AccueilThink tankLa micro-épargne digitale a besoin d’une trajectoire claire pour dynamiser les économies...

La micro-épargne digitale a besoin d’une trajectoire claire pour dynamiser les économies africaines

-

Avec certains dispositifs, les gouvernements peuvent encourager l’épargne des groupes à faibles revenus. Au Rwanda par exemple, le programme d’épargne volontaire Ejo Heza en partenariat avec MTN, Airtel, Mobicash et la Banque de Kigali compte 2,8 millions d’abonnés actifs. Ces initiatives subventionnées par les Etats ne sont toutefois pas viables à long terme et le secteur privé doit faire preuve d’innovation pour alléger la pression sur les finances publiques.

Le mobile money, qui a séduit 33 % des plus de dix-huit ans en Afrique subsaharienne, a ouvert la voie au développement de solutions d’épargne digitale innovantes dans les fintechs. Malgré leurs avantages économiques considérables, les options restent toutefois peu nombreuses et celles qui existent peinent à atteindre une masse critique d’utilisateurs.

L’épargne digitale est pourtant cruciale : elle aide les particuliers à prouver leur solvabilité en vue d’une demande de prêt, encourage l’augmentation des dépenses de consommation et conduit à l’investissement. Les dépôts des clients peuvent être mobilisés pour élargir le crédit aux entreprises locales et investir dans des titres d’État, des obligations d’entreprises ou des fonds de pension afin de soutenir la croissance économique.

Un effort combiné des gouvernements, des régulateurs, des fintechs et des institutions financières traditionnelles est nécessaire pour promouvoir l’adoption de l’épargne digitale, protéger les dépôts des clients et canaliser les capitaux au profit d’un développement à échelle nationale.

1. L’IMPORTANCE DU FACTEUR DÉMOGRAPHIQUE

Les Africains épargnent, même ceux qui ont de faibles revenus. Une étude de la fintech Piggyvest révèle que 64 % des Nigérians gagnant moins de 100 000 nairas (125 dollars par mois) épargnent une partie de leurs revenus mensuels. Dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, les loyers se paient un an à l’avance. Épargner devient alors une nécessité. Mais beaucoup le font en dehors du système financier, ce qui ne profite pas aux économies locales.

La volatilité des devises depuis plusieurs décennies a érodé la confiance envers les institutions financières, et l’éloignement des agences bancaires constitue un obstacle supplémentaire aux dépôts physiques. Les épargnants africains se tournent vers des alternatives : faire des réserves de denrées non périssables ou de dollars américains, garder de l’argent liquide à la maison, acquérir des terres ou du bétail ou, plus récemment, investir dans des cryptoactifs. D’autres s’engagent dans des organisations de rotation d’épargne et de crédit informelles, qui prennent des noms différents d’un pays à l’autre : Chamas au Kenya, Njangi au Cameroun et Tontine au Maroc.

La jeunesse de la population africaine, avec un âge médian de 19 ans, et l’augmentation du taux de pénétration de la téléphonie mobile (43 % en 2022 et 50 % en 2030 selon les prévisions) offrent pourtant aux fintechs une formidable opportunité de digitaliser l’épargne sans s’encombrer des systèmes hérités des banques commerciales.

2. MOBILISER LES GROUPES D’ÉPARGNE INFORMELS

Avant de déployer les technologies, il est essentiel de bien comprendre la psychologie des consommateurs. Pour cerner leurs besoins, les gouvernements doivent mobiliser les groupes informels d’épargne et de crédit. La Banque centrale du Rwanda mène ainsi une enquête annuelle sur ces systèmes solidaires. Elle recueille des données sur leurs membres et le montant de leur épargne. Les résultats publiés sur son site Internet permettent aux institutions financières d’identifier et de cibler les clients potentiels.

Les fintechs peuvent ensuite développer des produits qui répondent à leurs demandes. Au Nigeria par exemple, Sparkle a développé une fonctionnalité d’épargne digitale collective, « Esusu », qui s’inspire des associations informelles du peuple Yoruba. Cependant, ces produits doivent au préalable gagner la confiance des consommateurs.

3. LA SIMPLICITÉ D’UTILISATION, VECTEUR DE CONFIANCE

 Au sein du grand public, les options d’épargne sûres l’emportent sur les dispositifs avec un taux d’intérêt élevé qui comportent des risques. Pour gagner la confiance des utilisateurs, les solutions d’épargne ultra-flexibles, adaptées à leur mode de vie, disponibles dans leur langue et accompagnées de conditions générales claires sont de bons produits d’appel. La possibilité d’ouvrir des portefeuilles rémunérés avec des objectifs personnalisés (projet immobilier, investissement agricole, frais de scolarité, etc.) est une autre façon pour les fintechs spécialisées dans l’épargne de montrer leur praticité.

Avec un revenu moyen de 140 dollars par mois en Afrique subsaharienne, le montant des dépôts pourrait débuter dès 0,05 cent. Les utilisateurs devraient pouvoir choisir entre une fréquence d’épargne quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle, ou sous la forme d’un pourcentage fixe sur toute transaction de débit. Ceux disposant de revenus très limités devraient pouvoir retirer régulièrement des fonds sans craindre d’importantes pénalités. Il existe déjà des produits d’épargne digitale suffisamment flexibles, mais les fintechs qui les développent ont besoin de partenariats pour s’étendre et instaurer un climat de confiance avec les consommateurs.

4. FACE À LA VOLATILITÉ DES MONNAIES, DES ACTIFS TOKENISÉS ET UN FINANCEMENT PAR LES BANQUES COMMERCIALES

Les banques commerciales, les assureurs et les partenaires immobiliers peuvent jouer un rôle fondamental pour rassurer les épargnants digitaux en leur montrant que leurs actifs sont protégés contre la volatilité des monnaies locales.

Grâce à leurs financements, les banques commerciales historiques peuvent soutenir les fintechs spécialisées dans l’épargne qui manquent de ressources. Avec ces fonds supplémentaires, celles-ci peuvent atténuer les risques et s’étendre à plusieurs pays pour couvrir les risques de change.

Les partenariats entre fintechs et acteurs du secteur non financier permettent aussi aux épargnants de placer leurs fonds dans des actifs tokenisés moins volatils, comme l’immobilier fractionné ou l’or, leur ouvrant ainsi des marchés encore souvent inaccessibles.

5. DÉVELOPPER UNE ÉDUCATION FINANCIÈRE DIGITALE

Une intervention précoce des gouvernements est indispensable pour développer l’infrastructure Internet et éduquer le grand public à l’épargne digitale. Les fintechs proposent souvent un ensemble de services et ne disposent pas des ressources nécessaires pour promouvoir tous leurs produits. Les consommateurs ne connaissent donc pas toujours les options d’épargne à leur disposition.

S’il existe des programmes d’éducation financière menés par les pouvoirs publics, peu d’entre eux portent sur les services financiers digitaux. Des initiatives comme la semaine sans espèces au Rwanda, qui vise à promouvoir les paiements dématérialisés et l’épargne digitale, permettent de faire connaître à tous leurs multiples avantages.

6. LA NÉCESSITÉ D’UN CADRE RÉGLEMENTAIRE ADAPTÉ

Sur un marché opposant des produits digitaux complexes à des populations peu familiarisées avec les technologies, il est nécessaire d’instaurer un cadre réglementaire adapté. Les consommateurs doivent être protégés des frais injustifiés et bénéficier de services de qualité, avec des temps d’indisponibilité limités pour les applications et des systèmes de traitement des réclamations efficaces.

Les produits doivent être accessibles en plusieurs langues pour s’assurer que les utilisateurs comprennent clairement les conditions et les fonctionnalités. Déployer des innovations de micro-épargne digitale dans l’environnement contrôlé des « regulatory sandbox » permettrait de tester plusieurs approches pour développer des cadres réglementaires adaptés.

7. DE L’ÉPARGNE A L’INVESTISSEMENT

Les micro-investissements sur les plateformes fintech représentent la prochaine étape dans l’évolution de l’épargne. Mais là encore, des partenariats doivent être établis entre les différents acteurs du secteur.

Les bourses africaines souffrent souvent d’un manque de financement et d’une participation limitée du grand public. Les partenariats entre les fintechs et d’autres entités offrent des débouchés permettant d’investir les dépôts des clients ou de créer des opportunités d’investissement pour ces derniers, notamment grâce au prêt entre pairs (P2P) et au financement participatif (crowdfunding). Les épargnants peuvent alors investir dans des micro-entrepreneurs comme les vendeurs sur les marchés ou les agriculteurs.

Si les partenariats entre les fintechs et les petites entreprises peuvent dynamiser les économies, il est crucial d’y associer des institutions financières traditionnelles comme les assureurs pour atténuer les risques. Des initiatives prometteuses dans le secteur agritech au Nigeria permettant aux investisseurs de parrainer des agriculteurs et de récupérer des taux d’intérêt de plus de 30 % ont échoué en raison du manque de couverture contre les mauvaises récoltes.

La culture de la micro-épargne et de l’investissement sous forme digitale en Afrique peut avoir un impact considérable sur la revitalisation des économies locales. Pour soutenir cet élan, les institutions financières historiques et les gouvernements doivent toutefois venir épauler les efforts des fintechs spécialisées.

Par Valens Kimenyi (Banque Nationale du Rwanda), Uzoma Dozie (Sparkle), Osamudiame Adams (Mazars), Karan Bhalla (AiVantage Inc.), Joshua Chibueze (Piggyvest) et Jean Yenga (Visa)

Rédaction
Rédaction
Média multi-support édité par l’Agence Rhéma Service, cabinet de communication et de stratégie basé à Douala, Business & Finance International regroupe des partenaires internationaux issus du monde des médias, des affaires et de la politique, mus par la volonté de fournir une information vraie, crédible et exploitable pour un investissement sûr en Afrique.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici