(BFI) – En septembre 2024, le Cameroun mettra en service sa plus puissante centrale hydro-électrique : celle de Nachtigal, construite sur les rives du fleuve Sanaga à une soixantaine de kilomètres au nord de Yaoundé. Le chantier a été lancé 2019. Fruit d’un partenariat public-privé, ce projet colossal a coûté près de 800 milliards de francs CFA (environ 1,22 milliard d’euros). Les attentes, en termes de retombées, notamment économiques, sont nombreuses. Reportage de RFI.
Sur le campus de l’université Yaoundé, l’heure est aux soutenances de thèses. Étudier dans un pays où les coupures d’électricité rythment le quotidien n’est pas une chose aisée. « Ça perturbe vraiment la vie des Camerounais. Surtout pour nous, les étudiants. Ça ne nous permet pas de travailler à temps. Ça perturbe vraiment la vie scolaire », raconte un jeune doctorant en physique, précisant que son université reste relativement épargnée, par rapport à d’autres.
À quelques mètres de là, devant le Centre d’études et de recherche en économie et gestion, un autre étudiant – photographe et vidéaste – témoigne : « Nous vivons des coupures régulières de lumière. Pour une ville comme Yaoundé, ça ne s’explique pas qu’on coupe la lumière, pendant 3 à 5 heures. Nous sommes dans une ville économique. Les gens travaillent. Les gens ont des activités. Ça nous bloque, ça nous empêche. Moi, particulièrement puisque je fais du montage vidéo. Lorsque tu lances un rendu et qu’on te coupe la lumière, tu dois reprendre à zéro. Ça freine l’activité économique. Bon, on a espoir que les choses changent. Peut-être que la mise en service de Nachtigal pourra résoudre les choses ».
Le jeune homme se dit toutefois pessimiste : « D’autres barrages sont en service. Mais jusque-là, on nous coupe toujours l’électricité sans explication. »
Des retombées économiques pour les ménages et l’industrie
Les retombées de l’aménagement hydro-électrique de Nachtigal sur l’économie seront pourtant bien réelles, assure le professeur Henri Ngoa Tabi, enseignant à la Faculté de sciences économiques et de gestion à l’Université de Yaoundé II et directeur du laboratoire de recherche interdisciplinaire en économie du développement. « La plupart des ménages ont des très petites entreprises et c’est à travers ces activités qu’ils arrivent à nourrir leurs familles. Le manque d’énergie électrique fait souvent que ces très petites entreprises ne peuvent pas dérouler leurs activités convenablement. Avec l’augmentation de la capacité productive, ces ménages pourront donc travailler en toute aisance », explique-t-il.
D’une puissance annoncée de 420 Mégawatts (MW), la centrale hydro-électrique de Nachtigal devrait, aussi et surtout, bénéficier au secteur industriel. « L’industrie consomme énormément d’énergie. Nous avons des entreprises ici comme Alucam, qui produit l’aluminium, qui consomme énormément d’énergie électrique. Les cimenteries aussi consomment énormément, ce qui fait que beaucoup de ces industries installées n’arrivaient pas à tourner à plein régime. Avec l’augmentation de la capacité, non seulement celles qui sont installées vont tourner à plein régime, mais maintenant, il y en aura encore d’autres qui seront créées », poursuit le professeur Henri Ngoa Tabi.
L’autoproduction d’électricité, un manque à gagner pour l’État
Pour faire face au déficit d’offre énergétique, nombre d’industries camerounaises se sont tournées vers l’autoproduction d’électricité. D’après le ministre de l’Énergie et de l’Eau, Gaston Eloundou Essomba, elles produisent « au moins 450 MW d’électricité pour leur propre compte », ce qui constitue un manque à gagner pour l’État.
Outre ses avantages environnementaux, la centrale hydro-électrique de Nachtigal permettra donc d’augmenter l’offre tout en réduisant la facture, assure le ministre : « Nous pourrons générer 1 kilowatt d’électricité pour 42 francs CFA, contre environ 200 francs CFA avec les centrales thermiques ». Centrales thermiques qui couvrent aujourd’hui près d’un tiers de la production électrique du pays. Soit une économie de 158 francs CFA/kilowatt.
« Cette augmentation de la capacité énergétique va permettre la création de ces industries, la création d’emplois et derrière ceci, on aura des effets multiplicateurs à tous les niveaux de l’économie qui seront très intéressants. Le taux de croissance va sérieusement augmenter. Actuellement, les taux de croissance du Cameroun tournent autour de 3 ou 4%. Fin 2024, lorsque le projet Nachtigal sera terminé, là on va peut-être voir le taux de croissance augmenter de l’ordre de 5, 6 ou 7% », complète le Professeur Henri Ngoa Tabi.
Maintenant, comment être certain que l’énergie produite par Nachtigal ne sera pas exclusivement absorbée par le secteur industriel – dont les besoins ne cessent de croître, au détriment des ménages et petits commerces ?
Pour le professeur Henri Ngoa Tabi, cette question doit faire l’objet d’un « savant dosage ». « Il va falloir réguler pour que les ménages puissent augmenter leur bien-être et que la production et la création des richesses puissent aussi s’accroître », souligne-t-il, rappelant que d’autres barrages hydro-électriques vont être construits, notamment celui de Kikot, également situé sur les rives du fleuve Sanaga. Sa puissance électrique – 450 à 550 MW – pourrait dépasser celle de Nachtigal. Le début du chantier est annoncé pour 2025.
Le Cameroun souhaite exporter son énergie vers le Tchad
Le Cameroun produit actuellement autour de 1652 mégawatts d’énergie, selon le ministère de l’Économie, de la planification et de l’aménagement du territoire (Minepat). D’ici à 2030, le pays souhaite porter sa production énergétique à 5 000 mégawatts. Le développement de ces différents projets d’aménagements hydro-électriques s’inscrit dans le cadre de la Stratégie nationale de développement à horizon 2030 (SND30). « L’un des objectifs principaux est de produire l’énergie électrique en quantité abondante pour améliorer le cadre de vie des populations, booster l’industrialisation et devenir un pays exportateur d’énergie », notamment vers le Tchad, indique le ministre Gaston Eloundou Essomba.
Le calendrier fixé est ambitieux : le Cameroun vise une interconnexion entre le Nord et le Sud dès 2026 et interconnexion avec le Tchad « probablement autour de 2027 », selon le ministre. Ce dernier précise que « les financements sont déjà mobilisés avec la Banque mondiale, la Banque islamique de développement et la Banque africaine de développement ».
Le réseau de distribution reste inadapté
Le réseau de distribution d’électricité reste cependant largement inadapté. Pour répondre à cette problématique et parvenir à son objectif – produire 5 000 mégawatts d’ici à 2030 –, le Cameroun a mis sur pied un Plan de redressement du secteur de l’électricité, en février dernier.
Il prévoit « l’amélioration des capacités de transit, la construction de nouveaux postes et lignes de transport pour alimenter les industries », peut-on lire sur le site du ministère de l’Économie, de la planification et de l’aménagement du territoire. Le coût total de ce plan est évalué à 420 milliards de francs CFA, environ 640 millions d’euros. La Banque mondiale s’est d’ores et déjà engagée à y injecter 184 milliards de francs CFA, environ 280 millions d’euros.
La mise en service de la centrale hydro-électrique de Nachtigal est annoncée pour septembre 2024. La première turbine devrait être inaugurée en décembre 2023. Le compte à rebours est donc lancé.