(BFI) – Alors que la récession due à la pandémie exige une mobilisation, Benoît Chervalier, banquier d’affaires chez Global Sovereign Advisory, estime que l’analyse de la dette souveraine des pays africains pêche souvent par « simplification ».
Tous les experts du développement affirment de rapport en rapport que l’Afrique va vivre une grave récession du fait des mesures de confinement contre la pandémie et qu’elle sera incapable de rembourser ses dettes dans les prochaines années. Nombre de chefs d’État du continent mais aussi des pays développés s’appuient sur cette sombre perspective pour demander une annulation pure et simple des emprunts des pays les plus pauvres.
Passé par passé par la BAD et Rothschild & Co, Benoît Chervalier est senior banker chez Global Sovereign Advisory et enseigne à Sciences Po Paris le financement des économies africaines. Il estime qu’il faut raison garder et ne pas mettre tous les États dans le même panier.
Certains pays africains sont en difficulté, notamment les exportateurs de matières premières, mais tous ne feront pas défaut selon lui. Reste à trouver les moyens pour concilier la charge des dettes passées avec la nécessité de contracter de nouveaux emprunts pour accélérer le développement de l’Afrique. La Conférence de Paris y parviendra-t-elle en mai 2021 ?
Est-ce que la résistance de l’Afrique au virus réduit ses risques de récession ?
Bien que plus peuplée que l’Amérique et l’Europe réunies qui ont enregistré 2,4 millions de cas et quelque 800 000 morts, l’Afrique a compté à ce jour 2,4 millions de cas et moins de 60 000 morts. Tous ses pays n’ont pas été logés à la même enseigne : l’Afrique du Sud et le Maghreb ont été les plus touchés ; Maurice a éradiqué le virus grâce à des mesures drastiques et à son insularité.
En revanche, le continent souffre des effets induits de la pandémie. Les campagnes de vaccination traditionnelles contre la tuberculose ou la poliomyélite ont été perturbées par les confinements ou les fausses rumeurs. En Côte d’Ivoire par exemple, elles ont chuté de 10 % au printemps 2020 notamment parce que des « fake news » ont fait croire qu’elles étaient destinées à trouver des cobayes pour le vaccin contre le Covid-19 !
Le choc économique, lui, sera massif. L’Afrique va perdre 115 milliards de dollars en 2020 et son produit intérieur brut (PIB) reculera de 3 % cette année, selon le FMI. Le virus n’a pas créé la crise, mais il a amplifié une crise préexistante dans un certain nombre de pays.
Lesquels ? Et de quelle façon ?
La Banque mondiale avait souligné dans son rapport Pulse à l’automne 2019 que la croissance globale du continent y était trop faible pour absorber sa croissance démographique. Les pays qui tireront leur épingle du jeu sont ceux qui étaient les plus en forme avant l’arrivée du virus.
La Côte d’Ivoire, le Sénégal ou le Maroc étaient sur une trajectoire de développement dynamique avec un endettement maîtrisé. Les pays exportateurs de pétrole abordaient la crise sanitaire en position de grande fragilité.
Tous les pays ont pris rapidement les mesures d’urgence appropriées, mais confiner des populations qui vivent dans l’informel et sans protection sociale revient à les priver des moyens de vivre. La Banque mondiale estime que 40 millions d’Africains retomberont dans l’extrême pauvreté. Les gouvernements et les bailleurs multilatéraux doivent traiter en priorité les dégâts causés au secteur informel pour maîtriser les effets à long terme dévastateurs en termes de santé et d’éducation.
Au final, les pays qui s’en sortiront le mieux seront donc ceux qui seront en mesure d’assurer une diversification de leur économie, de mener une montée en gamme dans la chaîne de valeur de leurs matières premières, de développer leur production locale et les échanges interrégionaux tout en veillant à maîtriser leurs trajectoires en matière de finances publiques.
Cela va-t-il empêcher l’Afrique de rembourser ses dettes ?
Toute l’Afrique ne va pas faire défaut ni affronter un « mur de la dette », comme on le dit souvent. Certes, début 2020, elle était débitrice de 547 milliards de dollars et devrait payer à ce titre 55 milliards de dollars en 2021.
Le Fonds monétaire international (FMI) a classifié huit pays en situation de détresse au titre de son Cadre de Soutenabilité de la dette : pour mémoire la République du Congo, la Gambie, le Mozambique, Sao Tome & Principe, la Somalie, le Soudan, le Sud-Soudan et la Zambie. Tous ces pays ne feront pas défaut ; à l’inverse, d’autres qui n’y figurent pas, pourraient avoir du mal à remplir leurs obligations de remboursements.
Je voudrais aussi tordre le cou à une simplification selon laquelle les pays en difficulté sont nécessairement ceux qui empruntent sur les marchés financiers. Cette liste est déjà réduite puisque 8 pays africains ont souscrit 86 % des eurobonds acquis par les 18 pays qui ont eu recours aux marchés sur les dix dernières années.
Le Maroc a obtenu des taux inférieurs à 2 % lors de son émission en septembre dernier et la Côte d’Ivoire, les plus bas taux de son histoire à moins de 5 % en novembre.
Par ailleurs, des pays non exposés aux marchés de capitaux, peuvent aussi se trouver en situation de risque de surendettement du fait de leur exposition vis-à-vis d’autres types de créanciers ou du fait de fragilités intrinsèques. Les risques de défaut existent donc, certains se matérialiseront, d’autres pas, mais il ne faut certainement pas mettre tous les pays dans le même panier.
Comment concilier la charge de ces dettes avec les nouveaux emprunts nécessaires pour financer les besoins futurs ?
L’annulation des prêts des pays pauvres très endettés (PPTE) dans les années 2000 a été un succès pour la quarantaine de pays africains concernés. Elle ne se reproduira pas de façon générale. Les pays du G20 ont adopté un Cadre commun pour le traitement des emprunts des pays en difficulté. Le FMI sera au cœur du dispositif et la transparence en sera la clé de voûte.
Les négociations se feront au cas par cas et elles seront difficiles. Mais il ne s’agira pas uniquement de nettoyer le passif, mais de prendre des décisions pour construire l’avenir. La conférence de Paris se consacrera, en mai 2021, à trouver de nouveaux financements du développement.
À court terme, il y a une urgence sanitaire et éducative. Une conférence des donateurs s’impose pour trouver les fonds indispensables pour éviter d’effacer les progrès si durement acquis.
Parallèlement, on peut espérer que l’élection à la Maison Blanche de Joe Biden lèvera le refus des États-Unis à l’augmentation des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI. Cette mesure devrait apporter 22 milliards de dollars aux pays à bas revenus, majoritairement africains.
De manière plus structurelle, il sera nécessaire de trouver le moyen d’abaisser les coûts de la nouvelle dette. Il faudrait inventer un nouveau véhicule financier bénéficiant de la garantie des pays les plus solides ou réformer les mécanismes de rehaussement de crédit de la Banque mondiale ou de la Banque africaine de développement – tous les deux notées « AAA » – pour faire bénéficier les emprunteurs de niveaux de taux d’intérêt très bas.
La Chine fera-t-elle partie du dispositif ?
La Chine a compris qu’elle ne pourrait pas régler seule les difficultés de l’Afrique et même que ce n’était pas son intérêt. On peut penser qu’elle jouera le jeu, car elle a participé à l’élaboration du Cadre commun de règlement des dettes excessives.
Pourquoi les investisseurs des pays industriels font-ils si peu confiance à l’Afrique ?
Il existe deux types de confiance.
La confiance vis-à-vis de l’Afrique pêche en raison de la méconnaissance que nous en avons et de la grande hétérogénéité du continent. Souvenons-nous qu’elle abrite l’équivalent de la taille de l’Europe, des États-Unis, de la Chine et de l’Inde réunis ! Cette extrême richesse en termes de diversité exige une connaissance approfondie qui n’est pas simple à acquérir.
Et puis il y a la confiance au sein de l’Afrique. Comme dans tous les pays du monde, elle dépend de la qualité de la régulation et de la gouvernance qui y est pratiquée.
L’Afrique dispose de deux atouts maîtres, sa jeunesse et le formidable optimisme de ses populations. Dans ces domaines, les baromètres africains font pâlir d’envie nos vieux pays développés…