(BFI) – De passage à Lomé du 27 au 31 octobre dans le cadre d’une visite officielle, le vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et Centrale, Ousmane Diagana s’est confié aux confrères de Togo First et Agence Ecofin dans une interview exclusive. Des infrastructures, au Doing Business, en passant par l’éducation, le numérique et les vaccins, l’économiste mauritanien donne sa vision du partenariat avec le Togo, et les enjeux et perspectives de l’Afrique post-covid.
Vous venez de passer une semaine marathon au Togo, avec un passage en revue des actions de la Banque sur le territoire. Votre passage est-il annonciateur de nouveaux développements dans la coopération entre votre Institution et le Togo ? Dans quels domaines pouvons-nous vous attendre ?
Je me réjouis de cette première visite depuis ma prise de fonction en tant que vice-président pour l’Afrique de l’Ouest et centrale. Par le passé j’ai été directeur des opérations de la Banque Mondiale pour un certain nombre de pays dont le Togo, avec résidence à Abidjan. Cette visite s’inscrit dans le contexte de la solidarité que nous exprimons aux pays face à la crise pandémique, une crise sanitaire extrêmement violente qu’ils ont connue. Elle intervient aussi au moment où nous commençons les discussions avec le Togo, pour la préparation de notre prochaine stratégie de partenariats qui va couvrir la période 2022-2026.
Le Togo, avant la pandémie de Covid-19, connaissait un taux de croissance élevé, plus de 5% en moyenne par an, et enregistrait aussi des résultats probants en matière de recul de la pauvreté. Évidemment ces progrès ont été affectés avec cette crise sanitaire. Nous avons donc, dans nos échanges avec le gouvernement, discuté des voies et moyens de l’accompagner pour que la reprise qui s’amorce déjà au Togo puisse être forte, durable et inclusive.
Votre institution a également signé un certain nombre d’accords durant ces trois jours. Pouvez-vous nous en dire plus ?
En effet, nous avons procédé au lancement d’un projet pour l’amélioration de la qualité de la santé et offrir une assurance maladie universelle à 60% de la population togolaise. Nous avons aussi signé un accord de financement pour le corridor Lomé-Ouagadougou-Niamey, un programme de transport et de développement des infrastructures. Le premier, le programme santé, c’est 70 millions $, et le second, c’est 120 millions $; ce qui représente en tout 190 millions $.
Mais, à part ces accords de financement, et depuis la survenue de la Covid-19, la Banque mondiale a accéléré et diversifié ses interventions au Togo. La Banque a notamment apporté un appui budgétaire au Togo, face aux pressions causées par la crise sur ses liquidités, et nous l’avons accompagnée par un programme de renforcement du système sanitaire et d’acquisition des vaccins.
Notre appui au Togo pour faire face à la crise sanitaire et économique liée à la Covid-19 fait environ 120 millions $, ce qui fait que nous avons en cours au Togo un portefeuille de projets, très large, qui dépasse 700 millions $. Le Togo est d’ailleurs l’un des principaux bénéficiaires des financements de BM dans la sous-région ouest-africaine. Si ces augmentations ont pu avoir lieu, c’est certainement pour aider le pays dans cette période difficile, mais également en reconnaissance de la qualité et de la performance des programmes que nous avons ici.
Et là-dessus, je tiens à féliciter les autorités togolaises et l’ensemble des départements ministériels qui sont responsables de l’exécution et du suivi des projets financés par la banque mondiale au Togo.
Le Togo a expérimenté durant la crise, un programme de revenu universel de solidarité, appelé Noyissi, en associant l’IA pour mieux cibler les couches les plus concernées. Pensez-vous que c’est le chemin à suivre en Afrique ?
Tout d’abord, je tenais de nouveau à féliciter le gouvernement togolais pour les mesures urgentes et idoines qu’ils ont prises depuis la survenue de la pandémie. L’exemple de Novissi est effectivement parlant, parce que c’est un programme de filets sociaux, via des transferts monétaires, très novateur. En ceci qu’il s’appuie sur le numérique pour mettre en place un mécanisme de ciblages fiable des meilleurs bénéficiaires. Ceci donne à tout l’instrument beaucoup de crédibilité, et tout le monde salue cette approche du Togo.
Notre objectif aujourd’hui est de toucher encore plus de personnes, surtout celles dans les zones reculées du pays. Pour cela, il faut donc élargir le programme pour que, dans un premier temps, le maximum de personnes qui ont des besoins d’appui puissent être identifiées et soutenues, et, dans un deuxième temps, faire profiter les autres pays africains de cette expérience qui est en cours au Togo.
Toujours au Togo, l’agriculture joue un rôle prépondérant dans l’économie. Mais malgré le rôle structurant que joue l’agriculture, l’accès aux ressources financières reste encore faible. La banque est déjà intervenue sur des projets comme le PASA qui voulait booster justement le secteur agricole. Mais ces initiatives concernent surtout la production et moins les mécanismes qui pourraient servir de pont aux crédits bancaires, dans ce cas d’espace le Togo a par exemple lancé ce qu’on appelle le Mifa ?
C’est une très bonne initiative, nous la saluons. Vous savez, l’agriculture dans tous les pays du monde joue un triple rôle : celui d’alimentation des populations, de création d’emplois, et de génération de revenus pour les populations du milieu rural. Chaque fois qu’il est des dispositifs prometteurs, mis en place soit par l’État, soit par le secteur privé ou les deux ensembles, nous les regardons et si nous avons la possibilité de les soutenir pour les faire passer à l’échelle supérieure, nous le faisons, avec la conviction que la croissance durable, la croissance inclusive, viendra de secteurs comme l’agriculture pour un pays comme le Togo.
Est-ce que la Banque réfléchirait aussi à des mécanismes du genre ?
La Banque mondiale est un groupe comme vous le savez, il y a notamment l’IDA, guichet pour lequel le Togo est éligible et puis il y a l’IFC. Ces mécanismes en particulier, on peut les soutenir à travers ces deux guichets en fonction de comment ils sont structurés et présentés. Il faut aussi tenir compte de ce que les autres partenaires aussi font. C’est aussi à travers le dialogue avec le gouvernement qu’on va identifier quels sont les domaines dans lesquels on peut avoir une influence plus forte avec des résultats plus rapides, et quels sont les autres domaines où d’autres acteurs y compris le secteur privé interne ou international peuvent contribuer. En résumé, et pour répondre de manière précise à votre question, oui la banque pourrait évaluer des possibilités d’appui de ce type dans le secteur agricole.
Le groupe de la Banque mondiale a été récemment secoué par des cas de malversations dans son rapport phare le Doing business, ce qui a conduit à sa suspension. Comment votre institution compte-t-elle rétablir cette crédibilité aussi bien pour elle que pour les pays, victimes collatérales de cette affaire ?
Pour ce qui concerne les réformes qu’évalue notamment le Doing Business, le Togo est l’un des pays qui a très bien fait et je crois qu’ayant tiré les bénéfices de ces réformes, avec ou sans Doing Business, ils doivent continuer dans cette voie, c’est manifestement utile pour le pays.
Un système de classement est toujours difficile parce que d’abord il y a une dimension de relativités. Mais pour revenir à ce que vous avez appelé “scandale”, ce qui est important à noter c’est que lorsque le problème a été porté à l’attention du management de la Banque et des départements qui sont en charges de la déontologie professionnelle dans l’institution et de la sauvegarde de ses valeurs, un travail d’investigation très approfondi a été fait. Et lorsque les résultats des études ont été rendus publics, des mesures urgentes ont été prises. Je pense qu’il n’y a pas de mesure plus forte que celle de dire “on arrête la production de ce rapport jusqu’à nouvel ordre”. Je pense qu’à chaque fois qu’il y a une crise, à chaque fois qu’il y a un problème, le plus important c’est de faire une pause, en tirer des leçons, et essayer de rebondir en mettant en place de nouveaux mécanismes et outils, et puis renforcer véritablement tous les principes d’intégrité et de transparence pour qu’une institution comme la Banque mondiale, qui a bâti sa réputation sur ses valeurs, puissent continuer à être respectée.
Vous avez été nommé en 2020 Vice-Président du Groupe de la Banque mondiale pour l’Afrique de l’ouest et centrale. Ainsi, l’institution de Bretton Woods a deux vice-présidents pour l’Afrique alors qu’avant il y en avait qu’un. Qu’est-ce que cela implique en termes d’engagements de la banque sur le continent ? En particulier, que peuvent espérer les 22 pays dont vous gérez désormais les portefeuilles ?
Il faut dire que la décision du président du groupe de la Banque mondiale d’avoir deux vice-présidents pour la zone de l’Afrique subsaharienne, résulte de l’intérêt que la Banque mondiale accorde à l’Afrique. Au fil des années, l’Afrique est devenue la région qui bénéficie du maximum des ressources IDA de la Banque mondiale. Deux tiers des ressources de la Banque mondiale en faveur des pays en voie de développement sont alloués à l’Afrique subsaharienne. En plus, c’est la région qui emploie le plus de professionnels de la Banque mondiale, et de très loin, avec à peu près 3000 staffs aujourd’hui. Pour s’assurer que ces importantes ressources puissent avoir une attention particulière, il a été nécessaire de confier à deux vice-présidents un volume de portefeuille et un nombre de staff qui peuvent être gérés de manière efficace.
En termes d’impact, on peut accorder plus d’attention aux pays et au dialogue avec eux. Malgré ce doublement en termes de vice-présidents pour l’Afrique, chacun des vice-présidents a plus d’argent à gérer, plus de projets et de programmes à superviser et à plus de ressources pour préparer de nouveaux projets que la plupart des autres départements. C’est donc un travail gigantesque que chacun d’entre nous abat, mais heureusement nous avons un personnel très compétent, dévoué et disponible.
Même si sur le plan sanitaire, l’Afrique a été relativement peu touchée par la pandémie, les conséquences économiques semblent importantes pour le continent. Au-delà des appuis d’urgence qui ont été débloqués en faveur du continent, pensez-vous que la Covid-19 va changer la façon dont la Banque intervient dans les pays africains, notamment avec un accent particulier sur les couches les plus jeunes qui non seulement sont les plus nombreuses sur le continent mais également les plus vulnérables ?
Vous avez parfaitement raison quant aux répercussions économiques de la crise sur l’Afrique. Une des choses que nous, au niveau de la Banque mondiale, regardons de très près, et sur lesquelles on va s’accentuer dans les années à venir, c’est le renforcement du capital humain, y compris des systèmes de santé.
Aujourd’hui, on est donc en train de financer beaucoup de programmes dans ce secteur, en plus des ressources accordées aux pays pour se procurer des vaccins. J’ai parlé tout à l’heure du projet de 70 millions $ pour le Togo, nous travaillons à faire de l’Institut Pasteur de Dakar un hub pour la production de vaccins, entre autres.
En second, en matière de développement du capital humain, nous voulons mettre un accent particulier sur l’éducation, une éducation de qualité, sur toute la chaîne éducative. Il y aura donc beaucoup de programmes de renforcement du système éducatif et des compétences.
Un autre domaine, ce sont les programmes structurants qui participent à la transformation économique pour la création de plus d’emplois : l’énergie, l’économie numérique, les routes, l’agriculture.
Dans les mois à venir, nous ferons surement beaucoup d’autres annonces, et en ce qui concerne un pays comme le Togo. La stratégie nouvelle de partenariat que nous allons préparer va être très volontariste, qui va notamment accompagner la mise œuvre de la feuille de route gouvernementale. Parce que j’en suis convaincu, il y a au Togo la vision, le potentiel et la volonté, d’en faire un pays émergent. On va donc multiplier les programmes en matière d’éducation et d’accès à la santé, en plus grands et plus structurants, pour aider le Togo.
Selon le rapport Africa’s Pulse, la reprise en Afrique subsaharienne sera au rendez-vous mais incertaine. Elle dépendra notamment de l’accès au vaccin. A ce jour, le continent dans son ensemble atteint à peine 10 % de couverture vaccinale. Comment la Banque entend-t-elle aider les pays africains à avoir accès au vaccin dans la logique d’accélérer la reprise économique ?
L’incertitude est effectivement le maître mot dans cette crise, c’est aussi bien vrai pour l’Afrique que pour le reste du monde. Pour ce qui concerne la Banque mondiale, nous avons deux casquettes comme vous le savez. D’une part d’institution financière, nous avons mobilisé le maximum de ressources pour le monde et l’Afrique, plus de 120 milliards $, pour aider les pays à faire face à la crise, dans ce lot, 50 milliards $ ont été dédiés à l’Afrique, à travers des projets spécifiques dans la santé mais également dans les programmes économiques pour aider à atténuer les problèmes économiques engendrés par la crise.
La deuxième casquette, c’est celle de conseiller techniques des pays, et d’institution qui porte la voix de ses différents clients sur la scène international, pour qu’ils bénéficient du maximum de soutien de solidarité, et c’est pour cela que nous avons, dans tous les pays, des équipes qui dialoguent à la fois avec le secteur public et le secteur privé pour partager avec eux les résultats de nos propres analyses sur comment on réussit une reprise économique au terme d’une période de crise, de même que les expériences à l’international qui ont le plus marché. C’est en même temps la raison pour laquelle dans tous les fora mondiale, la Banque mondiale dit que l’Afrique ne doit pas être à la traîne sur le plan de la disponibilité et de l’accès aux vaccins, mais également, sur le plan du transfert du maximum de ressource financières pour l’aider à se développement.
La Banque mondiale a participé à la déclaration d’Abidjan pour la reconstitution des ressources de l’IDA en juillet. Aujourd’hui l’Afrique est la principale région bénéficiaire de cette institution, loin devant l’Asie du Sud. Pensez-vous qu’il soit possible de parvenir, comme l’a plaidé le président de la commission de l’UA, à une IDA dont les ressources seront consacrées à 100% au continent ?
Disons qu’il y a une formule qui concerne l’allocation des ressources de l’IDA. L’Afrique en est déjà le principal bénéficiaire… Va-t-on donner 100% de ces ressources au continent, certainement non, mais je pense qu’il y a d’autres guichets au sein de la Banque, auxquels des pays sont éligibles, notamment l’IFC, la MIGA, qui aident également les pays.
A mon avis, quand on fait le bilan, on a certainement atteint un engagement du Groupe de la Banque mondiale pour les pays africains, de plus de 100 milliards $ sur trois ans.
Les besoins de financement pour les infrastructures en Afrique sont estimés à plus de 170 milliards $ par an jusqu’en 2025, selon la BAD. Il est quasi impossible aujourd’hui de combler ce gap avec l’argent public. Dans ce contexte, sur quel type d’infrastructures la Banque mondiale voit-elle des niches d’investissements en Afrique ?
Le champ des infrastructures est très vaste et varié. En Afrique, par exemple, sur le portefeuille de 42 milliards $ disponibles pour les 22 pays que je couvre, 14 milliards sont uniquement dans le secteur de l’énergie ; sans compter le secteur des routes, écoles et centres de santé. Les infrastructures sont un secteur prioritaire qui va faire toujours l’objet d’une attention très forte de la Banque mondiale. Nous allons continuer à travailler sur ce terrain, parce que les investissements dans ces secteurs ont un effet multiplicateur sur l’économie.
On voit de plus en plus d’Africains positionnés sur la scène internationale. Entre 2020 et 2021, on a eu par exemple Ngozi Okonjo-Iweala à l’OMC, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus à l’OMS, Makhtar Diop à l’IFC, vous-même représentez la Banque mondiale en Afrique… Qu’est-ce que cela vous inspire de voir des figures comme vous, agir à très haut niveau dans les instances dirigeantes sur la scène internationale. Et qu’est-ce que ça fait d’inspirer la jeune génération ?
C’est d’abord une conséquence logique du fait que les Africains, sur le plan intellectuel, n’ont rien à envier aux autres citoyens du monde. Nous allons dans les mêmes écoles, accordons la même importance au travail bien fait, et bien entendu, croyons beaucoup à la performance comme moteur du progrès dans n’importe quel système. Deuxièmement, il est clair que les pays qui ont encore un chemin important à parcourir pour être des pays émergents ou développés, sont essentiellement africains. Et donc nous avons cet avantage comparatif pour pouvoir bien expliquer dans les fora, ce dont l’Afrique a besoin, parce que nous venons de ces pays africains. Nous avons fait nos écoles en Afrique, nous sommes les fruits de l’école publique africaine et nous connaissons aujourd’hui les défis auxquels le système éducatif africain est confronté. Ceux de la jeune génération aujourd’hui n’ont pas exactement les mêmes conditions et bénéfices que nous à notre époque, pourtant ils ont les mêmes aspirations légitimes. Il s’agit donc de : comment les aider à atteindre leurs objectifs, et réaliser leurs rêves ?
Les réponses à cette question font partie des objectifs des institutions que vous avez mentionnées ; et tout le monde peut y contribuer, sur le plan de la réflexion, mais les Africains sont encore mieux positionnés.
Sur le terrain de l’inspiration, nos positions à ces niveaux sont peut-être la récompense d’une certaine carrière, mais en même temps, cela nous interpelle tous. Nous devons réussir pour inspirer nos jeunes frères et nos jeunes sœurs. Pour cela, nous devons d’abord montrer que nous sommes des femmes et hommes de valeur, qui croient à l’importance du travail bien fait, l’intégrité et l’humilité.
Nous devons aussi continuer à démontrer aux pays africains que nous sommes à leur écoute, que s’il y a des personnes qui peuvent les accompagner dans leur marche de développement, nous en faisons partie. Parce que demain nous serons tous d’anciens fonctionnaires de la Banque mondiale, de l’IFC ou autres, mais nous ne serons jamais d’anciens Africains. Nous ne voulons pas être dans un continent qui régresse, mais qui progresse.