(BFI) – Alors que les principales puissances se mobilisent pour relancer leurs économies, sous le sceau de la transition écologique et du développement inclusif, les règles du jeu de l’économie mondiale se redéfinissent pour intégrer toutes les externalités exerçant une contrainte sur l’environnement. Dans ce contexte, un intérêt particulier est porté sur les plans de développement de cinq pays africains afin d’évaluer le traitement réservé par ceux-ci à la transition écologique.
A quelques mois de la COP 26 qui se tiendra à Glasgow début novembre, le retour des Etats-Unis à la table des négociations climatiques relance la compétition pour le leadership climatique. Même si le rôle des pays africains dans l’élaboration de cet agenda international reste limité, ceux-ci ont un plein contrôle sur leur propre stratégie de développement. Via celles-ci et la part qu’ils consacrent à la transition écologique, ils pourraient développer des modèles innovants comme ce fut le cas avec le M-Banking développé au Kenya, qui fait figure de modèle de transition numérique.
Au-delà de la noble lutte contre le réchauffement climatique, dans la perspective de créer des conditions et opportunités favorables aux entreprises des pays qu’ils représentent, certains diplomates du climat s’échinent à orienter les agendas liés à la transition écologique. Qu’ils s’agissent des cibles, des cadres de développement, des technologies reconnues, des programmes ou des nouvelles normes pour le monde de la finance, les contraintes climatiques sont en train de redéfinir les règles du jeu économique. Quelle est la place réservée aux enjeux climatiques dans les stratégies de développement des pays du continent africain ?
Afin d’évaluer la considération du continent pour cet enjeu, nous nous sommes intéressés aux plans de développement de cinq pays (Cameroun, Ethiopie, Kenya, Maroc et Sénégal) et avons tenté de définir les axes par lesquels ceux-ci appréhendent la transition écologique et la lutte aux changements climatiques.
D’une approche de mitigation des risques à une stratégie transversale positive
L’analyse des plans de développement des pays ciblés révèle que la plupart d’entre eux (trois sur cinq) appréhendent les enjeux liés au climat principalement sous le prisme de la gestion des risques. Les actions proposées dans ces plans visent l’atténuation des effets des changements climatiques et la résilience des populations. Au Sénégal, cette approche se traduit par l’ambition de « préserver la base de ressources nécessaires pour soutenir une forte croissance sur le long terme », alors qu’au Cameroun le gouvernement propose de mettre en œuvre des actions « d’atténuation des effets des changements climatiques et de renforcement des mesures de protection des zones à l’écologie fragile ». Tous deux identifient certains risques spécifiques comme les inondations, les glissements de terrain, l’érosion des terres et la rarification de l’eau comme des facteurs mettant à mal leur potentiel de croissance. Dans son Nouveau modèle de développement, le Maroc quantifie les pertes engrangées par les externalités négatives autour de 3% de son PIB.
L’utilisation d’une approche de gestion des risques limite le champ des possibles en se concentrant essentiellement sur les menaces. Parmi ces menaces, les catastrophes naturelles sont très présentes et dictent aux gouvernements les mesures urgentes à prendre, notamment en ce qui a trait à la modernisation urbaine pour lutter contre les inondations ou le reboisement pour lutter contre la désertification. Cette urgence et ses conséquences humaines s’illustrent notamment dans le plan du Sénégal, qui s’est fixé pour objectif de « réduire le nombre de décès liés aux catastrophes naturelles de 89 en 2017 à zéro en 2023 »..
Dans les cas du Cameroun et du Sénégal, certaines opportunités d’affaires et d’emplois en économie verte et bleue sont évoquées, sans que ne soient présentés ni plan d’action détaillé ni budget associé. Le gouvernement camerounais propose ainsi de promouvoir les emplois verts dans le secteur de l’écotourisme et de la prévention de l’environnement. De son côté, l’administration sénégalaise propose d’appuyer les opportunités d’emplois en restauration des habitats terrestres et marins et ceux en conservation de la biodiversité. La part de budget réservée à la transition écologique dans les plans de développement de ces deux pays représente moins de 1%. Avec un budget de 82 milliards de Fcfa soit 0,7% de son budget de développement (2021-2023) le gouvernement sénégalais propose qu’un nouveau cadre de gouvernance environnemental soit mis en place et qu’une stratégie transversale pour l’économie verte soit développée en s’appuyant sur le secteur privé. Au Cameroun, le plan national de résilience socio-environnemental (2021-2030) dispose d’une enveloppe de 100 milliards de Fcfa soit 0,26 % de l’ensemble des projets majeurs de la stratégie nationale de développement.
Une transition écologique vectrice d’opportunités
Le nouveau modèle de développement du Royaume du Maroc propose de véritables orientations pour une transition écologique du secteur économique. Trois grands chantiers sont ainsi proposés pour positionner le Maroc comme leader régional et international de la transition écologique. Le premier chantier concerne l’énergie, le pays entend engager une réforme du secteur de l’électricité en ouvrant la production d’énergie verte à la concurrence. Il souhaite ainsi faire passer la part d’énergie renouvelable dans son mix énergétique de 11% en 2019 à 40% en 2035.
Cette stratégie s’appuie à la fois sur l’essor de nouvelles techniques de production de l’énergie verte et sur une explosion de la demande internationale pour cette énergie, notamment en Europe. Grâce à ces réformes, l’écosystème d’affaires marocain sera en mesure de capter une partie des investissements internationaux et de créer des champions compétitifs dans l’économie verte. Le second chantier proposé est celui de la mobilité verte. Le Maroc qui est déjà un acteur majeur dans la chaîne de valeur mondiale de la mobilité compte opérer une transition vers la mobilité électrique et hybride. Ce choix stratégique implique de nouveaux transferts de connaissances et la création d’emplois qualifiés qui permettront le développement d’un écosystème de recherche local axé sur les technologies vertes. Enfin, d’un point de vue plus local, l’administration marocaine pilote un programme d’agriculture solidaire et familiale dans lequel les contraintes de la durabilité et un arrimage entre les cultures et leurs écosystèmes territoriaux sont recherchés.
L’Afrique de l’Est, une courte avance sur les questions climatiques et la finance verte
Le plan de développement de l’Ethiopie à l’horizon 2030, The Pathway to Prosperity, intègre parmi ces priorités stratégiques la création d’une économie verte et résiliente. Le caractère transversal de cette approche permet au pays d’initier une transition écologique en passant notamment par les technologies. La stratégie d’industrialisation ainsi choisie encourage l’utilisation de procédés à faible consommation d’énergie et s’appuie sur un mix énergétique dans lequel l’énergie renouvelable est en forte croissance. Comme dans le cas du Maroc, la production d’énergie renouvelable vise autant la consommation domestique que l’export. Les autres programmes propres à la gestion des risques climatiques, tels que la protection et le développement de forêts, la gestion des déchets et la planification urbaine sont similaires à ceux proposés dans le reste du continent, à la différence près qu’ils occupent une place de choix dans l’ordre des priorités en lien avec le développement, ce qui leur confère un poids supérieur. Le pays dispose d’ailleurs depuis 2011 d’un plan transversal : Ethiopia’s Climate Resilient Green Economy: Green economy strategy qui estimait que 150 milliards de dollars d’investissements seraient nécessaires sur 20 ans pour développer l’économie du pays de manière durable et verte.
Au Kenya, le plan Vision 2030 -Third Medium Term Plan 2018-2022- dote le pays de programmes et budgets compatibles avec la transition écologique. Dans ce plan, 8 milliards 362 millions de shillings kényans sont consacrés à l’accélération de la transition vers une économie circulaire et verte et 220 millions de shillings kényans servent à financer des initiatives du même type dans les secteurs du transport, de l’agriculture, de l’énergie, de la gestion des déchets, du reboisement et de la conservation de la biodiversité, via le Climate Change Fund (CCF). Ce fonds a aussi vocation à piloter l’émission d’obligations vertes. Pour financer le développement des infrastructures en énergie renouvelable, le gouvernement prévoit un budget spécial de 109 milliards 588 millions de shillings kényans. Via une gestion holistique des ressources marines et un budget de 145 milliards 526 millions de shillings kényans, le pays consacre une place spéciale à l’économie bleue et nourrit l’ambition de créer 12 000 emplois dans ce secteur.
Quel modèle de transition écologique par et pour l’Afrique ?
Les impacts des changements climatiques et les risques qu’ils font peser sur les populations et leur développement sont largement documentés et partagés par les pays africains. Le continent est pleinement conscient des enjeux et compose déjà avec des migrations internes en raison du climat. Parce qu’ils en subissent déjà les conséquences, plusieurs d’entre eux ont développé des plans d’action pour gérer l’urgence, ce qui les expose à une myopie managériale qui limite leur vision à long terme.
Malgré la prise en compte de certains éléments de la transition écologique dans leur stratégie, aucun des plans consultés n’aborde cette question de manière suffisamment transversale pour opérer une transformation structurelle de leur économie à l’exception de l’Ethiopie qui en fait une de ses six priorités et dispose d’un plan intégré. Tous reconnaissent cependant la nécessité de disposer d’un plan dédié à l’économie verte et semblent vouloir l’aborder séparément ou de manière connexe à leur plan de développement.
Pourtant, un changement de paradigme est nécessaire. Nous devons changer notre façon de voir le développement et l’économie qui sert à l’atteindre. Ce changement devrait commencer par une transformation profonde de nos économies vers des économies circulaires reposant sur un nouveau modèle de gouvernance. La transition écologique prônée à travers le monde devrait être une occasion pour les pays du continent de proposer leurs propres modèles de développement et de gouvernance. Conformément à la philosophie Ubuntu, « Je suis, parce que nous sommes », nos modèles de gouvernance devraient inclure dans le « Nous », l’environnement comme une partie prenante à part entière. Par la pratique, via nos modèles éprouvés, il est temps de prendre part à la redéfinition de nos systèmes de production, de consommation, d’échanges et de partage de valeurs, qu’elles soient économiques ou humaines. Une mise à jour de nos plans de développement et des budgets alloués à la transition écologique serait une première étape.
Par Maxime Jong, Consultant en développement économique inclusif
Sources
Ministère de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire. (2020). Stratégie nationale de développement 2020-2030 – Pour la transformation structurelle et le développement inclusif – Cameroun.
Commission spéciale sur le modèle de développement. (2021). Le nouveau modèle de développement – Royaume du Maroc.
Ministère de l’Economie du plan et de la coopération. (2020). Plan Sénégal émergent, plan d’actions prioritaires 2 ajusté et accéléré (PAP 2A) pour la relance de l’économie.
Government of the Republic of Kenya. (2018). Vision 2030 Third Medium Term Plan 2018-2022.
Ethiopia 2030: The Pathway to Prosperity – Ten Years Perspective Development Plan (2021 – 2030)