(BFI) – Sur le continent africain, 90% des entreprises sont des PME et totalisent 80% des emplois. Invité du confrère Financial Afrik, Krisztina Tora, directrice du développement des marchés au Global Sterling Group for Impact Investment (GSG), revient sur l’impact des Pme sur le tissu économique africain et aborde, entre autres, la question du financement et de leur survie.
Quel est le rôle des PME dans la croissance économique africaine?
Les micros, petites et moyennes entreprises (PME) représentent 90 % des entreprises et 80 % des emplois sur le continent. Dans de nombreux pays, elles représentent plus de la moitié du PIB. Or aujourd’hui, les PMEs africaines peinent à se maintenir à flot. La plupart n’ont pas plus d’un ou deux mois de trésorerie, et ces réserves s’amenuisent de jour en jour. Certaines estimations indiquent que 40 % d’entre elles pourraient faire faillite dans les prochains mois si rien n’est fait pour les sauver. Tout cela dans un contexte de tension économique globale : la valeur totale des investissements dans de nouveaux projets en Afrique au cours des trois premiers mois de 2020 a chuté de 58% par rapport à 2019, selon la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Céveloppement (CNUCED). C’est la raison pour laquelle les analystes estiment que pour la première estiment que pour la première fois en 25 ans le continent africain va entrer en récession.
Quel rôle peut jouer l’investissement à impact pour soutenir les PME et les entrepreneurs ?
L’investissement à impact est un outil indispensable de relance pour les entreprises africaines. Etant donné l’ampleur des défis auxquels ils sont confrontés avec des ressources incroyablement limitées, nous devons et nous pouvons tout faire plus pour soutenir les pays africains. Le moment est venu de construire le «monde d’après», et des économies qui soient réellement inclusives, justes et résilientes face aux chocs futurs. L’investissement à impact offre à ce titre une multitude d’instruments financiers et de nouvelles approches d’investissement qui ont prouvé leur efficacité.
Quelles sont les causes de défaut des PME sur le continent ?
L’arrêt brutal du tourisme, la diminution des échanges commerciaux et la chute des prix des matières premières conduisent les entreprises à la faillite dans plusieurs secteurs, mettant en danger les moyens de subsistance de millions de personnes. Plus de la moitié des entreprises en Afrique va perdre entre 10 et 50% de ses revenus cette année. Les PME n’ont pas suffisamment de liquidités pour supporter une telle baisse. Et qui va les soutenir ? Ce serait le rôle des banques mais seules 20 % des PME africaines bénéficient d’un financement bancaire, car elles sont pour la plupart en dehors de leurs modèles de rentabilité actuels. Pourtant les banques, dans de nombreux pays africains, ont bénéficié de liquidités supplémentaires de la part des gouvernements et autres institutions multilatérales pour faire face à la crise. Elles n’ont cependant reçu aucune incitation (ou obligation) à soutenir les PMEs en contrepartie d’un tel soutien.
Pourquoi est-il si important de protéger les PME et les micro-entreprises en Afrique ?
Au moins 20 millions d’emplois sont menacés par la crise liée au Covid-19 en Afrique, dont près de 6 millions rien qu’au Kenya par exemple. Des chauffeurs de taxi, aux agriculteurs, en passant par les travailleurs de la construction, les travailleurs précaires et leurs familles sont les plus vulnérables. La plupart d’entre eux n’ont aucune protection sociale, d’assurance chômage, d’assurance maladie, ni de congés maladie payés. Cela signifie que les pertes d’emplois et les réductions de revenus les frapperont plus durement. Les filets de sécurité informels disparaissent également : au moins 11 milliards de dollars de transferts de fonds venant de la diaspora vont disparaitre cette année.
Malheureusement, le ralentissement de la croissance économique et de la productivité s’accompagne d’un ralentissement des principaux facteurs qui permettent aux gens de sortir de la pauvreté. Pire, 70 millions de personnes en Afrique subsaharienne risquent de tomber dans l’extrême pauvreté si rien n’est fait.
Quel travail le GSG fait-il déjà en Afrique? Pouvez-vous en dire plus sur votre présence sur le continent et sur ce que vous faîtes concrètement ?
Le GSG est une organisation à but non-lucratif dont la mission est d’aboutir à un changement systémique, où chaque investissement génère un impact social positif et protège notre planète. Le GSG compte actuellement 32 pays membres, dont le Ghana, l’Afrique du Sud et la Zambie et, bientôt, le Kenya et le Nigeria. Dans chaque pays le GSG travaille avec un Comité Consultatif National (National Advisory Board, NAB), qui rassemble des dirigeants du monde de la finance, des affaires, de la philanthropie et de l’aide au développement au niveau national.
Un NAB est une plate-forme nationale dont la vocation est de réorienter les flux de capitaux vers la création d’impact social et environnemental. Géré par le secteur privé, mais en partenariat étroit avec le gouvernement national, un NAB sensibilise les acteurs économiques à des nouvelles manières d’investir, produit des analyses de marché, travaille avec le gouvernement à de nouvelles politiques publiques, et mobilise des ressources financières supplémentaires pour le bien public. En bref : un NAB est l’infrastructure qui permet d’accélérer le changement dans un pays. Par exemple, le NAB Sud-Africain a récemment lancé un fonds de paiement aux résultats de 25 millions de dollars US pour les entreprises vertes.
Comment le GSG répond à la crise de Covid-19 en Afrique ?
Au Ghana par exemple, les membres du Comité Consultatif National ont soutenu un fonds du secteur privé de 100 millions de Cedis (17 millions de dollars US) pour soutenir la relance. A ce jour, le fonds a déjà permis la construction de la première installation d’isolement et de traitement des maladies infectieuses au Ghana. En outre, le NAB, en collaboration avec ses membres et d’autres parties prenantes telles que la Banque Mondiale, conçoit divers programmes pour aider les PME à faire face à l’urgence et à se remettre à flots. En Zambie, le Comité Consultatif National travaille avec la Banque Centrale de Zambie sur la structuration d’un fonds de 10 milliards de Kwacha (547 millions de dollars US), principalement destinés aux PME des industries les plus touchées. Cela contribuera à stimuler la relance économique dans le pays et les investissements pour atteindre les Objectifs du Développement Durable (ODD).
Sur le long-terme, comment l’investissement à impact peut-il soutenir la croissance du continent, au-delà du seul soutien aux PME ?
L’investissement à impact est le futur et la seule direction possible en Afrique et partout ailleurs, si nous souhaitons bâtir un monde meilleur, plus juste, plus inclusif et plus durable. Nous sommes en train de vivre un changement de paradigme où il est possible d’allier rentabilité et création d’impact social et environnemental. De très nombreux investisseurs et acteurs économiques se sont déjà lancés dans cette démarche. Le futur a déjà commencé.
Financial Afrik