(BFI) – La SONARA créée par décret du 24 mars 1973, est une raffinerie de type Topping-Reforming, c’est-à-dire une « raffinerie du pauvre », appelée à traiter un type de pétrole brut à la fois, en général un brut léger. Pour le cas d’espèces, ce sont ceux du Nigéria voisin (Bonny Light, Okwori, Brass River, …).
En situation normale, la SONARA achète du pétrole brut sur le marché international, qu’elle transforme en produits pétroliers raffinés qui sont ensuite mis sur le marché national, régional et international. La SONARA a l’obligation de satisfaire au moins 80 % de la demande nationale. Les 20 % restant font l’objet d’un appel d’offres auquel la SONARA participe avec les autres Maketers. Lorsqu’elle est dans l’incapacité de satisfaire tout ou partie de la demande nationale, elle en informe le Ministère assurant sa tutelle technique afin que des dispositions soient prises pour importer les quantités de produits nécessaires.
Les achats de la SONARA, qu’ils portent sur le pétrole brut ou sur les produits pétroliers raffinés, se faisaient en Open-credit auprès des grands traders reconnus sur la place pétrolière, contre mise en place d’un Payment Undertaking. Dans ce système d’approvisionnement, les intérêts commençaient à courir le 31ème jour au taux LIBOR + une Marge, variable en fonction de la durée du crédit qui généralement pouvait être de 60 jours, 90 jours ou 120 jours.
La raffinerie a fonctionné, depuis la loi du 14 décembre 1976 lui accordant une convention d’établissement, suivant les mécanismes de l’usine exercée telle qu’elle était organisée en France avant son entrée dans le marché communautaire : les produits y entraient en suspension des droits et taxes, l’usine exercée conférant une certaine extra-territorialité. Par contre lors de la mise à la consommation, les impôts et taxes étaient liquidés sur des produits listés de manière exhaustive.
Les produits sont livrés sur le marché international sur la base des cours internationaux majorés d’une prime. Ils sont livrés sur le marché national sur la base d’une formule de prix sorti raffinerie arrêtée par le gouvernement sans la participation de la SONARA, et à partir d’une structure de prix à la pompe arrêtée et diffusée par la CSPH. En termes commerciaux courants, le prix sorti raffinerie correspond au prix de revient majoré d’une marge bénéficiaire pour donner le prix de vente. C’est ce qui se fait dans toute entreprise industrielle et commerciale.
En vue de traiter sans pertes dommageables le pétrole brut lourd du Cameroun et de la sous-région CEMAC et de contribuer positivement à la balance commerciale, la SONARA a lancé en 2008 le projet d’extension et de modernisation de la raffinerie en deux phases. Ce projet était assis sur un business plan projetant la raffinerie sur dix ans, bâti sur la base de la formule de prix sorti raffinerie existante et suivant un environnement fiscal stable, notamment la pratique de l’usine exercée. Après quelques difficultés de départ, la première phase devait s’achever au plus tard en début 2014 et la seconde phase devait démarrer en temps masqué en 2013.
Force est de constater qu’en 2021, non seulement la première phase de ce projet n’est toujours pas achevée, mais de plus la raffinerie est en arrêt suite au sinistre survenu en fin mai 2019 et croule sous le poids d’une énorme dette. Avant d’examiner la restructuration entamée de cette dette (IV), il convient de parcourir au préalable sa nature (I), ses origines (II) les divers traitements qui lui ont été appliqués (III).
I – NATURE DE LA DETTE
La dette de la SONARA est à la fois commerciale, financière et fiscale (Impôts et Douane). S’agissant de la dette commerciale d’environ 507 milliards de FCFA, elle découle du cycle approvisionnement – transformation de pétrole brut, commercialisation des produits pétroliers raffinés. Quant à la dette financière d’environ 272 milliards de FCFA, elle a trait au financement de l’investissement d’une part et d’une partie de l’exploitation d’autre part. En ce qui concerne la dette fiscale, elle découle pour une bonne partie des errements de la Direction Financière qui en 2017, est allée reconnaître auprès de l’Administration fiscale des dettes imaginaires des exercices 2005, 2007, 2010, 2011…. Celle-là méritera un retraitement minutieux avant sa restructuration.
II – ORIGINES ET FORMATION DE LA DETTE
La dette de la SONARA a des origines lointaines, qui tournent principalement autour de la gestion du Manque à Gagner depuis 2008 (2.1). Plus tard, cette dette sera amplifiée à partir de causes internes liés au management, notamment entre 2013 et 2018 (2.2).
2.1 – L’ACCUMULATION DES IMPAYES DE MANQUE A GAGNER
Le manque à gagner ou Soutien Etat à la consommation avait été initié par la CSPH en juillet 2000 dans le cadre de la stabilisation des prix des produits pétroliers à la pompe. C’est une subvention que l’Etat accorde aux consommateurs de ces produits et qui a été placée subtilement sous la responsabilité de la SONARA en lieu et place de la CSPH. Le manque à gagner devait être payé chaque mois par le Ministre des Finances à travers les transferts budgétaires, suivant des procès-verbaux arrêtant mensuellement les différents montants y afférents ». Jusqu’en 2007, ce mécanisme a assez bien fonctionné. A partir de 2008, le nouveau Ministre des Finances voulait y voir clair et avait gelé ces paiements. Ceux-ci ont repris en mi 2010, pendant que les Manques à gagner connaissaient une courbe ascendante et devenaient insoutenables pour le Trésor Public au fil des années. Les impayés de MAG sont ainsi passés de 14 307 MFCFA en 2007 à 93 780 MFCFA en 2008, 136 228 MFCFA en 2010, 243 308 MFCFA en 2011, 371 827 MFCFA en 2012, 456 661 MFCFA en 2014, 259 948 MFCFA en 2015, …. après la compensation avec les dettes fiscales, initiée à partir de 2011. Le solde impayé annuel des MAG représentait en moyenne 115 % du solde des fournisseurs de pétrole brut en 2011, 117 % en 2012, 94 % en 2014. On pourrait donc penser que sans l’accumulation des impayés de MAG, Le solde de ces comptes fournisseurs de pétrole brut serait nettement bas et les tensions de trésorerie seraient plus faibles. Or dans cette situation, les délais de paiement aux fournisseurs de pétrole brut se sont rallongés jusqu’en 2013, sans toutefois conserver des factures impayées au-delà de 180 jours.
2.2 – LE CHANGEMENT DU MODE D’APPROVISIONNEMENT EN DECEMBRE 2013
Depuis décembre 2013, le top Management de l’époque a décidé que la raffinerie s’approvisionnerait en pétrole brut, non plus en Open Crédit comme c’était le cas jusque-là, mais après mise en place préalable d’une Lettre de Crédit irrévocable et confirmée. Avec la pratique des LC, toute la trésorerie disponible était orientée vers la constitution de provisions nécessaires à leur ouverture, puis au respect de leurs échéances. Il n’était plus possible, dans ces conditions, de poursuivre le paiement partiel et régulier des factures de pétrole brut précédemment acheté en « open account ».
Ceci a entrainé une accumulation des impayés sur les fournisseurs de pétrole brut que la SONARA traîne toujours à ce jour, et une explosion des intérêts de retard sur ces fournisseurs, la durée du crédit ayant crevé les plafonds contractuels et s’étalant désormais sur plusieurs exercices. Ils peuvent être résumés comme suit en millions de FCFA :
ELEMENTS | 2016 | 2017 |
ACHATS BRUT –(PF) | 396 293 | 347 577 |
SOLDE FOURNISSR DE BRUT | 250 386 | 309 168 |
A côté de cela, les primes sur achat de brut qui devaient logiquement baisser par la pratique des LC ont plutôt été relevées, alourdissant les besoins de mobilisation en vue de la mise en place des LC.
III – ESSAIS DE SOLUTIONS ANTERIEURES
Pour résoudre le problème de trésorerie induit par les Manques à gagner, le gouvernement a décidé, en fin 2010, un certain nombre de mesures controversées, soutenues seulement par la DGD et la CSPH. Ces mesures, dont certaines relèvent du domaine de la Loi, n’ont finalement été mise en œuvre qu’à partir de janvier 2012. Il s’agit du déclassement de la SONARA du régime douanier suspensif, l’Usine Exercée, au régime douanier de droit commun (3.1), et de la révision du protocole d’établissement des prix sorti raffinerie (3.2). La conséquence de ces mesures a été le déclenchement de la procédure d’alerte par les Commissaires aux Comptes, qui a entrainé la mise sur pieds d’un plan de restructuration en octobre 2015, puis en octobre 2017. Les résultats de ces plans restent très mitigés (3.3).
3.1 – LE DECLASSEMENT DE LA SONARA DE L’USINE EXERCEE VERS LE DROIT COMMUN
Avec la Loi de Finances pour l’exercice 2012, la SONARA est devenue la première raffinerie au monde à fonctionner sous le régime douanier de droit commun. Ce nouveau régime a créé des complications dans son application, que même la DGD n’a pas su résoudre. En effet, pour éviter une sur taxation de certains produits normalement exonérés du Droit de Douanes, Il avait été décidé d’appliquer un mécanisme de DrawBack, qui n’a connu un début d’application qu’en 2015. Les coûts de production se trouvaient ainsi alourdis par ce nouvel élément que sont les droits de douane sur importation de pétrole brut ou de produits pétroliers raffinés.
Au niveau des recettes douanières, nous étions loin des objectifs escomptés. De 52 milliards de FCFA collectés par la SONARA en 2011, le chiffre est passé à 23 milliards de FCFA en 2012 et à 25 milliards de FCFA en 2013….
3.2 – LES REVISIONS SUCCESSIVES DU PROTOCOLE D’ETABLISSEMENT DES PRIX EX-RAFFINERIE
Toujours à partir du 01er janvier 2012, le protocole d’établissement des prix sortis raffinerie a connu une première révision, qui a permis d’y supprimer un certain nombre d’éléments constitutifs du prix de revient des produits pétroliers, à l’instar de l’Ajustement Economique réduit de 15 % à 12 %, et du Dead Freight supprimé. Ces deux points ont entraîné une baisse des recettes pour la SONARA, qui était ainsi contrainte de vendre ses produits à un prix administré inférieur à son prix de revient. Malgré cela en 2014, l’Ajustement Economique à connu une nouvelle coupe, passant de 12 % à 10 %. Parallèlement, les frais de cabotage ont été réduits arbitrairement de 2,5 FCFA/litre, tous produits confondus.
Pour l’exercice 2012, l’impact cumulé de l’ensemble de ces mesures sur le résultat a été de 27,5 milliards de FCFA. Le résultat après impôts s’est établi à un déficit de 20,7 milliards de FCFA. Autrement dit, s’il n’y avait pas eu ces mesures, le résultat net aurait été bénéficiaire de 6,8 milliards de FCFA.
Pour l’exercice 2014, l’impact de ces mêmes mesures gouvernementales a été de 23,9 milliards de FCFA, pour un résultat après impôts déficitaire de 54,1 milliards de FCFA. Autrement dit, même sans les mesures gouvernementales, le résultat aurait été déficitaire de 30,2 milliards de FCFA.
Les capitaux propres qui étaient positifs à 101 milliards de FCFA en fin 2011, sont devenus négatifs à -5,5 milliards de FCFA en fin 2014.
On peut donc constater qu’en voulant résoudre un problème de trésorerie créé à la SONARA, non seulement le gouvernement n’y est pas parvenu, mais il y a créé un problème de rentabilité et de viabilité renforcé par un management approximatif. A partir de là, à côté des fournisseurs de pétrole brut ou de produits pétroliers raffinés qui n’étaient plus payés régulièrement, s’ajoutent l’impossibilité d’honorer l’ensemble des échéances des concours bancaires.
Après l’alerte des CAC, un premier plan de restructuration a été élaboré en octobre 2015 avec l’ambition de remédier à la situation au cours des trois exercices suivants.
3.3 – RESULTATS OBTENUS ET NON OBTENUS
En application de ce plan de restructuration, la Loi de Finances pour l’exercice 2016 a rétabli la SONARA dans le régime douanier suspensif tel qu’il était appliqué jusqu’en 2011. Cette loi a également intégré le plafonnement de la Redevance Informatique, l’abattement de 50 % de l’assiette de la TSR sur les travaux de modernisation de la raffinerie ainsi que sur l’acompte d’IS. Certaines mesures relatives à l’amélioration de la trésorerie sont intervenues partiellement et avec un certain retard, notamment la cession partielle des OTZ détenus par la SONARA.
Par contre, le protocole d’établissement des prix sortis raffinerie n’a pas été revu et est demeuré tel qu’en 2014. Un certain nombre de mesures incombant à la SONARA n’a pas été réalisés non plus.
Dans ces entrefaites, un nouveau plan de restructuration moins élaboré que le précédent est adopté en octobre 2017. Il a notamment supprimé l’Ajustement Economique et l’a remplacé par une Marge Fixe, contraire aux best practices en matière de prix dans une industrie. Dans le cadre de l’arrêté des comptes clos le 31 décembre 2018 avec un déficit de près de 80 milliards de FCFA, les CAC ont exigé l’adoption de mesures visant à assurer la continuité de l’exploitation. Un nouveau plan de restructuration a ainsi été élaboré et adopté en fin 2019. Il intégrait un projet de restructuration de la dette globale de la SONARA, tant commerciale que bancaire ainsi que le financement des opérations d’importation, sous le pilotage d’une ou deux banques. Le principal risque de ce projet était d’aboutir à une délocalisation de la Direction Financière.
Ce plan a été récupéré et refondu par une commission interministérielle, qui vient d’aboutir à une solution partielle, la restructuration de la dette bancaire. Avant cela, le Gouvernement avait déjà pris un certain nombre de mesures dont la revalorisation de la marge importateur à 16 FCFA/litre, l’augmentation du poste frais financiers de 1 % à 2,8 % du prix du produit, l’introduction d’une ligne « soutien SONARA » de 47,88 FCFA/litre dans la structure des prix.
IV – APPRECIATION DES MESURES ACTUELLES
Le protocole d’établissement des prix sortis raffinerie n’a toujours pas été révisé, d’autant plus que depuis juin 2019, l’activité industrielle est suspendue à la suite du sinistre. Mais le montant de 47,88 FCFA/litre introduit dans la ligne « soutien SONARA » correspond sensiblement à ce qu’il faudrait à la SONARA pour combler le gap crée par la révision du protocole d’établissement des prix ex-raffinerie.
De prime abord, c’est une bonne opération. Mais sa mise en œuvre causera sans doute certains problèmes. En général dans ce type de convention, chaque partie prenante est appelée à la traduire dans ses comptes.
Au niveau de l’Etat, celui-ci donne généralement mandat à la DGB, la DGTCFM, la CAA, d’exécuter les engagements prévus. Or il est plus question dans un premier temps, d’une comptabilité d’engagements, pas très courante en comptabilité publique.
Au niveau des banques, chaque banque impliquée passera aisément les écritures la concernant, suivant que son ou ses financements restructurés sont à Court Terme ou à Moyen Terme.
Au niveau de la SONARA, la traduction pourrait être complexe, la dette bancaire ayant été reprise par l’Etat. Ce traitement devrait changer selon que la dette reprise était à Court Terme ou à Moyen Terme. De plus, ce traitement devrait faire intervenir une partie des fonds provenant de la ligne « soutien SONARA ». Or le mécanisme mis en place pour l’utilisation de cette ligne, est celui d’une subvention d’exploitation, qui cadre donc mieux avec les opérations à Court Terme.
Durant le temps que durera ce mécanisme, la SONARA sera donc une entreprise ouvertement subventionnée, qui ne l’avait encore jamais été auparavant. Ceci est d’autant plus paradoxal que l’Ajustement Economique a d’abord été réduit puis supprimé parce que plusieurs acteurs du secteur pétrolier aval l’avait à tort assimilé à une subvention. Toute analyse des comptes de la SONARA mettra régulièrement en exergue cette subvention, ce qui sera pénalisant à terme.
CHANCES & CONDITIONS DE REUSSITE A MOYEN ET LONG TERME
La restructuration de la dette bancaire en elle même est positive, dans la mesure où cette dette était une sorte d’épée de Damoclès sur l’économie nationale. Mais elle est insuffisante pour que la SONARA reprenne son rôle pilote dans cette même économie.
Pour que l’opération commencée puisse réussir et perdurer, la restructuration de la dette commerciale ne devrait pas tarder.
A côté de cette restructuration de la dette commerciale, la reconstruction des unités détruites de la raffinerie devrait enfin pouvoir démarrer, pour qu’à l’horizon 2024/2025, la SONARA redevienne une unité industrielle et cesse d’être un sous importateur de produits pétroliers, le Gouvernement à travers le MINEE étant actuellement l’importateur principal de ces produits.
A ce moment, il sera important d’arrêter un protocole d’établissement des prix sortis raffinerie qui permette de couvrir la totalité des charges réelles de la SONARA.
Par Dr Albert Léonard DIKOUME, Ancien Directeur Financier de la SONARA, Consultant International