(BFI) – Plus d’un an après avoir porté le projet, EBI SA, filiale internationale du Groupe Ecobank, a finalement lancé RapidTransfer International, sa solution de transfert d’argent destinée à la diaspora africaine en Europe. Dans cet entretien avec La Tribune Afrique, Guillaume Pambrun, directeur général d’Africa Rapid Transfer – structure qui déploie cette solution- et membre du Comex d’EBI SA en dit un peu plus sur cette solution digitalisée, analyse l’évolution du marché des transferts d’argent de la diaspora africaine et l’impact de la crise actuelle, tout en livrant une lecture prospective.
Le marché des transferts d’argent de la diaspora pèse 46 milliards de dollars en Afrique en 2018 et représente environ 5% du PIB -voire plus- dans plusieurs pays africains selon l’OCDE. Le lancement de RapidTransfer International confirme l’intérêt des banques traditionnelles pour cette activité digitalisée. Comment analysez-vous l’évolution et la structuration de ce marché à l’échelle continentale ?
Le marché des transferts d’argent de la diaspora africaine représente en effet une manne financière et s’est transformé en une véritable industrie au fil des ans. Nous avons pu constater une multiplication d’acteurs qui vont de la jeune pousse (généralement les fintech) à des banques traditionnelles. Petit à petit, le marché laisse de la place pour toutes les typologies d’acteurs. Il faut également souligner que les consommateurs nourrissent une attente très forte, d’ailleurs relayée dans une étude en 2018, selon laquelle le secteur des transferts de fonds était caractérisé par des processus trop longs, un service client parfois à capacité limitée, et surtout des frais de changes cachés (hidden fees en anglais) qui représentaient des commissions très élevées et une certaine frustration de la part des consommateurs. Avec le lancement de RapidTransfer International, nous avons voulu répondre à ces différentes problématiques.
Depuis plus d’un an, EBI SA, la filiale internationale d’Ecobank prévoyait un focus particulier sur les envois de fonds de la diaspora qui représentent désormais près du double de l’aide publique au développement. Quels sont les fondamentaux de la stratégie d’Africa Rapid Transfer ?
Tout d’abord RapidTransfer est une solution innovante. Il faut savoir que le groupe Ecobank a engagé une véritable transformation digitale depuis plusieurs années et RapidTransfer International, qui est une solution de transfert d’argent digitalisée, est le reflet de cette transformation digitale. Pour la concevoir, nous nous sommes entourés des meilleurs experts du groupe Ecobank en la matière.
Cette solution dispose d’un autre point fort, c’est qu’elle bénéficie de la couverture géographique du groupe Ecobank qui est implanté dans 33 pays d’Afrique subsaharienne. Nous avons également capté tous les foyers de la diaspora africaine en Europe et sommes donc sur une quinzaine de pays à savoir la France, la Belgique, le Royaume-Uni, mais également l’Espagne le Portugal, l’Italie, l’Allemagne… Cela nous permet aujourd’hui de lancer commercialement RapidTransfer International en ciblant près de 48 pays au total en Afrique et en Europe. A noter que dans un pays comme la France à titre d’exemple, le marché des transferts d’argent entre la France et le continent africain représente 1,5 milliards d’euros par an.
Aussi, RapidTransfer International se veut une application mobile panafricaine, non seulement parce qu’elle émane de la première banque panafricaine, mais aussi parce qu’une grande partie de la population afro-européenne est de plus en plus sensible aux projets portés par des entreprises en Afrique et veut donc de plus en plus les accompagner et ainsi contribuer au développement économique du continent. D’autre part, nous voulons pouvoir soutenir leurs proches au quotidien avec une solution de transfert d’argent.
Enfin, l’axe que nous avons également souhaité développé, est de proposer à la diaspora une tarification compétitive et transparente pour répondre à leurs plaintes passées. Nous accordons un soin particulier à avoir une tarification compétitive dont le client dispose de tous les détails. Cette capacité peut s’expliquer par le fait que nous sommes au sein d’une grande banque panafricaine et avons donc accès à un certain nombre de devises. Ce qui nous rend capables de proposer des taux de changes intéressants aux bénéficiaires de nos services.
Envisagez-vous une ouverture sur d’autres régions du monde ?
C’est une stratégie que nous étudierons. Mais étant le prolongement du groupe Ecobank, nous sommes focalisés sur ce corridor Europe-Afrique dans un horizon court-termiste. L’expansion internationale s’effectue sur le continent européen et nous étudierons plus tard les opportunités qui pourront s’offrir à nous pour développer la solution sur d’autres régions du monde.
La Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies prévoit une chute de 21% des transferts d’argent de la diaspora africaine en 2020, en raison de la crise de Covid-19. Or certains pays comme le Maroc et l’Egypte enregistrent des niveaux records. Comment percevez-vous l’impact de cette crise sur ce marché ?
En cette période de crise économique qui touche l’Afrique et ses diasporas, mais aussi le reste du monde, il faut vraiment souligner la résilience et la solidarité des communautés africaines. Ce qui fait qu’en dépit de la crise, ces communautés auront toujours besoin des services de transfert d’argent pour soutenir leurs proches et contribuer au développement économique sur le continent.
Il est vrai que dans ce contexte, nous aurions pu ajourner notre projet, mais ce besoin de connecter l’Afrique et l’Europe est urgent et c’est la raison pour laquelle nous avons vraiment mis l’accent là-dessus. Si le contexte actuel a fermé beaucoup de frontières, les solutions digitalisées représentent une véritable réponse au besoin des diasporas africaines en Europe de rester connectées (financièrement) avec leur continent d’origine. RapidTransfer International, pour parler de notre cas en particulier, fait partie des réponses à la crise sanitaire et économique que nous subissons en ce moment.
Est-ce un marché sans contraintes pour les opérateurs ? Ont-ils des attentes vis-à-vis des gouvernements européens et africains ?
Le marché des transferts d’argent est imbriqué dans l’industrie bancaire. En Europe, il est régulé par l’Union européenne et les régulateurs locaux. Par conséquent, le régulateur européen, relayé par exemple par le régulateur français, fixe un cadre à tous les opérateurs sur ce marché. Il y a donc un certain nombre de diligence à opérer sur ce marché pour que l’écosystème puisse être pérenne et qu’on puisse protéger le consommateur. Bien évidemment, les sujets liés à la lutte anti-blanchiment, la sécurité des systèmes d’information, la protection des consommateurs … reviendront souvent. Mais tous ces éléments font que le marché est régulé et peut être difficile à pénétrer pour les acteurs n’ayant pas une connaissance de l’industrie bancaire.
Les attentes vis-à-vis des gouvernements européens et africains sont assez simples. Opérant sur un marché régulé, les opérateurs communiquent assez souvent avec les régulateurs de façon à être accompagnés dans leur développement. Le régulateur français à titre d’exemple a très bien compris le rôle qu’il doit jouer dans cet accompagnement des opérateurs arrivés sur le marché. Ce que nous souhaitons par-dessus tout, c’est que le régulateur européen dicte ses directives aux différents régulateurs locaux qui en feront, à leur tour, l’application stricte. C’est notre vœu de pouvoir intervenir sur des marchés régulés, mais avec les mêmes moyens, le même respect des procédures que tous les autres opérateurs.
En pleine relance économique, l’Afrique est également à la veille de l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale (Zlecaf) qui modifiera progressivement la structure de ses marchés. Quel rôle pourraient y jouer les envois de fonds de la diaspora ?
La diaspora africaine, plus précisément en Europe, a vraiment un rôle à jouer dans le développement du continent africain. C’est un fait. La transformation qui s’est opérée ces dernières années, notamment dans l’enrichissement de cette diaspora, a été d’une telle évidence! On est passé de transferts d’argent visant à accompagner des besoins de subsistance à de l’investissement. Il y a de plus en plus de capitaux de la diaspora qui arrivent en Afrique pour le développement de projets d’entreprises. Je pense que l’entrée en vigueur de la Zlecaf va davantage favoriser cette tendance. Par ailleurs, l’objectif sur ce marché étant de proposer des solutions innovantes à la diaspora et faciliter le transfert d’argent auprès des bénéficiaires sur le continent africain, les partenariats entre acteurs pourraient davantage se multiplier.