(BFI) – Le directeur général de la Société Générale, Frédéric Oudéa, a pris la parole publiquement pour présenter la transformation digitale de la banque. Selon lui, la crise sanitaire actuelle a validé les choix opérés par le groupe bancaire en matière de transformation digitale en permettant d’assurer la résilience des services.
Qu’un directeur général d’une entreprise phare du CAC 40 s’exprime sur le digital (autrement qu’au détour d’une présentation de résultats, en quelques phrases expédiées) est suffisamment rare pour que ce soit salué. Le dernier grand patron français à avoir pris ainsi la parole publiquement sur ce sujet avait été Guillaume Pépy, pour la SNCF. Il y a cinq ans, une éternité. Interrogé par Gilles Babinet, Frédéric Oudéa, directeur général de la Société Générale, a présenté, le 20 octobre 2020, durant plus d’une heure, la transformation digitale du groupe bancaire. L’ambition était résumée dans le titre de l’intervention : « construire la banque de demain avec nos clients ». Au passage, Gilles Babinet a souligné que la Société Générale était toujours dans les cinq premiers du classement e-CAC40, avec une première place en 2018. Si Frédéric Oudéa s’était déjà exprimé sur certains aspects de la révolution digitale, il a pris le soin, cette fois, de brosser un tableau complet.
Selon le directeur général, la crise sanitaire actuelle a validé les choix opérés par le groupe bancaire en matière de transformation digitale en permettant d’assurer la résilience des services (80 % des agences sont restées ouvertes en France). Cette stratégie a été constante au fil des années depuis plus de dix ans. « La transformation digitale nécessite un engagement cohérent dans la durée » a-t-il souligné. Deux piliers sont nécessaires : d’une part, la révolution culturelle des usages et, d’autre part, le socle technologique. Il faut une stratégie technologique claire en matière d’infrastructures, d’architectures, etc. Et une flexibilité qui a permis de basculer 100 000 collaborateurs dans 62 pays en télétravail en quelques jours, avec une multiplication par cinq des capacités réseaux. La moitié des opérateurs de centres d’appels est désormais en télétravail.
4,4 milliards d’euros d’investissements informatique par an
Frédéric Oudéa a relevé : « notre budget IT est de 4,4 milliards d’euros par an, dont 650 millions pour la cybersécurité ». La Société Générale a ainsi, au fil des années, totalement transformé son système d’information passé d’une informatique traditionnelle intégrée et silotée à un modèle à base d’API. 4700 API sont actuellement en production. De plus, si la moyenne du CAC 40 est à 41 % de cloud, la Société Générale affiche un taux de 78 % de cloud hybride (essentiellement du cloud privé). 30 % des bases de données dans le groupe sont en open-source. La transformation digitale n’est pas une surcouche mais un labourage en profondeur. Pour Frédéric Oudéa, « dans la banque, le SI est notre usine, les données notre matière première. Nous construisons de nouvelles usines en gardant le temps nécessaire les anciennes. Mais l’objectif est bien que la transformation soit terminée dans cinq ans. » Gilles Babinet a plaidé en faveur de la « démocrature digitale » : une dictature impitoyable pour les choix stratégiques d’architecture et de technologie, une agilité forte au niveau des projets avec une autonomie maximale des équipes.
Côté révolution culturelle, le grand timonier de la digitalisation doit être au sommet. « Le CEO doit montrer l’exemple » a martelé Frédéric Oudéa. Si, au niveau du ComEx, l’informatique lui est rattachée, il s’est surtout formé au développement en Python, pour comprendre, « pas pour devenir le roi du code, ce que je ne serai jamais ». La Société Générale a distribué du matériel comme des tablettes, lancé des formations… Et un virage particulièrement souligné a été l’ « Internal Start-up Call », que le directeur général avait lui-même lancé. 15 000 collaborateurs ont ainsi répondu à cet appel, amenant à 60 start-ups parrainées chacune par un membre du Comité Exécutif. Neuf continuent leur existence en tant qu’entités autonomes sans avoir été réabsorbées.
Révolution à tous les étages
« En matière de digital, la Société Générale est un adolescent qui a connu une belle croissance mais je voudrais que nous atteignions l’âge adulte dans les cinq ans et que cela se traduise dans les résultats » a proclamé Frédéric Oudéa. Cela passera par la généralisation de l’approche en plate-forme ouverte. Trois axes ont été définis pour ces cinq prochaines années : la centralité client (qui a déjà permis d’aider les clients dans l’urgence de la crise sanitaire comme de lancer le prêt garanti d’État, un produit entièrement nouveau, en quinze jours), l’attitude responsable en matière de transition écologique (notamment avec le recours massif au télétravail) et, enfin, l’efficacité (le digital pour améliorer l’expérience client et la conformité réglementaire).
« Traduire dans les résultats » peut faire tiquer, les résultats du groupe n’étant pas très bons. Mais Frédéric Oudéa a rétorqué : « il s’agit là de l’effet de la crise sanitaire sur les activités de marché. » Les résultats de la stratégie digitale, ce sont plutôt les développements des usages de canaux digitaux par les clients, avec de nouveaux business models. Pour le directeur général, « la crise sanitaire ne change pas la nature de la révolution digitale ou de la révolution environnementale mais accélère les choses. » En moyenne, la moitié des clients de la Société Générale est composée de clients digitaux (moyenne européenne : 41%) et le groupe revendique un taux d’usage le plus élevé pour son application mobile. La progression est notamment très forte en Russie.
La transformation du business bancaire se poursuit
Start-ups, FinTechs, néobanques… défient ouvertement les modèles de la banque traditionnelle. « Aujourd’hui, il n’y a plus de rivalité mais plutôt une logique de partenariat, la vraie concurrence étant plutôt à craindre du côté des GAFA » juge Frédéric Oudéa. Ces nouvelles sociétés ont beau jeu de mettre en avant leurs nouveautés : partant de 0, elles n’ont rien à transformer. Mais, pour les banques traditionnelles, conclure des alliances peut être très profitable en permettant, justement, d’aller plus vite. Frédéric Oudéa a ainsi rappelé : « Boursorama, qui a 2,5 millions de clients aujourd’hui, était une start-up. » La néobanque pour professionnels Shine, récemment rachetée, a pu trouver la solidité du réseau de la Société Générale en plus des fonds nécessaires à son développement.
Car le réseau traditionnel garde sa force dans la relation client. Frédéric Oudéa a ainsi noté : « Boursorama s’adresse à des gens autonomes qui savent exactement ce qu’ils veulent. Mais le réseau physique va permettre d’apporter du conseil en épargne, en tenant compte de toutes les variables. Et pour être le réseau qui conseille le mieux, nous multiplions les formations. » Cela ne veut pas dire que le réseau physique ne doit pas bouger. Le directeur général a ainsi justifié la probable fusion des réseaux du Crédit du Nord et de la banque de détail sous la marque Société Générale : à force de diminuer le nombre d’agences, il y a un risque de disparition d’un petit réseau. Or le Crédit du Nord sert une clientèle de professionnels très satisfaite du service apportée. L’objectif est donc de garder les forces des deux réseaux en faisant converger ce qui peut l’être pour un service premium. Et le canal digital deviendra, lui, le canal courant par défaut.