touchons un éventail assez large d’investisseurs pour que l’opération soit une réussite et dans le cas d’espèce, l’arrangeur BEM Securities avait annoncé le succès de l’opération.
La réussite de cette opération a permis de démontrer que, malgré la transition politique au Gabon qui aurait pu susciter une certaine réticence des investisseurs, l’emprunt s’est plutôt déroulé dans de bonnes conditions, puisqu’en dépit de tout le pays est resté stable, la transition politique s’est faite « pacifiquement » avec une continuité des services de l’Etat et les échéances de remboursement sont honorés.

- Avec plus de 10 ans de services dans le marché des capitaux, quelles sont les particularités d’un emprunt obligataire de ce type ?
Un emprunt obligataire répond à plusieurs particularités. En fonction du risque-pays, les emprunts se suivent et ne se ressemblent pas.
Cependant, lorsqu’un pays a une notation souveraine, il est plus aisé pour lui de faire des émissions d’emprunt obligataire et d’obtenir le maximum de souscription auprès d’investisseurs. Dans la sous-région, certains pays ont des notations souveraines notamment le Cameroun et le Tchad avec un B-, le Congo un triple C avec un risque de défaut imminent. En revanche d’autres pays tels la Guinée Equatoriale et la République centrafricaine n’en dispose pas encore.
Fort de mon expérience, je dirais que le marché financier en Zone CEMAC quoiqu’en pleine expansion, demeure embryonnaire car il n’a pas encore atteint le niveau de volume qu’on retrouve dans les marchés financiers en Côte d’Ivoire ou en Afrique de l’Est encore moins au Nigeria ou en Afrique du Sud. Chaque année nous avons au moins un ou deux Etats qui viennent sur le marché pour l’animer surtout sur le compartiment des obligations mais ce que nous déplorons c’est le fait que le marché des actions qui dynamise la plupart des grands marchés ne soit pas encore développé. Nous déplorons aussi le fait que les opportunités d’investissements ne soient pas assez larges pour les investisseurs, ces derniers souscrivent à des emprunts obligataires et font ce que nous appelons du « Buy and Hold » c’est-à-dire qu’ils achètent et conservent ces titres jusqu’à maturité, parce qu’ils n’ont pas d’alternatives pour les replacer sur le marché secondaire qui est quasi inexistant.
A contrario dans les pays développés, c’est le marché secondaire qui dynamise le secteur boursier car c’est là ou s’échangent les opportunités. Mais aujourd’hui nous avons un système où les banques sont en surliquidité, les assurances ne savent pas où placer leur argent et lorsqu’il y a une opportunité, tout le monde se déploie sur le marché primaire pour y investir. Par conséquent il y a peu d’opportunités, les prix sont élevés et l’investisseur qui acquiert des titres les conserve jusqu’à maturité. Pourtant le marché secondaire se dynamiserait naturellement s’il y avait une surabondance d’offres sur ce dernier.
En outre, le marché secondaire n’est pas suffisamment développé par ce que nous n’avons pas encore de réelle plateforme de communication entre les sociétés de bourse et les investisseurs afin de pouvoir échanger les titres et présenter les opportunités d’investissement sur le marché. Nous avons pourtant une panoplie de textes bien structurés pour règlementer ce marché, mais l’absence de technologie idoine cumulé au manque volonté politique et de résistance institutionnelle viennent amoindrir l’expansion de ce marché.
- Aujourd’hui comment peut-on présenter Beko Capital Advisory sur le marché financier de l’Afrique centrale ?
Beko Capital Advisory se présente aujourd’hui comme une société d’intermédiation et de courtage dynamique, innovante et à vocation internationale. Beko Capital Advisory a cette particularité d’ouvrir ce marché aux investisseurs internationaux. On oublie toujours que l’agrément délivré aux sociétés de bourse par la COSUMAF englobe trois principaux volets, notamment le conseil financier, l’intermédiation et la conservation des titres.
Sur le volet conseil, nous avons démontré par nos états de services que nous avons un volume d’activités largement au-dessus de celles des autres intermédiaires de marché nous intervenons auprès des sociétés locales et des multinationales pour faciliter leur accès aux marchés des capitaux ou aux leviers de financement en zone subsaharienne. Sur le volet intermédiation comme sur le volet conservation des titres, nous jouons aussi bien notre partition comme les autres sociétés de bourse mais en matière de conseil, nous estimons réaliser aujourd’hui la part de marché la plus importante.
- Quelles sont les opérations d’envergure que vous avez déjà réalisées depuis le lancement de vos activités en 2018 ?
Pour des opérations d’envergure, il y en a plusieurs mais je ne citerais que quelques-unes. Tout récemment, nous avons structuré et facilité l’opération de vente de l’hôtel IBIS appartenant à un fonds d’investissement Sud-Africain au profit d’un opérateur économique local. Comme précédemment mentionné, nous avons structuré le dernier emprunt obligataire du Tchad, et nous avons en plus des autres opérations effectuées au quotidien sur le marché, participé en qualité d’agent placeur à l’emprunt du Gabon.
- Quelles sont les perspectives de croissance de ce marché et comment Beko Capital Advisory compte-t-il en tirer meilleur parti ?
Le marché financier d’Afrique Centrale présente des perspectives importantes, mais son développement dépendra de la capacité des pays de la région à surmonter les défis structurels et à s’intégrer davantage dans les circuits financiers mondiaux. Les perspectives de croissance du marché financier de la CEMAC sont d’organiser et développer davantage le marché secondaire. Nous essayons de mettre en place une plateforme qui permettra aux acteurs du marché de communiquer entre eux et ensuite d’amener le plus grand nombre d’Etats à émettre sur le marché financier.
En termes de croissance, nous allons continuer à faire ce que nous savons faire le mieux c’est-à-dire, inciter les multinationales à investir dans notre marché pour qu’il se dynamise et que nous puissions nous rapprocher progressivement de ce qui est visible dans les marchés plus développés.
- Beko Capital Advisory a-t-il des projets d’expansion en Afrique ?
Oui, nous avons des projets d’expansion en Afrique du Sud parce que nous avons beaucoup d’investisseurs Sud-africains qui viennent en Afrique Centrale et nous pensons que la prochaine étape sera d’y ouvrir un bureau pour permettre à ces investisseurs de mieux comprendre la région CEMAC et ainsi nous pourrons nous positionner comme facilitateur auprès de ces investisseurs pour accéder à notre marché financier.
- En tant qu’acteur et spécialiste des marchés financiers, quel est votre regard sur le marché financier de l’Afrique centrale en général? Ce marché est-il prometteur ?
Oui, je pense qu’il est prometteur car il y a des réformes qui ont été faites de manière institutionnelle par le régulateur et qui vont dans le bon sens. On devrait faire un peu plus comme je l’ai dit supra c’est-à-dire développer le marché secondaire, ce qui pourrait être un élément déclencheur du développement effectif de ce marché. Comme déjà mentionné, s’il n’y a pas de bourse, il n’y a pas de marché secondaire organisé et tant que nous n’aurons pas d’outils de communication permettant de rendre le marché secondaire attractif et viable, nous resterons sur un marché primaire avec des prix élevés parce qu’il n’y a pas d’opportunités sur le marché secondaire.
Pour conclure, le marché financier de l’Afrique Centrale a un fort potentiel mais requiert une transformation structurelle et une volonté de toutes les parties prenantes pour devenir un levier de développement économique. Si ces défis sont relevés, il pourrait devenir une plateforme privilégiée pour les investisseurs locaux et internationaux.
Interview réalisée par Bertrand Abegoumegne