(BFI) – Le GICAM a diffusé, le 24 avril 2020, son rapport d’enquête de l’impact du COVID-19 sur les entreprises au Cameroun. Ce rapport, daté du 22 avril 2020, présenterait le résultat de l’enquête menée du 13 au 21 avril 2020 auprès des entreprises, pour le mois de mars 2020. Nous ne rentrerons pas dans la théorie des enquêtes pour cette analyse, mais nous nous devons néanmoins de rappeler que « Réaliser une enquête, c’est interroger un certain nombre d’individus (ici des entreprises) en vue d’une généralisation ». Ceci dit, le rapport du GICAM présente quelques points positifs (I), de même qu’il étale un certain nombre de manquements et insuffisances (II).
I – LES POINTS POSITIFS
Ils portent sur l’objectif visé (1.1), certaines questions de l’enquête posées avec précision (1.2),
- – L’objectif visé
Dès l’introduction, on peut noter que qu’ « Avec l’évolution rapide de l’épidémie du coronavirus (Covid-19) et au regard des graves menaces qu’elle fait peser sur l’économie nationale et sur les entreprises, la Cellule de veille mise en place au GICAM effectue le suivi des répercussions de la crise, notamment pour éclairer les décisions administratives et les mesures de politique économique ». Le GICAM voudrait donc se repositionner au niveau de la définition de la politique économique, suite aux reproches que nous avions faits après la diffusion, le 31 mars dernier, de son document intitulé « les premières propositions du GICAM au Gouvernement ». A cette occasion, nous avions en effet affirmé que le GICAM devrait être plus actif dans l’élaboration de la politique économique globale, puis de la politique industrielle, domaines dans lesquels son absence était déplorable.
- – La précision de certains points du questionnaire ayant guidé l’enquête
Certains points du questionnaire ont retenu notre attention, pour la clarté et la précision requises dans les enquêtes statistiques. Il s’agit notamment des questions 16, 17 et 18, qui se présentent comme suit :
« Q.16. Dans quelle tranche se situait le chiffre d’affaires HT de votre entreprise en 2019 ? (Inférieur à 250 millions de FCFA, Entre 250 millions et 01 milliard de FCFA, Entre 01 et 03 milliard de FCFA, Supérieur à 3 milliards de FCFA)
Q.17. Quel était l’effectif total de votre entreprise au 31 décembre 2019 ? (Inférieur à 05 personnes, Entre 06 et 20 personnes, Entre 21 et 100 personnes, Supérieur à 100 personnes)
Q.18. Quel est votre secteur d’activité principal ? (Agriculture, sylviculture et exploitation forestière, Fabrication des produits alimentaires et boissons, Fonderie, travaux des métaux, Autres industries, BTP, Commerce de gros et de détails, Intermédiation financière et assurance, Service aux entreprises, Hôtels et restaurants, Télécommunications et informatiques, Transports, postes et auxiliaires de transports, Activités à caractère collectif, Services d’éducation, Autre) ».
A partir des questions 16 et 17 notamment, il devrait être loisible à tout analyste de classer l’entreprise enquêtée parmi les Très Petites Entreprises (TPE), le Petites Entreprises (PE), les Moyennes Entreprises (ME) ou les Grandes Entreprises (GE). La question 18 quant à elle permet de les classer par secteur d’activités (Industrie, Commerce, Tourisme, etc).
II – LES MANQUEMENTS ET INSUFFISANCES
Ils ont traits à la méthodologie (2.1) et au fond (2.2)
2.1 – Les manquements liés à la méthodologie de travail
Ils concernent l’absence d’une question d’étude (1), d’identification de l’échantillon d’entreprises (2), le caractère vague de certains points du questionnaire (3).
2.1.1 – L’absence d’une question d’étude
L’enquête vise en effet à répondre à une interrogation, il s’agit donc de la poser clairement. Une bonne question de départ répondra à certains critères de qualité : clarté, faisabilité, pertinence.
2.1.2 – L’absence d‘identification de l’échantillon
Cette enquête pouvait exhaustives, parce qu’il est possible d’interroger l’ensemble des membres du GICAM. Mais à la lecture du rapport, il ressort que cela n’a pas été le cas. Cependant, l’échantillon constitué n’est pas communiqué, comme il est de règle. Nous ne pouvons ainsi savoir si l’échantillon est biaisé, s’il est représentatif de la population constituée par « les entreprises au Cameroun ».
Ainsi, le nombre d’entreprises ayant pris part à l’enquête devait être communiqué, puis faire l’objet d’une ventilation par catégorie (TPE, PE, ME, GE), par secteur d’activités, par localisation, etc… ce qui n’a pas été le cas pour ce rapport.
2.1.3 – Le caractère vague de certains points du questionnaire
Il convient de rappeler que le remplissage du questionnaire est assuré par le répondant lui-même. Il est alors fondamental de soigner la qualité du questionnaire : les questions doivent être courtes, compréhensibles, avec un nombre limité de modalités de réponses, peu ouvertes. Les questions 2, 4, 5 ne semblent pas rentrer dans cette description. Elles se présentent comme suit :
Q.2. Quels sont les fonctions de votre entreprise qui sont directement affectées ? (Production, ventes/chiffre d’affaires, achats/approvisionnements, commandes des clients, ressources humaines, autres).
Q.4. Quelle serait l’ordre de grandeur de cette évolution (CA HT du mois de mars 2020 comparé à celui du mois de mars 2019) ? (<5%, >5%<10%, >10%<20%, >20%).
Q.5.a. Quelles pourraient être les conséquences de la crise actuelle sur votre entreprise dans un avenir proche dans le domaine des ressources humaines ? (chômage partiel, réduction des effectifs, augmentation des effectifs, stabilité des effectifs).
Q.5.b. Quelles pourraient être les conséquences de la crise actuelle sur votre entreprise dans un avenir proche concernant la trésorerie ? (Fortes tensions de trésorerie, Amélioration de la trésorerie).
Q.5.c. Quelles pourraient être les conséquences de la crise actuelle sur votre entreprise dans un avenir proche dans le domaine des investissements ? (Report des investissements, Réalisation de nouveaux investissements, Réorientation des investissements).
Q.5.d. Quelles pourraient être les conséquences de la crise actuelle sur votre entreprise dans un avenir proche concernant la situation globale de l’entreprise ? (Fermeture de certains établissements, Dépôt de bilan / fermeture de l’entreprise, Extension de l’entreprise, Restructuration de l’entreprise, Je ne sais pas, Autre).
Ces questions semblent plus relever d’une enquête administrative. A ce niveau, le GICAM aurait pu mettre à la disposition de la population concernée des tableaux dans lesquels les données seraient renseignées mensuellement, de janvier 2019 à mars 2020. Les tendances se dégageraient d’elles-mêmes, et on pourrait simplement solliciter les entreprises pour une meilleure compréhension des tendances ainsi constatées. Par cette approche, la question 3 soit ne se poserait plus, soit elle se formulerait différemment. Dans le questionnaire, elle se présente comme suit :
Q.3. Par rapport au mois de mars de l’année 2019, comment a évolué le chiffre d’affaires HT de votre entreprise au mois de mars de l’année 2020 ? (en baisse, stable, en hausse).
Enfin, certaines autres questions semblent plutôt relever de l’imaginaire. C’est le cas de la question 6, ainsi libellée :
Q.6. Compte tenu des restrictions gouvernementales et de la situation de votre trésorerie actuelle, combien de temps votre entreprise pourrait-elle tenir ? (Au plus un mois, Au plus deux mois, Au plus trois mois, Plus de trois mois, Je ne sais pas).
L’enquête ayant abouti à ce rapport porte sur le mois de mars 2020. A ce moment, le gouvernement avait déjà pris treize mesures pour barrer la route au COVID-19. Il serait bon que le GICAM pose chacune de ces mesures et face d’elles, les diverses possibilités de réponse.
2.2 – Les insuffisances liées au fond
Le fond de ce rapport est déjà suffisamment fragilisé avec les manquements liés à la méthodologie de travail, tel que présenté ci-dessus. Mais nous insisterons sur quelques points, notamment les questions visant un certain habillage (1) et des résultats insatisfaisants (2).
2.2.1 – Les questions destinées à un certain habillage
Les questions 7a, 7b et 8 semblent être conçues « sur mesure » par rapport aux « premières propositions du GICAM au Gouvernement », en date du 31 mars 2020. Ces questions sont ainsi formulées :
Q.7. a. Pour faire face à cette crise, avez-vous sollicité des aides / facilités sur la plan fiscal, douanier et social (de l’administration fiscale (sursis de paiement des impôts, facilités, …), de l’administration des douanes (sursis, facilités de procédures, …), de la CNPS (report de paiement des cotisations sociales, etc…), du Ministère du Travail et de la Sécurité Sociale, autre)
Q.7. b. Pour faire face à cette crise, avez-vous sollicité des aides / facilités sur la plan financier (de votre banque ou de la tontine (crédit, étalement de la dette, et…), de votre assureur, de votre Bailleur (baisse du coût ou report de loyer, etc…), de vos fournisseurs (flexibilité des délais de paiement, etc…), de vos clients (payement en avance, etc…), de vos actionnaires (compte courant, augmentation du capital, etc.), Autre)
Q.8. Pour faire face à la crise, vous pourriez avoir besoin d’un accompagnement (Financier (reconstituer trésorerie, réaliser un prévisionnel), Développement commercial (cibler vos clients, votre marché, marketing), RH (gérer les équipes, recrutement), Numérique (présence renforcée de votre entreprise en ligne, télé travail, etc.)
On comprend aisément qu’à la suite des critiques que nous avions formulées sur ce document, le GICAM cherche actuellement à justifier ses propositions « au plan fiscal et social », « au plan douanier », « au plan monétaire et financier ».
Il confirme ainsi, comme nous l’avions dit en son temps, qu’il a « mis la charrue avant les bœufs ».
Les questions 14 et 15 viennent peaufiner cet habillage pour donner mandat au GICAM de poser ses actes du 31 mars 2020. Elles se présentent comme suit :
Q.14. Quelles sont vos attentes spécifiques vis-à-vis du GICAM pour accompagner votre entreprise / secteur d’activité face à cette crise ?
Q.15. Quelles sont vos attentes spécifiques vis-à-vis des pouvoirs publics pour accompagner votre entreprise / secteur d’activité face à cette crise ?
En effet, les deux points de conclusion du rapport précisent ceci :
1) Requêtes des entreprises vis-à-vis des pouvoirs publics
Les principales requêtes des entreprises vis-à-vis des pouvoirs publics, issues de l’enquête sont
● Report des charges sociales et fiscales ;
● Financement de trésorerie à taux d’intérêt réduit ;
● Mise à disposition des masques à des prix abordables ;
● Mise à disposition des tests à des prix abordables ;
● Communication permanente sur la crise sanitaire ;
● Réduction des délais de paiement ;
● Report du paiement des loyers et factures ;
● Etre la caution des PME auprès des banques ;
● Réduction des délais de paiement des factures ;
2) Requêtes des entreprises vis-à-vis du GICAM
Les principales requêtes des entreprises vis-à-vis du GICAM, issues de l’enquête sont :
● Plaidoyer pour mesures d’accompagnement fiscal et multiforme ;
● Promouvoir l’économie circulaire ;
● Réduction des délais de paiements inter-entreprises
● Organiser un système pour faciliter l’accès des patrons aux soins ;
● Sensibiliser ENEO pour la fourniture continuellement en électricité ;
● Sensibiliser l’Etat à payer les fournisseurs de masques comptant à la livraison ;
● Renégociation des taux de crédit ;
2.2.2 – Des résultats insatisfaisants
Aucune donnée n’est en valeurs absolues. Toutes sont en valeurs relatives, y compris les annexes. Or la méthodologie recommande de partir des valeurs absolues vers les valeurs relatives. Par cette approche, le rapport semble vouloir dissimuler un échantillon non représentatif. On ne peut pas se fier à se conclusions.
L’on note un amalgame dans les analyses par catégorie d’entreprises et par secteur d’activités, bien que le questionnaire ait été orienté, dans les questions 16, 17 et 18, pour faciliter leur appréhension. A la page 9 par exemple, on peut lire :
« 77% des entreprises indiquent que leur chiffre d’affaires hors taxes (CAHT) est en baisse en mars 2020 par rapport au même mois de l’année 2019. Cette proportion est plus importante chez les PME (83%) que les grandes entreprises (62%), et chez les entreprises de services (81%) que chez les entreprises industrielles (68%). Autrement dit les PME et les entreprises de services subissent plus sévèrement l’impact du COVID-19 ».
Par ailleurs, le chiffre d’affaires ayant un lien avec les achats/approvisionnements, cette conclusion n’est pas cohérente avec celle de la page 6, où il est écrit que « 44% des entreprises ont déclaré que leurs achats / approvisionnements sont directement affectés par la pandémie du COVID-19. Les entreprises industrielles et les grandes entreprises semblent être plus concernées que les entreprises de services et les PME. En effet, 62% des grandes entreprises affirment que leurs achats / approvisionnement sont affectées contre 38% chez les PME. De même 56% des entreprises industrielles indiquent que leurs achats / approvisionnements sont affectés contre 38% chez les entreprises de services ».
Certaines questions n’ont pas été analysées dans le rapport, à l’instar de celles n° 09 et 10 :
Q.9. Avez-vous déjà pris ou envisagé des mesures d’adaptation en interne ou au sein de votre secteur d’activité pour faire face à cette crise ? (oui, non).
Q.10. Quelles sont ces mesures ? (Mise en place d’un système de lavage des mains, Mise à disposition des gels hydro alcoolique dans les bureaux, Mise à disposition des masques aux employés, Mise en place de thermo flash, Désinfection des locaux, Réorganisation/aménagement des équipes, Formation du personnel (télétravail, etc.), Restriction des accès à l’entreprise, test de tous les employés au COVID-19, Autre).
Pourtant, la question n° 11 suivante, qui découle de ces deux précédentes est traitée.
Q.11. A combien estimez-vous le coût de ces mesures d’adaptation interne au sein de votre entreprise jusqu’au 31 mars ? (Moins de 50 millions FCFA, Entre 50 et 100 millions de FCFA, Entre 100 et 250 millions de FCFA, Entre 250 et 500 millions FCFA, Plus de 500 millions de FCFA, Formation du personnel (télétravail, etc.), Autre.
Pour cette question n° 11, le rapport précise que « Pour l’essentiel des entreprises, le coût des mesures d’adaptation est en deçà de 50 millions de FCFA par entreprise ».
En conclusion, on peut dire que le document actuel du GICAM a été rédigé dans la précipitation, après avoir pris connaissance de ce que le Gouvernement prépare un plan de soutien à l’économie suite à la pandémie du COVID-19. Il n’avait pour seul but que d’essayer de justifier les premières propositions faites maladroitement au gouvernement le 31 mars 2020.
IL N’EST PAS RECOMMANDABLE !