(BFI) – L’activité mobilise parfois des dizaines de personnes, sur plusieurs jours, en fonction des quantités de cabosse à traiter. Quelques jeunes gens ont également été réquisitionnés en dehors de la communauté, contre paiement, pour le transport des fèves au village.
Avant même d’avoir vu la couleur de l’argent qu’il attend de cette récolte, Simon Ndjié, cacaoculteur de 50 ans, a le sourire aux lèvres depuis des jours. Un sourire qui s’élargit davantage à chaque fois qu’il pose son regard sur les montagnes de cabosses qui se dressent sur les trois sites d’écabossage de sa plantation de 10 hectares. « Les cabosses sont saines, pas de pourriture brune. Elles ont toutes une belle couleur orangée. C’est très bon signe », relève-t-il. Pour cette étape ardue, le quinquagénaire a invité tous ses voisins et ses amis : c’est la tradition ici à Okok Essele, village de l’arrondissement d’Elig Mfomo. Quelques jeunes gens ont également été réquisitionnés en dehors de la communauté, contre paiement, pour le transport des fèves au village. Pour tout ce beau monde, le propriétaire de la plantation a sorti le grand jeu, comme c’est de culture un peu partout dans la Lékié. Au menu, du vin de palme, de la bière, du poisson en sauce tomate, des cuisses de poulet frites, de l’okok, plat des grands jours très prisés en pays éton.
Assis autour des énormes tas de cabosses, une vingtaine de personnes, sans compter les enfants, s’activent. Espoir Ntsengue, étudiant dans une université à Yaoundé, n’aurait manqué ce moment pour rien au monde. En a-t-il d’ailleurs le choix ? « Chaque année, je trouve du temps pour venir prêter main forte à mon père. C’est ce cacao qui paie mes études et m’entretient. Je ne peux pas m’amuser avec », assure-t-il. Confortablement assis à même le sol, entre deux camarades qu’il a ramenés avec lui, il fend les cabosses à la machette et les dispache avec une rapidité qui laisse ses amis admiratifs. « La force de l’expérience », se vante le jeune homme, sourire en coin. Le travail est organisé en équipes. Certains fendent les cabosses, les hommes surtout. Les autres, les femmes pour l’essentiel, extraient les fèves qui s’entassent dans des récipients. Les doux effluves et le jus sucré qui s’en échappent attirent des abeilles. Les enfants aussi. Ceux-ci s’en donnent à cœur joie, suçant les fèves, mangeant les racines centrales à l’intérieur des cabosses ou buvant goulument le jus de cacao. Les rappels à l’ordre des adultes les prévenant des risques pour leurs dents et ventres n’y font rien.
Le temps humide est propice aux insectes qui viennent bientôt gêner la progression des troupes. Les habitués ont pris soin de se couvrir entièrement le corps, de la tête aux pieds. La fumée d’un feu de branchage disperse rapidement les éléments perturbateurs. L’écabossage se poursuit dans une ambiance bonne enfant. De temps en temps, les femmes poussent la chansonnette et les youyous. Des débats naissent aussi. Rien de bien méchant, même si on en profite pour régler certaines situations familiales, du fait de la présence du plus grand nombre de membres habituellement absents du village. Des conseils sont également prodigués, au passage, aux jeunes gens. Et comme toujours dans ce genre de rassemblement, les plaisanteries grivoises ne manquent pas. « N’oubliez pas qu’il y a des enfants parmi nous. Je ne veux pas de ces propos déplacés ici aujourd’hui », lâche le propriétaire de la cacaoyère. Plusieurs cuvettes étant déjà pleines de fèves, les gros bras les transportent au village sis à deux kilomètres. Il faut attendre leur retour pour prendre une petite pause et partager le repas, dans la même effervescence. Tout passant est invité à manger un bout et à boire un verre.
Les fèves transportées au village sont versées dans de grosses caisses tapissées de feuilles de bananiers avec lesquelles on les recouvre entièrement, pour la fermentation. C’est l’une des étapes les plus délicates. Elle sert à stopper la germination des fèves et révéler leurs précieux arômes, nutriments et couleurs. L’écabossage se termine aux alentours de 17h. Les dernières cargaisons de fèves sont transportées et rejoignent les autres dans les caisses. En cacaoculteur expérimenté, Simon Ndjié s’assure, malgré la fatigue, que tout est fait selon les règles de l’art. Il prend soin d’installer des voies d’évacuation dans le fond des caisses, pour faciliter l’écoulement du jus des fèves. Celles-ci resteront une semaine dans ces caisses. Les jours suivants, une étrange odeur s’en dégage. Les connaisseurs assurent que c’est le gage de qualité.
André Noir