(BFI) – Dans les dédales des documents et autres informations désormais reçus volontairement ou non par la voie des réseaux sociaux, celui sur un journal connu des chercheurs sur l’actualité du continent africain m’interpelle : africa intelligence du 21 novembre Africa 2021, sous le titre : « Pipeline Tchad Tchad-Cameroun : pourquoi ExxonMobil et Petronas attaquent Yaoundé en arbitrage ». En tant que chercheur en politique énergétique dans un pays annoncé comme acteur majeur en la matière dans les prochains mois, le Sénégal, certains mots tels « pétrole », « barils », et ici « pipeline » résonnent comme des invitations, tellement la littérature si ce n’est spécialisée, au moins en principe avertie, est encore rare sur le continent.
Simplement, un doute m’habite dans le choix même du titre. L’ambiance actuelle de la coupe du monde de football au Qatar justifie-t-elle l’usage (inapproprié) du mot « attaque » s’agissant d’un litige apparemment fiscal entre compagnies et les Etat-hôtes de l’investissement, alors même que par nature, ce sont les États qui réclament en principe que les droits dus par les contribuables, soient acquittés ? Sur le plan chronologique, s’il faut rester dans le (pauvre) registre footbalistique, qui serait alors l’attaquant et logiquement le défenseur ?
Malheureusement, le doute qui est distillé par un titre peu porteur se transforme en conviction au fur et à mesure de la lecture (pénible) de cet article. D’abord un ensemble de contradictions perceptibles même par non spécialiste de la chose fiscale s’imposent comme nez au visage. La première contradiction est que les deux Etats du Tchad et du Cameroun sont présentés comme voulant « tirer profit » du départ de ces partenaires. Si c’était le cas, pourquoi attendre plus de vingt ans de relation pour « profiter » de leur départ ? Celui-ci aurait il été provoqué par les Etats, ou est-il volontaire ? Rien de précis à ce sujet. Ensuite, et c’est la deuxième contradiction, le Tchad est explicitement taxé (sans jeu de mot) de vouloir un bonus de séparation « non prévu par les textes réglementaires », tandis que le Cameroun « souhaite l’imposer fiscalement ».
Alors que ce serait donc deux logiques différentes qui animeraient les deux Etats « profiteurs », l’article rappelle qu’« aucune clause dans le contrat ne prévoit le versement d’un quelconque impôt en cas de départ ». La conséquence alors logique, selon l’auteur, anonyme, est que « le Cameroun (n’est) pas en position de force dans le dossier ». Résumons : l’auteur ne donne pas le sort de la demande du bonus de séparation demandé par le Tchad (alors que non prévu par les textes), mais prédit le sort d’une situation fondée, selon lui-même, sur des règles fiscales et contractuelles, mais prédiction faite sur la base de la version des deux entreprises. Où est la cohérence et la pertinence d’un tel raisonnement ? Quelle est la version de l’Etat « attaqué », en balance de celle des entreprises ?
Au final, cet article connote le parti pris dans une question dont l’auteur n’est manifestement soit pas informé, soit pas techniquement équipé, et même très probablement en raison de ces deux insuffisances à la fois. Il n’est dans tous les cas pas crédible, considération faite de sa proximité culturelle et peut être matérielle manifeste avec ces entreprises. Le seul mérite de cet article est d’avoir révélé la vigilance de ces deux États devant des mastodontes qui n’ont probablement pas anticipé le professionnalisme et patriotisme aiguisés de ces derniers.
L’ultime contradiction d’ailleurs de cet article partisan est d’anticiper le résultat d’un « match » qui a, à peine commencé, comme pour tuer dans l’œuf une procédure a priori non partisane, traduisant finalement l’inverse de ce qu’il croit dire, à savoir de la fébrilité. En tout état de cause nous suivrons avec grande attention le résultat de cette procédure, en se rappelant la sagesse de Pierre Billon, pour le bonheur des populations africaines suffisamment spoliées de leurs richesses depuis toujours, suivant laquelle « la dignité est dans la lutte, elle n’est pas dans l’issue du combat ».
Abdoul Aziz Badiane, Université Cheick Anta Diop, Dakar, 23/11/22.