(BFI) – Du Bénin à l’Afrique du Sud, en passant par le Sénégal : plusieurs pays commencent à assouplir les mesures édictées voilà un mois, mais en ordre dispersé. Tour d’horizon.
« Il est évident que nous allons devoir vivre avec le Covid-19. Qu’on le veuille ou pas, c’est la triste réalité qui s’impose à nous aujourd’hui. Qui parmi nous peut prévoir la fin de la pandémie ! Alors, allons-nous arrêter de vivre parce que le Covid-19 est là ! Je pense qu’il faut que la vie reprenne. Il faut que progressivement nous retournions à une vie normale tout en respectant les règles de distanciation physique et les autres gestes barrières que nous avons préconisés. » C’est en substance le message qu’a délivré le ministre béninois de la Santé, Benjamin Hounkpatin, à la veille de la reprise des cours dans ce pays qui avait fait le choix d’instaurer un cordon sanitaire établi autour des quinze villes du Sud les plus exposées au nouveau coronavirus. Cet état d’esprit est largement partagé sur le continent. Du Sénégal au Ghana, en passant par l’Afrique du Sud et d’autres pays, un impératif semble s’être imposé alors que les populations sont de plus en plus impatientes.
Faire avec le « virus »
Ainsi, depuis lundi, tous les établissements scolaires, à l’exception des maternelles et des universités, accueillent à nouveau leurs élèves protégés par des masques, dont le port est obligatoire au Bénin, et en imposant une distanciation sociale d’un mètre.
Le gouvernement du président Patrice Talon a également lancé une grande campagne de dépistage des enseignants au coronavirus pour tenter de rassurer parents et élèves.
Mais, au matin de la rentrée lundi, la majorité d’entre eux se disaient encore « inquiets » : « Le virus est toujours présent et on nous impose de venir en classe », se plaint Merveille Gbaguidi, élève en seconde dans un lycée, « on aurait pu nous laisser encore à la maison ».
Beaucoup de ses camarades sont venus à l’école sans masque. « Une question de moyens », explique à l’AFP Fred Amanvi, élève en terminale, qui espérait recevoir « les masques promis par le gouvernement, dès l’entrée du collège ». « Nous avons reçu pour consigne de ne renvoyer aucun élève pour le non-port des masques de protection », déclare sous le couvert de l’anonymat le directeur d’un grand collège public de Cotonou, qui espérait encore, en cette matinée de reprise, l’arrivée de masques pour les distribuer.
À Sainte-Rita, autre collège de la capitale économique du Bénin, les masques étaient déjà arrivés et les cours ont commencé à 7 heures. Maurille Mondé, le directeur, supervise personnellement leur distribution. « Tout le monde sera servi », lance-t-il, exhortant les élèves à bien le porter. Dans ce collège, comme dans bien d’autres, les horaires de récréation ont été aménagés pour permettre aux élèves d’y aller en groupes restreints. « Dans les classes, nous avons disposé les bancs de manière à respecter la distance sociale d’un mètre », explique aussi le proviseur.
Dans certains collèges, les parents sont venus constater eux-mêmes l’effectivité des mesures barrières et des règles sanitaires. « Si tout n’est pas fait dans les règles de l’art, je repartirai chez moi avec ma fille », avertit Hermine Adanzounon, parent d’élève d’une école primaire privée.
La réouverture des écoles était un sujet sensible au Bénin. Fin mars, une manifestation des étudiants de l’université d’Abomey-Calavi, qui réclamaient la fermeture de leur établissement et de toutes les écoles du pays, avait fait un mort parmi les manifestants. Le gouvernement a finalement fermé les établissements scolaires et les lieux de culte les 22 et 23 mars derniers, sous la pression populaire, mais a déclaré que le Bénin n’avait pas les « moyens des pays riches » pour prendre des mesures de confinement strictes. Le Bénin, pays d’Afrique de l’Ouest, recensait lundi 284 cas officiels d’infection au coronavirus et 2 décès.
Un retour à la normale pas si simple
Chez le voisin sénégalais, la question de l’assouplissement des mesures est aussi très sensible, voire polémique. Là-bas, l’école ne reprendra que le 2 juin, mais seulement pour les quelque 551 000 élèves des classes d’examen (CM2, troisième, terminale) sur un total de 3,5 millions. Mais le chef de l’État, Macky Sall a déjà prévenu de la nécessité « d’apprendre à vivre en présence du virus », qui devrait continuer à circuler dans le pays jusqu’en août, voire septembre, « dans le meilleur des cas », et « d’adapter [les] comportements individuels et collectifs ». Il a donc décidé d’assouplir les mesures de restriction adoptées contre le Covid-19, à commencer par une réduction du couvre-feu nocturne à partir de ce mardi 12 mai et la réouverture des lieux de culte.
Les marchés et les commerces contraints de n’ouvrir que quelques jours par semaine ne devront plus fermer qu’une seule journée pour le nettoyage. Les restrictions imposées aux transports publics seront également allégées.
Macky Sall a aussi levé l’interdiction de rapatrier les corps de Sénégalais décédés à l’étranger du Covid-19. Des dizaines de dépouilles sont bloquées depuis plusieurs semaines, en France surtout, mais aussi ailleurs en Europe ou aux États-Unis. La Cour suprême, saisie par les familles endeuillées, avait pourtant validé la semaine passée cette interdiction motivée par le risque de contagion lors de la manipulation des corps. La pandémie demeure relativement contenue, même si l’augmentation continue des cas de contamination, en particulier communautaire, inquiète. Alors, beaucoup s’interrogent ce mardi. Le président Sall aurait-il cédé sous la pression des religieux et des commerçants ? Le Sénégal a officiellement déclaré 1 886 cas de contamination et 19 décès, mais c’est surtout les 177 nouveaux cas qui suscitent la peur chez les commentateurs. Cette décision est largement perçue comme une reculade du chef de l’État. Certains évoquent une pression venue des religieux, et notamment des très influentes confréries, très impactées en ce mois de ramadan où les dons affluent habituellement. Pour le quotidien WalfQuotidien, c’est « un mauvais signal qui est envoyé aux Sénégalais, dont une bonne partie analphabète aura l’impression que la maladie a été vaincue et que l’on peut raisonnablement baisser la garde ».
Au lendemain de ces annonces, l’Église catholique a déjà décidé qu’elle ne rouvrirait pas ses portes aux fidèles. « Pour nous, cela ne signifie pas encore la reprise des célébrations publiques avec la présence du peuple », précise l’évêque de Thiès, monseigneur André Gueye.
Pour la réouverture des mosquées, c’est un peu plus compliqué, le ministre de l’Intérieur a fait savoir que « nous n’allons pas accepter que les mosquées soient assaillies par les fidèles. Il faut un nombre limité dans les mosquées. Dans le rite de l’imam Malick, un nombre de douze musulmans en dehors de l’imam est une des conditions pour que la prière du vendredi puisse être acceptée. Je pense qu’on ne va pas dépasser ce nombre parce qu’il faut que les mesures barrières soient respectées. »
Une stratégie qui tâtonne
L’Afrique est-elle tirée d’affaire ? Sûrement pas. La courbe des contaminations demeure à la hausse également au Ghana, dont le président Nana Akufo-Addo a été l’un des premiers à assouplir les mesures de restriction prises en mars. Il y a trois semaines déjà, son gouvernement avait levé totalement le confinement à Accra et à Kumasi, se targuant d’avoir accéléré les tests. À l’époque, le pays recensait 1 042 cas et 9 morts. Ce changement de stratégie avait largement été critiqué, des médecins étaient montés au front sur le risque de mettre à plat tous les efforts du corps médical.
Si la catastrophe n’est pas encore là, le pays n’en est pas loin, hier lundi, le Service de santé du Ghana (GHS) a annoncé plus de 550 nouveaux, faisant grimper le nombre de contaminés à 4 700 et 22 morts. Ces nouveaux cas représentent la plus forte augmentation jamais annoncée en l’espace de 48 heures depuis le début de la pandémie dans le pays d’Afrique de l’Ouest. Plus inquiétant : tous ces nouveaux cas ont été détectés dans une seule et même usine à Tema, sur la côte atlantique. Un seul ouvrier a suffi pour tous les contaminer, d’après le président ghanéen Nana Akufo-Addo, qui informe que la contamination a eu lieu à la fin avril.
Prudente Afrique du Sud
Le bureau Afrique de l’OMS met en garde contre une diffusion lente du Covid-19, avec un taux de mortalité plus faible, mais qui pourrait tuer jusqu’à 190 000 personnes. Des données que les autorités sud-africaines scrutent avec attention. Avec le confinement actuel qui en est à sa septième semaine, la maladie, qui a éclaté au cours de la première semaine de mars dans le pays, a fait 194 morts pour 10 000 cas confirmés lundi – et il n’y aura pas de fin à cela sans un vaccin, ont déclaré des experts de la santé. « Nous devons donc être prêts à continuer de vivre avec le coronavirus parmi nous pendant un an, voire plus. Nous devons être préparés à une nouvelle réalité dans laquelle la lutte contre le Covid-19 fait partie de notre existence quotidienne », a déclaré le président Cyril Ramaphosa.
Il a ajouté : « Notre succès à vaincre le coronavirus sera finalement déterminé par les changements que nous apporterons à notre comportement. » Même après le confinement, a déclaré le président, le pays devrait encore observer une distanciation sociale, porter des masques, se laver les mains régulièrement et éviter les contacts avec d’autres personnes. « Nous devrons réorganiser les lieux de travail, les écoles, les universités, les collèges et autres lieux publics pour limiter la transmission. » « Nous devrons nous adapter à de nouvelles façons d’adorer, de socialiser, de faire de l’exercice et de se réunir qui minimisent les possibilités de propagation du virus », a déclaré le président. D’après le chef de l’État, qui est aussi le président en exercice de l’Union africaine, ce serait la réalité à laquelle les pays devraient faire face dans un avenir prévisible.
L’Algérie marche sur des œufs
Un discours auquel n’adhère pas pour l’instant l’Algérie. Pour le gouvernement algérien, le déconfinement n’est pas à l’ordre du jour tant que le bilan quotidien des décès dus au coronavirus n’est pas proche de « zéro ». C’est ce qu’a affirmé, lundi, le ministre algérien de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, Abderrahmane Benbouzid.
En visite à Médéa (80 kilomètres au sud d’Alger), pour s’enquérir des conditions de prise en charge des malades du Covid-19, le ministre, cité par l’agence officielle APS, a été catégorique quant à la question du déconfinement. Selon lui, une telle décision « n’est envisageable que lorsqu’on constatera une amélioration notable et durable de la situation sanitaire ». « Lorsque le nombre des nouveaux cas positifs sera réduit à un seuil moins inquiétant, lorsqu’on s’approchera de zéro décès, là, on pourra aborder la question du déconfinement », a-t-il indiqué. Il faut souligner que l’Afrique du Nord est particulièrement exposée et surreprésentée dans le tableau des contaminations (36,6 % du total africain), mais surtout dans celui des décès (57 %).
Selon le dernier bilan, l’Algérie a recensé lundi, avec 168 cas supplémentaires en un jour, un total de 5 891 cas confirmés de Covid-19, dont 507 décès avec 5 nouveaux morts et 2 841 guérisons avec 163 de plus en 24 heures.