(BFI) – Le rapport que vient de publier la Cnuced en dit long sur ce qui attend l’Afrique quant aux IDE. 2019 avait été en berne, 2020 risque d’être pire.
Les investissements directs étrangers (IDE) vers le continent africain chutent. Sous l’effet du double choc de la pandémie du coronavirus et de la faiblesse des cours des matières premières, en particulier du pétrole, les flux d’IDE vers le continent devraient se contracter entre 25 % et 40 %, selon le rapport sur les investissements dans le monde 2020, publié par la Cnuced (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement).
Une tendance mondiale de baisse
Cette tendance ne concerne pas que l’Afrique. Cette année pour l’ensemble des pays, ce sera probablement une chute de 40 % des flux d’IDE qui se poursuivra en 2021, avec une baisse de 5 % à 10 %, estiment les économistes de la Cnuced. Il faudra attendre 2022 pour espérer un rebond. Toutes les régions du monde sont touchées. Les investissements directs étrangers, qui avaient été de 1 540 milliards de dollars en 2019, vont chuter sous le seuil des 1 000 milliards de dollars en 2020, une première depuis 2005. Les 5 000 premières multinationales, qui représentent la majeure partie de l’IDE, anticipent des réductions de bénéfices de l’ordre de 40 % en moyenne pour 2020. Pire, certains secteurs sinistrés anticipent des pertes colossales. De fait, la baisse des bénéfices nuira aux bénéfices réinvestis, qui représentent en moyenne plus de 50 % des IDE, selon la Cnuced. « Bien que toutes les industries soient affectées, plusieurs industries de services, notamment l’aviation, l’hôtellerie, le tourisme et les loisirs, sont durement touchées, une tendance qui devrait persister pendant un certain temps », a déclaré James Zhan, directeur des investissements et des entreprises de la Cnuced. De quoi mettre à mal les efforts visant à promouvoir la diversification économique et l’industrialisation en Afrique. La crise du Covid-19 est arrivée à un moment où les IDE étaient déjà en retrait, le continent ayant enregistré une baisse de 10 % des flux d’entrée en 2019 à 45 milliards de dollars.
Espoir de rétablissement
Sur le moyen et long terme, les économistes de la Cnuced se montrent plus confiants et espèrent un retour des investissements, notamment du fait que les grandes économies mondiales dans leurs relations avec les pays africains tendent à privilégier les investissements dans les infrastructures, les ressources mais aussi le développement industriel. « Les investissements en provenance de ces pays, qui bénéficient à des degrés divers d’appui politique, bien qu’ils soient affectés par l’impact conjoint du Covid-19 et dans une certaine mesure par les faibles cours des matières premières, pourraient être relativement plus résilients », souligne le rapport. Un deuxième facteur pourrait aussi jouer en faveur d’un retour des investissements : le renforcement de l’intégration régionale avec la zone de libre-échange continentale africaine (Zleca). Après des années de débats, la Zleca a été officiellement lancée en juillet 2019, avec un démarrage prévu pour 2020. À court terme, il est primordial de limiter l’ampleur du ralentissement des investissements et de limiter les coûts économiques et humains de la pandémie. À plus long terme, la diversification des flux d’investissement vers l’Afrique et leur utilisation pour une transformation structurelle reste un objectif clé.
Les IDE dispatchés région par région
Pour l’Afrique du Nord, les entrées d’IDE ont diminué de 11 % pour s’établir à 14 milliards de dollars en 2019. Seule l’Égypte, qui est restée le principal bénéficiaire de l’IDE en Afrique, a enregistré une augmentation de 11 % à 9 milliards de dollars. En revanche, les flux d’IDE destinés au Maroc ont chuté de 55 % pour s’établir à 1,6 milliard de dollars en 2019. Le montant le plus bas de ces six dernières années.
L’Afrique subsaharienne, après une augmentation importante en 2018, a connu une contraction de 10 % des flux d’IDE en 2019 pour atteindre 32 milliards de dollars. « L’Afrique australe a été la seule sous-région à avoir reçu des entrées de capitaux plus élevées en 2019 (une augmentation de 22 % à 4,4 milliards de dollars), mais uniquement en raison du ralentissement du désinvestissement net de l’Angola », souligne le rapport. Les entrées de capitaux en Afrique du Sud ont diminué de 15 % pour atteindre 4,6 milliards de dollars en 2019, malgré des investissements clés dans les mines, la fabrication (automobiles, biens de consommation) et les services (finance et banque).
Les investissements vers l’Afrique de l’Ouest ont diminué de 21 % pour s’établir à 11 milliards de dollars en 2019. Cette évolution s’explique en grande partie par la forte baisse des investissements au Nigeria et au Ghana. En revanche, les IDE vers la Côte d’Ivoire et vers le Sénégal ont grimpé respectivement de 63 % et 16 % pour atteindre tous les deux un milliard de dollars.
En Afrique de l’Est, les flux d’IDE ont aussi diminué de 9 % pour s’établir à 7,8 milliards de dollars. En Éthiopie, les tensions politiques ont été en grande partie responsables de la contraction de près d’un quart des entrées de capitaux à 2,5 milliards de dollars. De même, au Kenya, les IDE ont chuté de 18 % à 1,3 milliard de dollars, malgré plusieurs nouveaux projets dans les domaines de l’informatique et des soins de santé.
Un nouveau chapitre
Cette année, le rapport intègre un nouveau chapitre sur les investissements dans les secteurs des Objectifs de développement durable (ODD) pour 2030, fixés par les Nations unies. L’analyse montre que les flux internationaux du secteur privé vers quatre des dix domaines clés des ODD n’ont pas augmenté de manière substantielle depuis l’adoption des objectifs en 2015. La promotion des investissements dans les infrastructures, les énergies renouvelables, l’eau et l’assainissement, l’alimentation et l’agriculture et les soins de santé s’avère nécessaire. Ce chapitre déploie tout un plan d’actions pour y parvenir.
« En tant que tel, le rapport sur l’investissement dans le monde de cette année est une lecture indispensable pour les décideurs et un outil important pour la communauté internationale du développement. Je recommande ses informations et son analyse à un large public mondial », commente Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies.
« La crise pourrait être un catalyseur pour un processus de transformation structurelle de la production internationale cette décennie, et une opportunité pour une durabilité accrue, mais cela dépendra de la capacité à tirer parti de la nouvelle révolution industrielle et à surmonter le nationalisme économique croissant », prévient-il aussi.
Félix Victor Dévaloix