(BFI) – La récente décision de Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA à propos du terminal à conteneurs de Douala, fait l’objet de deux interprétations différentes. Chacune des deux parties crie victoire. La rédaction d’Investir au Cameroun apporte son éclairage et arbitre le duel médiatique.
Le 28 janvier 2021, le litige relatif à la gestion du terminal à conteneurs du port de Douala, qui oppose depuis 2019 le Port autonome de Douala (PAD), entreprise publique chargée de la gestion de cette plateforme portuaire, au consortium formé par Bolloré et APM Terminals, filiale du groupe Maersk, a connu un nouveau rebondissement devant la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) de l’Ohada, basée à Abidjan.
Au terme d’une audience consécutive au pourvoi introduit le 27 février 2020 par le PAD, en cassation de l’ordonnance rendue le 31 décembre 2019 par le tribunal administratif du Littoral, par laquelle cette juridiction suspend les effets de la résolution du Conseil d’administration du port de Douala créant une régie pour la gestion du terminal à conteneurs ; la CCJA de l’Ohada a rendu la décision suivante : « statuant publiquement, après en avoir délibéré, se déclare compétente ; rejette le pourvoi formé par le Port autonome de Douala SA, les condamne aux dépens ».
« Le litige en cause fait suite à un appel d’offres lancé par le PAD pour la gestion du terminal à conteneurs du Port de Douala ainsi qu’à la mise en régie subséquente dudit terminal à l’initiative du PAD. Saisie pour la première fois dans ce différend qui a d’ores et déjà fait l’objet de diverses décisions favorables aux groupes Bolloré et Maersk devant les juridictions nationales et arbitrales ; la juridiction communautaire vient de trancher une fois de plus en faveur de ces derniers. Ainsi, la CCJA, par un jugement rendu le 28 janvier dernier, a rejeté le pourvoi en cassation formé par le PAD contre la décision ordonnant la suspension de la Régie du terminal à conteneurs rendue par le tribunal administratif du Littoral, le 31 décembre 2019. Vous l’aurez compris, l’information circulant sur les réseaux sociaux et faisant état de ce que la CCJA aurait désavoué le tribunal administratif du Littoral est donc purement et simplement fausse », explique Me Jacques Jonathan Nyemb, conseil des groupes Bolloré et Maersk, dans un communiqué adressé à l’agence Ecofin.
Mais, le juriste d’affaires ne précise pas que, devant la CCJA, le duo Bolloré-Maersk a tout de même essuyé un revers, bien qu’au final, le PAD ait été débouté de son pourvoi. En effet, l’expédition de la décision signée le 29 janvier 2021 par le greffier en chef de la CCJA, Me Assiehu A. Edmond, révèle que dans sa ligne de défense, le duo Bolloré-Maersk souhaitait voir la CCJA se déclarer « incompétente » pour connaître du litige, en raison de ce qu’il relèverait davantage d’une affaire administrative que du droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, qui est le domaine d’application des textes de l’Ohada. En retenant sa compétence dans cette affaire, la CCJA a tout simplement rejeté l’exception soulevée par les avocats des groupes Bolloré et Maersk, ce qui fait exulter du côté du PAD, où la décision de la CCJA charrie de nouveaux enjeux, notamment sur la juridiction nationale compétente pour connaître de ce litige.
L’impatience du Suisse TIL
« Bolloré et Maersk plaidaient pour que la CCJA se déclare incompétente, afin de donner raison au tribunal administratif du Littoral. Or, en se déclarant compétente, elle dit que la décision du Conseil d’administration créant la RTC (régie du terminal à conteneurs) relève d’un acte commercial et non administratif. Par conséquent, le PAD va se retourner vers le tribunal de grande instance (TGI) », assène un cadre du PAD proche du dossier. Ce dernier croit également savoir qu’à la suite de la décision de la CCJA, « le tribunal administratif du Littoral doit se déclarer incompétent, tout comme la chambre administrative de la Cour suprême n’a plus le droit de connaître de cette affaire ».
« Le PAD avait, dans un premier temps, formé un pourvoi en cassation devant la Cour Suprême du Cameroun et s’était ensuite pourvu également devant la CCJA. Cette décision de rejet de la CCJA étant insusceptible de recours, la procédure va donc désormais se poursuivre sereinement devant les juridictions camerounaises. Il appartiendra ainsi à ces dernières de statuer non seulement sur la suspension de la mise en régie intervenue, mais corrélativement sur la légalité de cette dernière ; eu égard aux lois en vigueur en République du Cameroun (…) Les procédures entamées vont se poursuivre et les groupes Bolloré et Maersk, actionnaires de référence de Douala International Terminal (DIT), continueront bien entendu à défendre leurs droits devant les instances juridictionnelles nationales et internationales, en particulier concernant les réquisitions de son personnel et de ses actifs ordonnées par le PAD fin décembre 2019 », confie Me Jacques Jonathan Nyemb, conseil des groupes Bolloré et Maersk.
Pour l’heure, alors qu’il est cœur d’une bataille judiciaire depuis la fin de la concession en décembre 2019, le terminal à conteneurs du port de Douala continue d’être géré en régie par le PAD. Ceci, en dépit de la décision du tribunal administratif du Littoral ordonnant la suspension des effets de la résolution du Conseil d’administration créant cette régie, et pour laquelle le PAD (qui invoque l’impératif de la « continuité du service public » au port de Douala) vient d’essuyer un nouveau camouflet par rapport à son pourvoi en cassation introduit auprès de la CCJA.
Au demeurant, pendant qu’il prépare l’ouverture d’une nouvelle procédure, cette fois-ci devant le tribunal de grande instance (et non plus le tribunal administratif et la chambre spécialisée de la Cour suprême), le PAD doit faire face à un nouveau front. Officiellement déclarée nouvel adjudicataire du contrat de concession du terminal à conteneurs du port de Douala, après la fin du contrat de Bolloré et Maersk, suite à une procédure d’appel d’offres viciée selon ces deux opérateurs portuaires, la société suisse Terminal Investment Ldt manifeste désormais son impatience à prendre effectivement possession du terminal. Motif : non seulement la bataille judiciaire entre le PAD et Bolloré-Maersk s’éternise, mais aussi la régie active sur ce terminal a été prorogée jusqu’en 2024.