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Papa Demba Thiam : Du franc CFA à l’Eco, « nous devons être prêts à gérer le caractère complexe de la monnaie »

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(BFI) – Le conseil des ministres français a adopté le 20 mai le projet de loi amorçant la fin du franc CFA au sein de l’UEMOA, faisant suite à l’accord de coopération monétaire annoncé à Abidjan en décembre dernier par les présidents Emmanuel Macron et Alassane Ouattara. Avec les confrères de La Tribune Afrique, Papa Demba Thiam, économiste international et expert en développement industriel intégré, revient sur cette étape décisive dans le processus d’adoption de l’Eco, la future monnaie ouest-africaine.

La France avance vers la fin du franc CFA, qu’est-ce qui change désormais selon vous ?

D’entrée de jeu, je dirais que le gouvernement français n’a fait qu’appliquer les éléments de son calendrier, en prenant une décision qui était déjà prévue dans l’accord conclu en décembre 2019. Bien avant cela, la décision de l’UEMOA de mettre un terme au franc CFA pour adopter l’Eco introduisait déjà un changement vis-à-vis de la gestion des ressources en devises des pays de l’UEMOA. La mise en œuvre des nouveaux arrangements telle que prévue à partir du 1er juillet, impactera forcement la manière de travailler des organes de l’UEMOA, dans leurs rapports entre eux, mais aussi dans leurs rapports avec la France et avec les économies des pays de la zone.

Mais dans ce type de processus, la Banque centrale régionale devient hautement importante. Il ne faut pas oublier que le Franc CFA n’existe que par un traité. De ce fait la BCEAO avec son voisin la BEAC en Afrique centrale sont les seules banques qui ne font pas de véritable politique monétaire. Si on repense globalement les économies africaines, leurs manières de se financer pour être moins dépendantes de la dette, telle que nous l’avons proposé récemment dans notre note pour le Maroc, la question va se poser sur la forme de la Banque centrale (liée aux banques commerciales) qui peut assurer ce genre de travail.

Une chose est donc certaine, avec la fin du franc CFA, la forme de la Banque centrale (BCEAO) doit changer en fonction des impératifs de reconfiguration économiques qui existaient déjà avant l’avènement de la Covid-19, mais ont été suramplifié parce que toutes les vulnérabilités de nos économies ont été exposées.

J’avais déjà dit à l’époque qu’il était impératif que les Chefs d’Etats de l’UEMOA constituent des groupes d’experts pour réfléchir à cette problématique pour leur emmener des solutions qui sortent hors des sentiers battus, la manière dont on a toujours géré nos banques centrales et notre monnaie. Et la Covid-19 ne nous laisse pas le choix, c’est même devenu un impératif. Cette pandémie nous place dans une logique de construire nos économies avec des instruments monétaires qui sont appropriés.

Justement dans ce contexte de crise du coronavirus, on pourrait penser que ce dossier monétaire aurait pu être suspendu, au vu notamment des conséquences sur les économies. Mais l’agenda se poursuit. Que faut-il comprendre à votre avis ?

Ce contexte de crise sanitaire mondiale est certes un des aléas majeurs dans le fonctionnement d’une économie, mais gouverner n’est pas seulement gérer. C’est aussi prévoir et faire face à des contradictions et des chocs. J’imagine que les experts de l’UEMOA, des ministères des Finances et de la BCEAO n’ont pas arrêté, pendant que s’opérait le choc du coronavirus, de travailler sur cet agenda tracé depuis fin 2019.

Une chose est certaine, la pression budgétaire et la pression sur l’endettement des Etats membres de l’UEMOA face à la nécessité de répondre aux questions de sauvegarde sanitaire, économique et financière au niveau de leurs pays -tout en pensant à relancer leurs économies- créent une nouvelle donne qui fera en sorte que les critères de convergence de tout ordre ne pourront tout simplement pas être respectés. Qu’il s’agisse des niveaux d’endettement ou des déficits budgétaires, la question fiduciaire va fondamentalement se poser. En théorie, quand des gouvernements et des institutions fonctionnent normalement, il devrait y avoir des circuits de veille qui permettent d’identifier les risques et de pourvoir proposer des systèmes de dilution pour ces risques. Je fais donc confiance aux institutions qui sont en charge, en me disant que je ne peux pas imaginer une seule seconde que ce dossier ait pu être mis en veille alors qu’il était évident que l’agenda du franc CFA devrait avancer et que nulle part son report n’a été évoqué.

Comme je l’ai toujours dit, il faut considérer que la monnaie telle qu’elle est aujourd’hui, le franc CFA, est plus un instrument de paiement qu’une véritable monnaie, parce que l’émission monétaire dans tous les pays du monde pour être équilibrée, doit être basée sur la volonté d’endettement de l’économie, c’est-à-dire qu’elle est indissociable de la politique de crédit. Et il ne faut pas oublier que nous sommes dans un contexte où les pays africains sont en train de devenir un enjeu stratégique dans le nouvel ordre économique mondial qui va s’instaurer après ou pendant la crise de la Covid-19.

La France quitte les instances de gouvernance de l’UEMOA, la BCEAO n’aura plus à déposer ses réserves de change auprès du Trésor français, mais le maintien de la parité fixe entre la future monnaie, l’Eco, et l’Euro suscite des critiques en Afrique de l’Ouest. Quel est votre regard d’expert sur la question ?

Il ne faut pas être pressé. On ne peut pas du jour au lendemain changer totalement de manière de faire et de perspective. Il y a tout un travail à faire pour mettre en place des dispositions visant à reconfigurer la manière dont le franc CFA est géré, surtout au niveau de la centralisation des réserves en devises, mais aussi sur la nature de la garantie que la France devrait donner. Car, si la France promet de garantir la parité entre l’Eco et l’Euro, elle n’est cependant pas seule dans l’union monétaire européenne, il y a donc plusieurs paramètres à prendre en compte.

C’est déjà un défi énorme en soi d’instaurer une monnaie unique et une même parité avec une monnaie extérieure à la zone, au sein d’un espace où les économies qui sont pas homothétiques. Les différentes économies de l’UEMOA ont une autonomie de gestion, des politiques économiques, budgétaires, industrielles, …qui sont différentes. Il faudra donc tout repenser, tout réarticuler et regarder et regarder quelles marges et souplesses peuvent exister entre ces différentes économies.

C’est d’ailleurs ce qui soulève des inquiétudes au Nigeria …

Pas qu’au Nigéria, mais aussi au Ghana, au Libéria et même la Sierra Léone peut avoir les mêmes problèmes. Si nous considérons le cas d’un pays comme le Ghana sur lequel j’ai travaillé en emmenant de nouveaux systèmes de financement qui n’avaient rien à voir avec l’endettement et qui ont fait leurs preuves. Même ce pays peut s’engager aujourd’hui dans une logique de développement économique qui implique un certain nombre de prises de position sur des questions monétaires, budgétaires. Il peut décider de déséquilibrer sa croissance en privilégiant certains secteurs pour ne pas avoir la même pointure de chaussure qui va à toute le monde. Car, le « one size for all » ne permet pas le développement économique. Le développement économique doit être fait sur la base de variables d’actions et de fonctions qui sont différenciées en fonction des secteurs et en fonction des défis qu’ont ces derniers.

La politique la plus facile est de considérer qu’on peut appliquer la même chose pour tout le monde, mais dans cette logique, on ne fait pas de développement économique. De même, le développement économique n’est possible sans son corollaire avec la politique monétaire, la politique budgétaire et la politique de crédit.

Le propos est que nous devons construire nos économies sur leurs forces. Cela veut dire que nous devons d’abord avoir des stratégies qui sont liées à transformation de nos ressources qui sont nos forces, tout en gérant les faiblesses, les aléas et les vulnérabilités de nos économies. Et c’est sur cette base que nous devons penser à la monnaie.

N’est-ce pas aussi une question de souveraineté ?

On parle beaucoup de souveraineté, ce qui est légitime, mais il ne s’agit pas seulement de souveraineté. Aujourd’hui à titre d’exemple, le cours du dollar par rapport au franc suisse affiche des variations de l’ordre de 1 à 2% chaque jour. Cela veut dire que si un opérateur fait des contrats dans une monnaie avec des risques de variation des taux de change, il devra être capable de couvrir ce risque en faisant des opérations de swap ou en faisant des opérations d’arbitrage en achetant de la monnaie aujourd’hui à un taux fixé aujourd’hui et livrable à ce taux-là dans trois mois. Mais il n’est pas possible de le faire au sein de l’espace UEMOA. Sauf cas exceptionnels, les opérateurs dans cette zone économique ne peuvent détenir des comptes en devises étrangères dans une banque commerciale. Or quand la détention des comptes en devises permet non seulement procéder à ces opérations, mais dans la même journée acheter des devises, passer d’une devise à l’autre en faisant des plus-values pour se couvrir. Il s’agit d’une marge de manœuvre extraordinaire qui est amputée par la manière dont les accords simplistes fonctionnent au niveau de l’UEMOA.

Il est clairement démontré que la situation des pays qui ont cette flexibilité en matière d’arbitrage rend la vulnérabilité (exprimée en termes de devises) monétaire verticale par rapport à beaucoup d’opérateurs.

Encore une fois, la grande question est celle-ci : Nous devons être prêts à gérer le caractère complexe de la monnaie. A ce titre, même un pays comme la République démocratique du Congo (RDC) a plus d’expérience pour faire fonctionner les instruments monétaires que les pays de l’UEMOA. Parce que la Banque centrale du Congo (BCC) a été obligée de gérer une monnaie qui n’avait pas de garantie de convertibilité. Ils ont donc l’expérience. De même, les Banques centrales du Ghana et du Nigeria ont de l’expérience en la matière. Et ce sont des expériences qui peuvent servir à la BCEAO pour l’instauration de l’Eco.

La France n’a donc pas reporté l’agenda du Franc CFA. Mais au vu des ajustements préalables entre les économies auxquels s’ajoutent l’impact économique de la pandémie, plusieurs économistes ont déjà émis des doutes sur l’entrée en vigueur de l’Eco en juillet 2020. Quel est votre avis ?

En tant qu’économiste, je travaille avec les paramètres que j’ai, je ne saurais affirmer quoi que ce soit. Cependant, comme plusieurs de mes pairs, j’avais déjà pensé que ce serait difficile de lancer l’Eco en juillet 2020 sans une mise en place des dispositions nécessaires pour que cela soit une réalité. Si les gouvernements de l’UEMOA ont continué de travailler sur leur agenda pour réunir toutes les conditions, cela pourrait se faire. Mais si l’exécution du calendrier par la France en dépit de la pandémie créé la surprise, cela pourrait être une source d’inquiétude. Jusqu’ici, nous n’avons pas entendu de responsable politique de l’UEMOA s’exprimer sur le sujet. Ce silence devient même assourdissant.

In La Tribune Afrique

Rédaction
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