(BFI) – Le débat sur la dévaluation du franc CFA, permanent depuis plus de dix ans, est reparti de plus belle. La sortie du gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale, le 12 mai dernier, donnant une lueur d’espoir aux économies concernées, peut-il faire cesser le doute ? Abbas Mahamat Tolli indique en substance, dans sa communication à ce sujet, qu’au regard des éléments techniques dont il dispose, il n’y a pas lieu de parler de dévaluation du franc CFA, du moins pas dans un proche avenir. Le patron de la BEAC estime que le niveau actuel de réserves de change peut couvrir près de cinq mois d’importations dans la sous-région. A ses yeux, cela est suffisant pour éloigner le spectre de la dévaluation du F CFA utilisé en zone CEMAC.
Le communiqué du 12 mai se veut d’ailleurs plus formel : « Au 10 mai 2020, les réserves de change de la BEAC se situent à 5 348,8 milliards de Fcfa, représentant près de cinq mois d’importations de biens et services, pour un taux de couverture extérieure de la monnaie de 74,16% ». Si les activités ne reprennent pas de manière effective et que les exportations ne reprennent pas non plus, les réserves de change actuelles ne vont-elles pas s’épuiser ? A la vérité, de quelle dévaluation voulons-nous parler : celle sous contrainte ou celle qui est volontaire ? La dévaluation, considérée comme le fait de baisser légèrement la valeur de sa monnaie, question d’avoir des prix attractifs face à des concurrents, n’est pas une mauvaise chose en soi. C’est la condition et les capacités à saisir les opportunités autour de cette opération qui font la qualité d’une dévaluation. En fait, c’est la structure d’une économie d’un pays ou des pays d’une communauté monétaire, qui détermine la gestion de sa monnaie. Quelles sont les raisons qui poussent l’Afrique centrale à effectuer une dévaluation ? Si c’est parce que les Etats membres de la sous-région, par exemple, ne disposent pas d’assez de réserves de change, on parlera d’une dévaluation sous contrainte. C’est une situation conjoncturelle défavorable qui les y contraint. Et cela serait en pure perte pour tous les acteurs économiques de la sous-région. Personne ne pourrait plus contrôler le volume des échanges commerciaux, ni le prix à l’exportation.
Par contre, si la dévaluation est bien préparée, volontaire et relève d’une stratégie, d’une astuce économique et commerciale, elle peut être un avantage. Parce que les pays de l’Afrique centrale seraient bien préparés à vendre plus, à réaliser plus d’exportations que d’importations. Pour répondre à cette hypothèse, en l’état actuel des choses, un certain nombre de questions s’imposent. Les économies de la sous-région Afrique centrale sont-elles bien structurées ? Se sont-elles préparées à avoir des structures de production robuste, forte et compétitive ? L’Afrique centrale est-elle capable de préparer une dévaluation de monnaie autonome et voulue, dans les conditions actuelles ? Autant de préoccupations auxquelles il faut apporter des réponses précises, avant de procéder à une dévaluation volontaire qui permettrait de se positionner sur les marchés. C’est une prévision. Elle devient quelque chose de préparé, de souhaité et de mesuré. La Chine a joué sur ce levier dans la guerre commerciale avec les Etats-Unis en 2019, en abaissant la valeur de sa monnaie (le yuan). Plus près de nous, le Nigeria a procédé à la dévaluation volontaire de sa monnaie (le naira) en 2017, pour écouler ses matières premières.
Au fond, le débat sur la dévaluation concerne dans une moindre mesure le citoyen lambda, qui, par exemple, consomme au quotidien le manioc produit localement. Précisément celui qui ne consomme pas ce qui vient de l’étranger. La dévaluation est au-dessus du consommateur des produits locaux. Les enjeux véritables se situent au niveau des Etats, des entreprises et de ceux qui ont des consommations extraverties. Bien formulée, elle est une astuce économique qui permet de vendre plus à des prix attractifs face aux concurrents.
André Noir