(BFI) – Le 5 septembre dernier en Guinée, une unité d’élite de l’armée guinéenne, menée par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, a renversé le gouvernement d’Alpha Condé. Ce coup d’Etat suscite de l’inquiétude dans l’industrie minière internationale, alors que la Guinée est deuxième producteur mondial de bauxite, principal minerai d’aluminium, assurant 20% de l’approvisionnement total. Dans un entretien accordé au confrère de l’Agence Ecofin, Hamidou Dramé, avocat au Barreau de Guinée et spécialisé en droit minier, revient sur cette situation et ses implications pour le secteur minier guinéen.
Encore un changement de régime en Guinée, pays qui attise les convoitises à cause de la richesse de son sous-sol. Les premières sorties du Comité national du rassemblement et du développement (CNRD) tendent à rassurer les compagnies quant à la sécurité de leurs investissements. Comment la situation évoluera-t-elle à votre avis ?
Dès la prise du pouvoir, le 5 septembre 2021, le CNRD a rassuré les compagnies minières avec la réouverture des frontières maritimes dès le 6 septembre et la levée du couvre-feu dans les zones minières.
Une rencontre de concertation avec les responsables des sociétés minières a également été organisée le 16 septembre dernier. Sur la base des premières déclarations du CNRD, les engagements prévus dans les contrats en cours seront respectés par l’Etat guinéen au nom du principe de la continuité de l’Etat. Les dispositions du Code minier en vigueur vont continuer à s’appliquer aux projets miniers.
Pensez-vous que les investissements dans le secteur minier soient en danger avec ce coup d’Etat ?
Les investissements dans le secteur minier ne sont pas menacés. Le CNRD a indiqué son intention de travailler avec les acteurs miniers pour que les richesses du pays profitent aux populations tout en préservant la stabilité juridique et économique des contrats miniers en cours. Toutefois, d’un point de vue juridique, il faut indiquer que l’article 182 du Code minier en vigueur et la quasi-totalité des contrats miniers prévoient des clauses de stabilité juridique et fiscale sur les éléments les plus importants qui peuvent affecter négativement les projets miniers (impôts sur les bénéfices et les sociétés, taxe sur l’extraction des substances et taxe à l’exportation des substances minérales). S’il doit y avoir réforme sur les autres éléments juridiques et fiscaux, le CNRD va certainement ouvrir des concertations avec la Chambre des mines qui représente la majorité des acteurs miniers en Guinée.
Dans une sortie en date du 16 septembre 2021 au sujet de l’avenir du secteur minier, le colonel Doumbouya a indiqué vouloir travailler pour une plus grande implication des locaux dans le secteur minier. Que pensez-vous de cette déclaration et qu’est-ce qui va changer pour les compagnies étrangères ?
Cette déclaration du colonel Doumbouya est salutaire et s’inscrit en droite ligne des communications du CNRD depuis la prise du pouvoir le 5 septembre dernier. Le Code minier en vigueur contient plusieurs dispositions en matière de contenu local et développement local (priorité aux cadres nationaux, directions générales des sociétés en phase d’exploitation par des nationaux, recours aux entreprises locales pour les sous-traitances, convention de développement et fonds de développement local). Néanmoins, la volonté des nouvelles autorités de favoriser l’implication des nationaux doit s’accompagner par un contrôle strict du respect des dispositions légales en matière de contenu local par les compagnies minières. Pour rappel, en vertu des articles 107 et 108 du Code minier, les sociétés minières doivent fournir aux ministères des Mines, des PME, de l’emploi et de la formation professionnelle, des rapports sur le recours aux entreprises appartenant aux Guinéens et à l’emploi des Guinéens.
« Pour rappel, en vertu des articles 107 et 108 du Code minier, les sociétés minières doivent fournir aux ministères des Mines, des PME, de l’emploi et de la formation professionnelle, des rapports sur le recours aux entreprises appartenant aux Guinéens et à l’emploi des Guinéens. »
Pour favoriser l’implication des nationaux dans la chaine de valeur des activités minières, l’Etat doit renforcer les capacités des acteurs locaux en termes de formation et de financement. Cette sortie du Colonel Doumbouya est une illustration de l’aspiration profonde des Guinéens qui souhaitent tirer le meilleur des activités minières. Elle sera certainement accompagnée de plans de travail précis à mettre en œuvre par le gouvernement de la transition et le ministre des Mines en particulier.
A son arrivée au pouvoir en 2010, Alpha Condé s’est attaqué à certains contrats miniers jugés désavantageux pour la Guinée. Le président Tshisekedi fait actuellement la même chose en RDC. La junte militaire va-t-elle se lancer aussi dans cette entreprise ?
Sur la base des déclarations actuelles du CNRD, il n’est pas envisagé de lancer une revue générale des contrats miniers, comme ce qui a été fait en 2011 avec le président Alpha Condé qui avait créé un comité technique de revue des contrats miniers. Il convient de signaler que les conventions minières signées depuis 2013 ne peuvent déroger aux dispositions du Code minier en vigueur en application de son article 18.
« Sur la base des déclarations actuelles du CNRD, il n’est pas envisagé de lancer une revue générale des contrats miniers, comme ce qui a été fait en 2011 avec le président Alpha Condé qui avait créé un comité technique de revue des contrats miniers. »
Cet article 18 précise que « la Convention minière s’ajoute aux dispositions du Code mais n’y déroge pas. Elle précise les droits et obligations des parties et peut garantir au titulaire, la stabilité des conditions qui lui sont offertes, notamment au titre de la fiscalité et de la réglementation des changes tel que prévu au présent Code ». En clair, les dispositions des conventions minières ne peuvent être contraires aux dispositions du Code minier. Si aucune grande réforme du cadre juridique n’est à envisager, on peut toutefois s’attendre à ce que les nouvelles autorités renforcent l’application des règles prévues dans le code minier notamment en matière fiscale et de contenu local.
La Guinée est régulièrement citée quand il s’agit d’évoquer le phénomène de la malédiction des matières premières. Malgré sa richesse minérale, le pays fait partie des plus pauvres et le secteur longtemps miné par la corruption n’a pas vraiment profité aux Guinéens. En tant qu’expert du droit minier, quelle est la cause de cette situation et comment pensez-vous que le pays puisse changer la donne ? Doit-elle revoir toute sa réglementation minière ?
La Guinée comme on l’appelle est un scandale géologique avec plusieurs ressources naturelles (bauxite, diamant, fer, or, etc.). Avec la réforme des réglementations minières depuis 2011, la gouvernance minière a été améliorée comme le témoigne le score de la Guinée au niveau de l’indice de gouvernance des ressources naturelles de 2021 du Natural Resources Governance Institute (la Guinée a gagné 6 points par rapport à l’évaluation intermédiaire de 2019 et réalisé un score de 62 sur 100, accédant à la tranche de performance supérieure « Satisfaisant », NDLR). On peut citer entre autres, le transfert d’une partie des revenus vers les collectivités locales avec l’agence nationale de financement des collectivités locales.
Toutefois, des efforts doivent être faits sur la gestion transparente des revenus miniers, la protection de l’environnement avec des textes d’application quasi inexistants et la gestion des réclamations communautaires pour l’utilisation des terres et le respect des règles liées au contenu local (formation et emploi des Guinéens, et recours aux entreprises guinéennes).
« Sur la formation, il conviendrait de travailler sur un plan « Marshall » en faveur des étudiants et jeunes diplômés pour des formations professionnelles et bilingues sur les mines dans des universités de renom, spécialisées dans les ressources naturelles, financées par les sociétés minières.»
Je pense qu’il faut par exemple renforcer les contrôles de l’utilisation des revenus miniers notamment auprès des collectivités locales qui bénéficient d’un transfert de revenus issus des activités minières (réduire le risque de corruption et de détournement des deniers publics). En matière de relations entre les sociétés et communautés locales, il faut établir une grille de compensation des communautés (critères, délais et périodes). A ce jour, chaque société a sa grille de compensation des communautés locales pour la perte de la terre et des moyens de subsistance, et la réinstallation.
En matière environnementale, il faut revoir le processus de validation des études d’impacts environnementales pour une grande transparence et faire le suivi des recommandations et obligations attachées aux différents permis et autorisations. Sur le contenu local, il faudrait travailler avec les sociétés minières pour que les sociétés contrôlées par des Guinéens bénéficient de points bonus dans les appels d’offres et l’établissement d’une liste d’appels d’offres et de domaines réservés aux nationaux. Sur la formation, il conviendrait de travailler sur un plan « Marshall » en faveur des étudiants et jeunes diplômés pour des formations professionnelles et bilingues sur les mines dans des universités de renom, spécialisées dans les ressources naturelles, financées par les sociétés minières.
Un rétablissement rapide de l’ordre constitutionnel est-il envisageable à court terme ?
Il faut rappeler que la conférence des chefs d’État de la CEDEAO a, dans une déclaration en date du 16 septembre 2021, indiqué que la transition ne devrait durer que 6 mois. Toutefois, il est peu probable que ce délai soit accepté par les acteurs du processus de transition en Guinée. Le CNRD a publié la charte de la transition, qui est la « constitution de la transition » en date du 27 septembre 2021. Cette charte prévoit que la durée de la transition sera définie d’un commun accord entre les forces vives de la nation et le CNRD (article 77). Vu les chantiers à réaliser et les attentes des Guinéens, la transition sera certainement d’au moins une année. Après la nomination d’un Premier ministre civil en charge de la transition le 6 octobre dernier, la liste des membres du gouvernement de la transition devrait être annoncée dans les prochains jours.