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Roger Ngaya, CEO de Strategy: « C’est dans l’intérêt de la Chine de suspendre le service de la dette du Cameroun»

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(BFI) – L’absence de la Chine, même dans la liste des observateurs, des premiers accords conclus entre des pays en voie de développement et leurs créanciers membres du Club de Paris, pour l’application du moratoire sur le service de la dette des huit derniers mois de 2020, questionne la volonté réelle de Pékin à mettre en œuvre cette décision du G20. Il faut dire qu’à l’observation, certaines dispositions de l’initiative des 19 pays les plus industrialisés du monde plus l’Union européenne pourraient contrarier certains intérêts chinois.

Les appréhensions sont notamment entretenues, pour ce qui est du cas du Cameroun, par le fait que le pays a déjà bénéficié, en juillet 2019, d’une restructuration de la dette due à Eximbank. Selon le ministère camerounais de l’Économie, la banque publique chinoise d’import-export a en effet accepté de rééchelonner 70 % de la somme (intérêts non compris) que devrait lui rembourser le Cameroun sur la période allant de juillet 2019 à mars 2022. Cet argent, qui concerne 22 projets de son portefeuille dans le pays, est estimé à environ 150 milliards FCFA. Cette dette sera finalement payée « au cours des années suivantes pendant la période d’échéance restante », informe le Fonds monétaire international (FMI) dans son rapport de février 2020 sur le Cameroun.

Au moment où Yaoundé et Pékin sont en négociations (une visioconférence entre les parties s’est tenue le 26 mai dernier), le patron de Strategy, une agence de communication financière et corporate proche des milieux diplomatiques et d’affaires chinois, analyse l’état d’esprit de l’Empire du Milieu. Consultant pour nombre d’entreprises chinoises (CHEC, TBEA, Hôtel Hualian…), l’expert en finance internationale trace par ailleurs les lignes de la coopération Chine-Cameroun post-Covid-19.

Comment Pékin accueille-t-elle la décision du G20 d’accorder un moratoire sur le service de la dette des pays en voie de développement ?

Les officiels Chinois se sont longuement exprimés sur la question, estimant que l’initiative est certes à encourager, mais n’est pas suffisante. Pékin a accepté de geler pour six mois renouvelables la dette d’une quarantaine de pays africains. Le 24 mai 2020, lors d’une conférence de presse, à l’occasion de la 3e session annuelle de la 13e assemblée populaire nationale, le conseiller d’État et ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, répondant à une question d’un journaliste de Middle East News Agency sur l’aide de la Chine à l’Afrique relativement à la crise coronarienne a déclaré : « La Chine travaillera activement à la mise en œuvre de l’initiative de la suspension du service de la dette du G20, pour alléger le fardeau des pays africains et envisagera d’accorder un soutien supplémentaire par voie bilatérale aux pays africains confrontés à de grandes difficultés ».

Pour bénéficier de cette initiative, les pays doivent s’engager à « communiquer tous les engagements financiers (dette) du secteur public ». Certains analystes estiment que cette disposition vise particulièrement la Chine régulièrement accusée d’entretenir l’opacité sur ses créances sur les pays du continent. Quel est votre avis ?

C’est une façon simpliste d’analyser la situation. Les engagements financiers entre États s’inscrivent dans une dimension stratégique où les acteurs font en permanence un arbitrage entre le coût de l’opacité et le gain de la transparence. Les autres pays du G20 redoutent que la suspension du service de la dette renforce les capacités d’endettement des pays récipiendaires qui pourraient se tourner vers la Chine par préférence des prêts bonifiés aux prêts « conditionnés ». Cette disposition vise également les pays bénéficiaires qui doivent consacrer ces sommes à leurs dépenses d’urgence et non par exemple au remboursement d’autres créanciers. 

À votre avis, comment cette disposition est-elle perçue en Chine ?

La Chine est consciente de la nécessite de travailler conjointement avec la communauté internationale sur la question de la dette des pays en développement. L’obligation de transparence ne constitue pas le véritable point d’achoppement. Pékin n’est tout simplement pas prêt à rejoindre les standards occidentaux en matière de prêts. À titre d’exemple, pour la Chine, les conditionnalités comme la protection des droits de l’Homme et les problèmes de gouvernance des pays récipiendaires relèvent des affaires intérieures. Elles ne peuvent être considérées comme une exigence pour l’obtention d’un prêt en vertu d’un des piliers fondamentaux de la politique étrangère chinoise à savoir la non-intervention dans les affaires intérieures des partenaires. De plus, les prêts chinois comportent généralement des obligations commerciales sensibles. Pour réussir « les appels de données » qui précèdent les restructurations des dettes, il faut un partage des critères communs d’octroi de crédits pour poser les bases d’une initiative pour la transparence de la dette.

Pensez-vous, comme d’autres, que Pékin sera, par ailleurs, le plus grand perdant du renoncement à contracter de nouvelles dettes non concessionnelles pendant la période de suspension, exigé aux pays bénéficiaires du moratoire sur la dette ?

C’est une hypothèse à ne pas négliger, lorsqu’on sait que la dette est un instrument de domination, un mécanisme subtil d’imposition aux débiteurs des choix économiques qui profitent aux créanciers. Toutefois, Pékin essaie depuis 2013 de prévenir la montée d’un sentiment antichinois en Afrique par une coopération plus axée sur l’investissement que sur la dette. L’expérience de la concession du port d’Hambantota à la Chine suite à l’incapacité du gouvernement sri lankais à tenir ses engagements est venue raviver les accusations sur la diplomatie du piège de la dette entretenue par le parti communiste chinois. La Chine semble désormais plus avisée sur la possibilité de perception à tort ou à raison de l’illégitimité de sa créance. Sur la dernière décennie, on note une diminution des prêts chinois aux pays en développement. Pékin est même devenu plus regardant sur la qualité des dettes et leur solvabilité.

Selon le Club de Paris, une demi-dizaine de pays, dont le Cameroun, ont à ce jour conclu un accord avec certains membres du G20 pour le report du paiement de leurs créances des huit derniers mois de l’année 2020. Mais la Chine n’est partie prenante à aucun de ces accords, même pas en qualité d’observateur. Comment l’interprétez-vous ?

Le conseiller d’État et ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a donné la position officielle de la Chine qui est l’adhésion totale à l’initiative des pays du G20. C’est juste une question de timing et probablement de la nature et l’ampleur du soutien supplémentaire que souhaite apporter la Chine aux pays africains frappés par la pandémie du nouveau coronavirus.

Le Cameroun a obtenu en juillet 2019 une restructuration d’une partie de sa dette en vers la Chine. Pensez-vous que Pékin soit encore disposée à lui octroyer un autre moratoire sur le remboursement de la dette ?

Eximbank of China bien avant la pandémie du coronavirus, s’est montré favorable à un rééchelonnement du remboursement des prêts concessionnels et préférentiels, crédits acheteurs pour la période de 2019-2021. En cette période difficile, c’est dans l’intérêt de la Chine de suspendre le service de la dette de son partenaire en lui accordant un moratoire. Il faut poursuivre la belle tradition d’entraide et de solidarité, « l’union des frères permet de briser le métal ». L’économie chinoise se remet progressivement du choc du coronavirus. Pékin peut se permettre ce geste de soulagement à l’endroit du Cameroun.

En 2019, vous appeliez les autorités camerounaises à « sortir de la surexposition à l’endettement pour une coopération offensive ». Avez-vous le sentiment d’avoir été entendu ?

La situation n’a pas significativement changé, mais on note des perspectives intéressantes avec l’initiative « la ceinture et la route ». Cette année marque le 20e anniversaire du forum sur la coopération sino-africaine. La nouvelle loi sur l’investissement étranger en Chine est beaucoup plus incitative et les conditions d’exportation vers la Chine ont été assouplies pour les pays en développement. Plusieurs autorisations d’importation des produits agricoles camerounais sont en cours de négociation entre le ministère du Commerce du Cameroun et son équivalent chinois. Des études sont en train d’être réalisées sur la conception d’une plateforme de produits camerounais à fort potentiel d’exportation pour faciliter l’accès, la disponibilité et la mise en relation entre les producteurs locaux et les clients étrangers.

L’option de réaliser plus de projets en partenariat public-privé peut-elle changer quelques choses dans le rythme d’endettement du Cameroun vis-à-vis de la Chine ?

Les partenariats public-privé sont un apport alternatif supplémentaire face aux contraintes des ressources publiques. Ce mode de financement exige de la prudence, car il connait quelques limites. Les coûts globaux sont souvent plus élevés en raison du transfert de l’essentiel des risques au concessionnaire. En attendant la disponibilité des flux de trésorerie liés a l’exploitation de la société de projet, il est possible que les coûts soient portés par les clients (citoyens) et le gouvernement (subventions, exemptions fiscales et douanières). Les PPP se transforment souvent en un endettement public caché, un moyen de reporter la dette sur les générations futures.

Certains estiment que le coronavirus est une opportunité pour le Cameroun de réduire sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Quel est votre avis ?

La crise du coronavirus expose chaque jour le niveau de dépendance extérieure de l’économie camerounaise, sa structure fragile et son caractère peu résilient. La chute des prix des matières premières est sans doute le fait le plus marquant des ravages économiques suscités par l’urgence sanitaire du coronavirus. En outre, les difficultés d’approvisionnement à l’extérieur ont causé des pénuries, la hausse des prix de biens de consommation courante et le non-renouvellement des biens d’équipement.

Cependant, une crise a toujours une part de chance qu’il convient d’attirer. Pour ce cas précis, il est possible d’accélérer le développement de la transformation locale par la valorisation du « Made in Cameroon » et de repérer des niches profitables sur des produits et services jusque-là importés, pour une meilleure contribution dans les chaines de valeurs mondiales. Le Cameroun pourrait renforcer son appareil productif et poursuivre la diversification de son économie.

Comment voyez-vous la coopération entre le Cameroun et Chine après la crise du coronavirus ?

Le Cameroun et la Chine continueront de bâtir une coopération basée sur la communauté de destin et la prospérité partagée. À court terme, il y aura une intensification des échanges commerciaux suite à la réouverture des usines chinoises et les retombées de la China International Import Expo 2019 (CIIE 2019). Pendant cette grande foire de Shanghai en novembre dernier, les produits camerounais ont été très sollicités par les consommateurs chinois. Les travaux d’infrastructure en cours de réalisation par les entreprises chinoises, à l’arrêt à cause des restrictions de mobilité du personnel étranger, reprendront en mettant un terme au chômage technique des employés nationaux. Les investissements directs en provenance de l’Empire du Milieu connaitront un accroissement en volume par la création d’entreprises et l’ouverture de filiales ou succursales au Cameroun. À moyen terme, la coopération en matière de santé publique sera plus renforcée et le Cameroun pourra bénéficier du projet de « la route de la soie de la santé ». 

In Investir au Cameroun

Rédaction
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