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Réguler les médias sociaux pour une croissance plus inclusive

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(BFI) – Contrairement aux idées reçues, les élections américaines opposaient deux conceptions du monde: le populisme ancré sur le repli et la tradition et le mondialisme marchand sans frontières. Les mondialistes ont remporté une victoire écrasante.

Bras armés de la mondialisation, les géants de l’économie numérique communément appelés GAFAT (Google, Apple, Facebook, Amazon, Twitter) ont décidé d’exclure arbitrairement de l’internet le Président de la plus grande puissance militaire et économique mondiale et sa mouvance populiste. Le pouvoir illimité de ces nouveaux maîtres du monde impose une double exigence : protéger la liberté d’expression face à une hégémonie planétaire et mieux faire profiter leur manne financière à l’ensemble de la planète.

La censure aveugle constitue un terreau favorable pour la montée des extrémismes. Elle impose des changements qui affecteront le fonctionnement de l’internet dans le monde entier. Le choix sociétal est clair: soit casser ces monopoles privés pour protéger les libertés publiques; soit se soumettre au monde Orwellien de la nouvelle économie. La deuxième option donne à  cinq sociétés multinationales, sans mandat public, le pouvoir illimité de censurer, décider ce que des milliards de personnes dans le monde peuvent écrire, lire, voir et partager dans les médias sociaux. Aux opposants de toute régulation de ces activités, il convient de rappeler que ces monopoles privés n’ont pu voir le jour que grâce aux fonds publics de l’armée américaine ayant financé l’internet.

Du Maccarthisme digital des géants de la Sillicon Valley à l’anéantissement de l’adversaire

L’Amérique est la terre par excellence des excès. Les vainqueurs des récentes élections sont en train de punir et rayer de la carte digitale les «mutins populistes» comme dans les pays du tiers-monde. Ceci pourrait aboutir à la mise en place d’un nouveau Maccarthisme brisant de nombreuses vies et  carrières à travers la chasse aux sorcières des insoumis et leur réduction au silence professionnel par « des listes noires» dont l’Amérique a le secret lorsque la nature l’emporte sur la raison. J’en ai été personnellement victime au FMI après avoir émis des réserves sur le déblocage de 60 millions de dollars pour le projet minier Géovic piloté par une «junior» sans expérience minière, incorporée aux paradis fiscaux de Delaware et des Iles Caïmans. Depuis lors, les fonds ont disparu, le projet n’a jamais démarré. Le but de cette forfaiture était de détruire irrémédiablement ma carrière et ma réputation.

Suite aux actes de violence de ses partisans au Congrès le 6 janvier 2021, Donald Trump a été banni de toutes les plateformes numériques (Twitter avec ses 88 millions d’amis, Facebook, Instagram, Snapchat). Il en est de même de ses partisans: le général Flynn l’ex-conseiller militaire; Steve Banon, l’idéologue des populistes ; Sidney Powell, l’avocate qui a porté plainte à de multiples reprises pour fraude électorale. De nombreux sites de la mouvance conservatrice ont été désactivés. De grandes voix populistes ont décidé de quitter Twitter, tel que Rush Limbaugh, un animateur de radio avec ses 90 millions d’auditeurs.

Exclus des médias sociaux, les mouvements populistes ont voulu se rabattre sur “Parler.com”, un site conservateur dont l’audience a augmenté considérablement après les événements du 6 janvier. Cependant, quelques jours plus tard, Google et Apple ont exclu Parler.com de leur bouquet et Amazon lui a retiré ses serveurs, le rendant ainsi indisponible sur internet. Ces firmes lui reprochent son refus de censurer les utilisateurs, ce qui aurait contribué aux récents actes de violence. Les autres fournisseurs internet et les avocats de Parler.com se sont désistés dès que cette firme a engagé des poursuites judiciaires contre les géants de l’internet. Ainsi, le seul moyen de communication pour l’ex Président américain et ses partisans est l’email.

Le ministère américain de la Justice et l’appareil judiciaire sont restés muets face à la violation du Premier Amendement de la Constitution sur la liberté d’expression et aux entraves à la concurrence. De plus, la section 230 de la loi de 1996 ayant permis la création des géants de l’internet leur garantit une immunité absolue contre les poursuites judiciaires.

Ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis est extrêmement inquiétant pour la démocratie et la liberté d’expression dans le monde entier. Car en démocratie, le respect des droits des minorités est sacré. Imaginez la levée de boucliers que susciteraient de tels actes en Chine, en Russie, en Iran ou en Afrique.

Si au nom de la défense des intérêts du système, les élites mondialistes sont capables de tels abus, que feront-elles des ressortissants des « pays de la périphérie» qui seraient tentés de revendiquer le droit de reprendre le contrôle de leurs ressources ou des services publics (ports, eau, électricité, télécommunications) concédés aux sociétés multinationales à travers la grande braderie des privatisations des années 1990?

La nécessité de réguler les géants de l’économie numérique pour protéger la démocratie

Ces firmes qui contrôlent la nouvelle économie numérique disposent de ressources illimitées. Cependant, leur stratégie d’optimisation fiscale prive les États des ressources fiscales nécessaires pour faire bénéficier pleinement aux populations la révolution technologique.

Selon une étude de « Finance Pour Tous », la valeur boursière des  5 GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) en 2020 était supérieure au montant de la richesse annuelle (PIB) créée par le Japon,  l’Allemagne ou  la France. Seuls les États-Unis et la Chine sont plus riches que les GAFAM. Apple et Microsoft sont plus riches que l’Espagne qui est la 13e économie mondiale en termes de PIB.  En dehors de Facebook, la capitalisation boursière de chacun des GAFAM dépasse les 1 000 milliards de dollars. 

Les ressources de ces méga-entreprises proviennent de l’utilisation gratuite de leurs services par des centaines de millions de personnes, ce qui leur permet de constituer de gigantesques bases de données. Elles s’enrichissent par la revente de ces données et analyses (les choix, goûts, centres d’intérêts des utilisateurs lorsqu’ils naviguent sur l’internet ou les réseaux sociaux). Ceci leur permet ainsi de définir plus finement le profil du consommateur et ensuite de se faire rémunérer en proposant aux entreprises des liens publicitaires internet ayant un impact commercial plus efficace que de simples panneaux publicitaires.

Ces entreprises sont en situation de monopole face aux entreprises de l’« ancienne économie ». Elles peuvent ainsi imposer leurs tarifs, proposer leurs propres produits pour concurrencer leurs clients et réaliser des bénéfices colossaux. Google concentre plus de 90 % des requêtes sur internet dans le monde. Sa filiale, Youtube, a une audience supérieure à toute chaîne de télévision au monde: plus d’un milliard d’heures de vidéos sont ainsi visionnées par jour. Facebook, totalisait en octobre 2020, plus de 2,7 milliards d’utilisateurs actifs mensuels. Selon une étude de « We are Social et HootSuite », le nombre d’utilisateurs actifs mensuels de Twitter était estimé à 326 millions en 2020 soit environ 3,9 milliards par an.

Pour utiliser ces services, les consommateurs ayant un téléphone portable passent majoritairement par Apple tandis que ceux ayant un ordinateur passent par Microsoft. Selon une étude récente, en fin 2019, Apple concentrait 32 % du chiffre d’affaires et 66 % des bénéfices du marché des Smartphones; alors que les systèmes d’exploitation Windows de Microsoft équipaient plus de 88 % des ordinateurs dans le monde. Pour télécharger les applications sur Smartphone ou sur ordinateur, les utilisateurs doivent passer par le bouquet de Google et Apple et stocker leurs données chez Google ou Amazon. Une entreprise comme Google peut ainsi fausser la compétition soit à travers son moteur de recherche susceptible de favoriser ses filiales (Youtube.com) par rapport à leurs concurrents (Rumble.com) soit par l’élimination pure et simple de certaines firmes du bouquet de téléchargement offert aux utilisateurs (Parler.com). Le capitalisme devient un dangereux casino lorsque de tels mastodontes ne sont soumis à aucune régulation.

Les réformes sont urgentes en raison des menaces que les géants de la nouvelle économie font peser sur la souveraineté des États, les libertés individuelles et la concurrence.

En premier lieu, les Etats-Unis, les puissances émergentes et les groupes d’États (Chine, Union européenne, Russie) doivent envisager la mise en place de systèmes alternatifs visant à concurrencer davantage les géants américains (Google, Facebook, Twitter, You tube). Des exemples tels que TikTok, Alibaba, Samsung, Parler, Signal, Galileo, Bollywood en Inde et Nollywood au Nigeria montrent que le succès est possible partout lorsque le marché est vaste et que les pays créent un environnement favorable à l’investissement et au développement de la science, de la technologie et d’une éducation de qualité.

En second lieu, une réforme du secteur de la nouvelle économie similaire à la régulation des services publics privatisés (télécommunications, électricité) des années 1990 devrait mettre l’accent sur les points suivants : (i) adoption d’un code de bonne conduite ou de lois sur la censure digitale et mise en place d’une autorité de régulation en lieu et place de la censure actuellement effectuée par des firmes privées afin de garantir la liberté d’expression; (ii) levée de l’immunité des géants de la nouvelle économie dans des cas d’abus de pouvoir sur la liberté d’expression; (iii) possibilité pour les Etats d’adopter leurs propres régulations sur les médias sociaux; ceci obligera la Cour Suprême américaine à trancher sur la protection des libertés en cas de conflit entre la loi fédérale et celle des Etats; (iii) réduction des barrières à l’entrée pour les nouveaux concurrents comme Parler.com ou Signal.com; (iv) restriction de l’activité de ces géants à la collecte des données et leur revente brute aux sociétés spécialisées dans l’analyse des données afin de créer plus de concurrence et réduire ainsi leur taille.

En troisième lieu, bâtir une coalition internationale pour les négociations multilatérales (OMC, Accord US-UE) autour des efforts de l’Union européenne pour mieux fiscaliser les GAFAT. Leur hégémonie dépend du contrôle du marché mondial au moment où le dividende démographique se déplace vers le Sud. Étant donné que leurs actionnaires ne sauraient accepter une baisse durable du cours des actions, les GAFAT pourraient être fragilisés par la multiplication de législations nationales ou des «stratégies de perturbation de la concurrence» consistant à bloquer de manière sélective l’accès à leurs services (Twitter, Whatsapp) au profit de leurs concurrents (Parler, Signal) tant qu’ils n’accepteront pas de négocier avec les autorités au niveau régional ou continental sur la fiscalisation du secteur numérique.

Cette mobilisation des ressources fiscales concerne aussi les entreprises de télécommunications opérant en Afrique (Orange, MTN, Moov, etc.). L’Afrique a besoin de créer ses propres technopoles et une masse critique d’entrepreneurs pour faire un saut qualitatif dans la révolution digitale. Ces entreprises dont l’Afrique représente un marché porteur pour les prochaines décennies, devraient jouer un rôle plus citoyen en contribuant davantage au développement de l’écosystème humain, technologique, financier et fiscal de l’économie numérique. Telles sont les conditions pour faire de la nouvelle économie un outil au service d’une croissance mondiale plus inclusive.

Par Eugene Nyambal, Economiste, Ancien Conseiller Principal pour l’Afrique au FMI et Chef de Projet à la Banque mondiale

Rédaction
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