(BFI) – Le directeur général du Fonds de solidarité africain (FSA), Ahmadou Abdoulaye Diallo, s’est confié au confrère de ‘Financial Afrik’ dans un entretien exclusif en marge d’une mission effectuée à Lomé (Togo). L’ancien ministre malien de l’Economie aborde plusieurs sujets dont le FSA lui-même, ses perspectives, et évoque quelques pistes pour faire face à la crise de la Covid-19 et ses effets en Afrique.
Comment se porte le Fonds de solidarité africain (FSA), plus de 40 après sa mise en place ?
En 46 ans, il est raisonnable et compréhensible qu’une personne ou une institution connaisse des évolutions quelques fois dans le bon sens, et d’autres fois dans le mauvais sens. Et le FSA n’échappe pas à cette règle. En 46 ans, il a eu des hauts et des bas ; mais aujourd’hui, depuis au moins 5 ans, nous pouvons dire que le FSA est sur une phase ascendante parce que d’abord, nos résultats opérationnels sont de plus en plus importants, nos interventions augmentent davantage en volume et en qualité chaque année, et au niveau de tous les pays membres.
Ensuite, les résultats financiers sont également positifs chaque année depuis au moins 6 ans. Nos actionnaires qui sont les États membres aussi nous soutiennent au quotidien et libèrent leurs engagements au titre du capital et du fonds spécial de bonification chaque année. Ce qui fait qu’aujourd’hui, le FSA est une institution financièrement solide. Nous avons fait une relecture de nos instruments financiers pour les affiner afin de les adapter aux besoins du marché. Auparavant, nous n’avions pas la garantie des portefeuilles, mais nous l’avons aujourd’hui. Il en est de même pour la garantie ou la porte-garantie sur le marché du BTP. Avant, nous n’intervenions non plus sur les opérations du commerce extérieur, mais aujourd’hui, nous l’avons. Toutes ces réformes visent à répondre aux besoins du marché.
Enfin, nous avons procédé à la relecture de nos textes fondamentaux tels que les statuts, les règlements financiers, les statuts des personnels, et bien d’autres, de façon à ce que l’institution soit modernisée. Nous avons entièrement revue notre manière de procédure administrative, comptable, financière et opérationnelle aussi de façon à ce que nous ayons de meilleurs standards du point de vue de la gouvernance.
Aujourd’hui, nous recevons régulièrement des missions de nos partenaires en particulier les banques de développement, des agences de notation, de même que de nos propres commissaires aux comptes. Et tous les rapports sont concordants et vont dans la même direction. C’est que le FSA est une institution solide.
Vous bouclez votre second mandat à la tête du Fonds en 2025. Quelles sont vos perspectives d’ici là ?
D’ici 2025, nous souhaitons que les 54 États membres de l’Union africaine (UA) soient membres du Fonds de solidarité africain. Nous sommes déjà au niveau de 3 régions qui sont la CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale), la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest), et le COMESA (Marché commun de l’Afrique orientale et australe). Au niveau de ces 3 régions, il y a des commissions économiques qui sont constituées par les Etats membres. Et nous constatons que sur les 16 Etats de l’Afrique de l’ouest, il n’y a que 8 qui sont membres du FSA. Il reste 8 autres pays qui doivent rentrer, ou qui devront rentrer dans le capital afin que le FSA puisse y travailler. En Afrique centrale, il en est de même au niveau de la CEEAC, et du COMESA en Afrique de l’est. Mais des initiatives sont prises pour que progressivement, les États de ces régions qui ne sont pas encore membres du FSA, puissent rejoindre notre grande famille africaine. C’est seulement après cela que les autres pays des autres parties de l’Afrique vont progressivement adhérer.
Mon ambition pour 2025, c’est donc d’abord qu’une grande partie de ces pays africains soient membres du Fonds de solidarité africain. Ensuite, nous aimerions également que des pays qui ne sont pas africains, soient membres du FSA. Nos statuts ont fait objet de relecture et de réécriture pour permettre cela. Beaucoup d’autres pays sont en ligne de mire pour qu’au moins un ou deux d’entre eux, d’ici 2025, puissent adhérer. Nous envisageons également l’adhésion au capital des institutions de financement au développement comme la Banque africaine de développement (BAD), et nous y travaillons. Il en est de même pour les agences de coopération multilatérale ou bilatérale comme la KfW en Allemagne, Danida au Danemark, la coopération belge, la coopération hollandaise, etc.
Pour conclure, je dirai que nous voulons qu’en 2025, notre ambition est que l’actionnariat du FSA soit diversifié et la zone géographique des interventions soit étendue à l’échelle africaine.
Quels sont les pays africains qui rejoignent votre institution dans un proche futur ?
La Mauritanie vient de faire sa demande d’entrée, il y a moins de deux semaines. Le Cameroun va bientôt entrer, ainsi que la Guinée et la Guinée Equatoriale. Il y a déjà d’autres pays qui sont pressentis, et je pense que dans peu de temps, la cadence va s’accélérer. Sur les cinq prochaines années, nous ne serons pas 15, mais au moins le double.
Vous êtes à Lomé depuis environ une semaine. Qu’est-ce qui motive cette mission dans la capitale togolaise ?
Notre déplacement à Lomé constitue un déplacement inaugural. La pandémie de la Covid-19 nous a tous retenus dans nos pays respectifs où nous travaillons, mais la situation sanitaire s’est globalement améliorée aujourd’hui dans le monde entier de façon à ce que nous avons la capacité de voyager tout en nous protégeant individuellement et collectivement. J’ai pris donc la décision de sillonner les différents Etats membres et j’ai voulu commencer par le Togo. Je ne me suis pas trompé parce que la qualité de nos interlocuteurs est telle que ce fut une expérience tout à fait réussie.
Justement, vous avez signé, le 14 juillet 2021 à Lomé avec le Conseil national du patronat du Togo, un accord-cadre de partenariat qui vise à « définir le cadre de collaboration durable » entre vos deux organisations. Quelles sont les grandes lignes de cet accord ?
Elles sont au nombre de 3. Premièrement, c’est la coopération commerciale. Les entreprises qui sont dans les 23 associations professionnelles affiliées au Conseil national de patronat vont être en contact avec les banques respectives, identifier, évaluer et élaborer les études de faisabilité de leurs projets et nous saisir de requêtes d’intervention soit par garantie de quelle forme que ce soit, soit en refinancement. En ce qui concerne l’aspect opérationnel, s’il y a des opportunités nouvelles qui se créent pour certaines entreprises au CNP, nous sommes prêts à les accompagner.
Et sur le volet formation, nous avons convenu de recevoir une cohorte de chefs d’entreprises ou de personnels de soutien du patronat pour des formations successives au FSA à Niamey (Niger, siège de l’institution), de façon à ce que l’ensemble des entreprises au Togo s’approprient les techniques d’intervention du Fonds, et sachent quelles sont les voies de saisie, ou quelles sont les voies par lesquelles il est facile de mobiliser l’intervention du FSA.
Quels peuvent donc être les apports du FSA dans le financement de ces entreprises ?
Le financement de l’entreprise est un très vieux métier que nous connaissons tous. Les entreprises ont besoin en général de 3 grandes catégories de financement.
La première catégorie, c’est l’investissement. Les banques ont des ressources qui, quelques fois, ne peuvent pas financer l’investissement long compte tenu des caractéristiques des ressources dont elles disposent. Mais adossées au FSA, elles peuvent faire beaucoup plus et mieux en ce qui concerne les crédits destinés à l’investissement dans les pays africains en général, et au Togo en particulier.
La deuxième catégorie, c’est la satisfaction du besoin en fonds de roulement. C’est-à-dire que vous avez déjà l’outil productif, mais vous avez besoin de liquidité pour acheter la matière première, la transformer en produit semi fini ou produit fini avant la vente. Des fois même, on vend à crédit. Et le temps que vous ayez les produits de vos ventes, vous avez encore besoin de continuer à produire de façon à ce que vous puissiez honorer vos engagements vis-à-vis de vos clients, et aussi vis-à-vis de vos fournisseurs. Donc là, vous avez besoin de couvrir votre besoin en fonds de roulement. Là encore, le FSA peut accompagner les banques et les établissements financiers dans cette deuxième catégorie de financement.
Mais après ces deux catégories, c’est le crédit de trésorerie sur lequel le FSA n’intervient pas car c’est entre la banque et son client. L’une met une facilité de 15 jours, un mois ou deux à disposition de l’autre, ce qui constitue du financement à court terme. Là, le FSA n’intervient pas. Nous sommes une institution de développement, et nous visons le long et le moyen terme.
Au cours d’un webinaire organisé en janvier 2021 par le gouvernement du Bénin sur la réponse sociale face à la crise de la Covid-19 en Afrique, vous aviez émis plusieurs recommandations. Vous aviez, entre autres, évoqué la nécessité pour les autorités africaines de considérer la crise comme un élément constant dans l’équation de développement, et appelé à reconsidérer aussi la réponse pharmaceutique à la pandémie. La crise n’est-elle pas aussi bien gérée sur le continent ?
L’une des réflexions que j’ai eu à faire est la suivante. En réponse à la pandémie, les Etats d’Asie mineure, dans un contexte inattendu et inopiné, ont essayé de mettre des réponses sur place et parmi ces réponses, beaucoup de pays ont créé des fonds de garantie de façon à ce que les banques continuent à financer les activités économiques. J’avais dit à cette conférence ministérielle que la garantie est un métier tout comme le crédit, et qu’elle ne peut pas s’improviser. C’est un métier très complexe d’autant plus qu’il y a des instruments qui sont déjà là, à l’instar du Fonds de solidarité africain. Et mieux vaut s’appuyer sur ce Fonds pour soutenir des réponses de garantie consécutivement à toutes les initiatives qui sont prises au niveau des différents Etats membres. Il y a des pays qui ont, par exemple, mobilisé 25 milliards de FCFA pour mettre en place des mécanismes de garantie. Au lieu de faire cela, nous avons proposé aux différents Etats membres de renflouer le FSA afin qu’il se consacre à des objectifs particuliers que les gouvernements vont lui assigner. Ça, c’est la première chose.
La deuxième chose, c’est qu’aujourd’hui, tous les pays ont pu constater la nécessité de produire pour des raisons de santé publique, des biens qui vont être consommés. Le masque que vous portez en ce moment est surement fabriqué en Chine ou en Turquie. Mais, qu’est-ce que ça coûte de fabriquer un masque ? Ce n’est rien. Il faut que nous ayons des réponses nationales à la crise de la Covid-19. Le masque et le gel hydro-alcoolique sont des produits qui sont facile à fabriquer. Même les respirateurs, car on dispose des écoles d’ingénieurs, des experts de la santé publique et des scientifiques de renom qui font des recherches. Il faut qu’on nationalise les réponses industrielles en Afrique, dans nos pays. S’il faut attendre un masque de la Chine, honnêtement, cela pose un problème.
Vous aviez également plaidé pour une baisse du niveau de pondération des institutions de garantie.
Exact. En réalité, les institutions monétaires d’une façon générale, et le comité de Bâle en particulier, devraient examiner les ratios qui sont applicables aux banques et aux institutions financières de façon à ce que toutes les interventions des banques et celles des institutions financières adossées à la garantie du Fonds de solidarité africain par exemple, soient pondérées à 0%.
Pourquoi ?
Parce que déjà dans la législation aujourd’hui, si c’est une créance sur l’Etat ou sur une entité publique, la pondération est égale à zéro. Or avec le FSA, ce n’est pas seulement un Etat : c’est 14 Etats aujourd’hui, 15 bientôt ensuite 16, 17, 18, etc. C’est donc une garantie souveraine avec la particularité que c’est du multilatéral. Il serait bon qu’il y ait une révision de la réglementation bancaire pour que dans le processus de la pondération des risques bancaires, tous les risques qui sont adossés à la garantie du FSA puissent être pondérés à 0% tout comme pour les Etats, et d’autant plus que les actionnaires du FSA sont exclusivement des Etats.
Quelle analyse portez-vous sur la politique monétaire régionale de l’UEMOA dont tous les pays sont membres du FSA, et les politiques budgétaires nationales dont vous appelez à une cohérence ?
Cela fait d’ailleurs partie de mes grandes préoccupations. Nous avons une politique monétaire commune au niveau des pays de l’Uemoa, mais nous n’avons pas de politique budgétaire commune. Je pense que c’est une faiblesse qu’il va falloir corriger, à un moment ou un autre.
Par ailleurs, nous nous sommes dotés de convergence multilatérale au niveau de l’Uemoa pour faire en sorte que les économies évoluent dans la même direction. Et parmi ces critères de convergence, il y a des critères de premier ordre et des critères secondaires. Mais si un pays respecte aujourd’hui un critère, et ne le respecte pas l’année prochaine, cela signifie qu’il y a un problème. Si deux ou trois pays satisfont tous les critères, et je dois citer de passage le Togo qui est le meilleur élève de l’UEMOA quant au respect des critères, il faut que cela impacte les économies des autres pays membres. Mais ce n’est pas le cas. C’est parce que le commerce entre les pays de l’Uemoa n’est pas très élevé. Ces 8 pays commercent entre eux à hauteur de 10%, et en général, c’est des pays côtiers vers l’hinterland. C’est dans un sens, pas dans l’autre, ou très faiblement. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont du bétail. Normalement, il ne doit pas y avoir dans les autres pays de l’Uemoa, une viande autre que celle venue des pays du sahel. Mais on peut constater qu’il y a de la viande qui vient d’ailleurs comme de la viande congelée pendant plusieurs mois, alors qu’il y a la viande fraîche du sahel. C’est de là qu’il faut qu’on joue sur la complémentarité de nos économies.
Votre mot de la fin.
J’ai foi en l’avenir de notre continent et dans la vitalité potentielle des instruments d’intégration qui ont été créés par les chefs d’Etat. J’ai également foi dans la vitalité de notre socle économique. J’ai foi dans la qualité, l’inventivité, la créativité et la jeunesse de nos opérateurs. J’ai foi dans le potentiel des populations africaines qui sont jeunes et dynamiques.