(BFI) – La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) est officiellement opérationnelle depuis le 1er janvier dernier, établissement ainsi le plus grand espace commercial au monde. Mais alors que les interrogations demeurent autour du fonctionnement à plein régime de ce bloc commercial inédit, le secrétariat de la Zlecaf qui s’est exprimé devant la presse, se veut rassurant.
C’est un marché de 1,2 milliard de consommateurs et puissant de 3,4 milliards de dollars dont les bases sont jetées suite à la mise en œuvre officielle de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) le 1er janvier 2021. Le plus vaste espace commercial au monde en termes de nombre de pays participants. Au moment où l’effectivité pour l’ensemble du continent de ce bloc commercial inédit suscite encore de nombreuses interrogations, Wamkele Mene, secrétaire général de la Zlecaf, lors d’une conférence de presse mardi 12 janvier, a tenu à préciser l’état d’esprit et surtout les conditions dans lesquels évoluera le processus qui s’annonce long. « Il y a des pays qui sont prêts, et nous allons commencer avec ceux-là. Nous avons également des pays qui se sont fortement engagés et nous sommes sûrs qu’ils suivront bientôt », a déclaré le diplomate sud-africain.
D’après Wamkele Mene, les pays « prêts » sont notamment le Ghana, l’Egypte ou encore l’Afrique du Sud qui disposent des infrastructures commerciales requises pour que les échanges fonctionnent correctement. Il affirme également que plusieurs autres pays sont en train de mettre ces infrastructures en place.
Négociations avancées sur les règles d’origine
A ce jour pour rappel, 54 pays sur 55 ont signé l’accord de la Zlecaf, tandis que 35 pays sur 54 l’ont ratifié. Le Nigeria -première puissance économique du continent- qui est longtemps resté réticent, faisant l’objet d’un intense lobbying -notamment de la part de Cyril Ramaphosa alors président de l’Union africaine-, est l’un des derniers pays à avoir déposé son instrument de ratification de l’accord.
A plusieurs reprises, l’Union africaine s’est dite conscience que la mise en œuvre complète de la Zlecaf prendrait plusieurs années, d’autant que les questions liées aux règles d’origine, aux barrières non tarifaires … font encore débat. A ce propos néanmoins, le secrétariat de la Zlecaf se veut rassurant, affirmant que près de 90% des règles d’origine prévues pour la mise en œuvre de l’accord ont déjà été négociées et ce, dans l’objectif d’encourager la création des emplois au sein des différentes économies du continent, puisque la Zlecaf promeut essentiellement les produits à valeur ajoutée africaine.
Aussi à ce stade, le secrétariat de la Zlecaf balaie du revers de la main les critiques émises contre le processus. « J’entends les critiques émanant de certaines parties du monde. Je veux leur demander de me montrer un accord commercial où tous les États parties étaient tous prêts à commercer dès le premier jour ! », s’est insurgé Mene, citant en exemple l »accord commercial européen qui « comme nous l’avons tous vu, subit encore des changements fondamentaux ».
A ce titre justement, lors du ConnectLive de La Tribune Afrique organisé en novembre dernier sur l’industrialisation, Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique et Professeur à la Nelson Mandela School of Public Governance, Université du Cap et à Sciences Po, Paris, soulignait la complexité du projet. « La Zlecaf est un processus assez complexe. Du point de vue des exigences en termes de sophistication de protocoles, il est beaucoup plus difficile aujourd’hui de faire des zones de libre-échange qu’il y a 20 ans parce que nous avons beaucoup de régulation, notamment en matière de propriété intellectuelle, en matière de règles d’origines, nous avons les mécanismes pour les conflits, etc », expliquait l’économiste bissau-guinéen avant d’ajouter : « il va falloir harmoniser les choses pour qu’on puisse effectivement voir les résultats. Mais ce qui est important c’est qu’on puisse déjà utiliser les points d’entrée qui sont à notre disposition ».
Ces pays qui s’activent
A l’échelle continentale et dans un contexte de relance économique où plusieurs experts voient la Zlecaf comme un catalyseur, les pays du continent s’activent, chacun à son niveau, pour pouvoir tirer avantage de ce vaste marché. L’Algérie à titre d’exemple compte sur cet espace commercial pour sortir enfin de sa forte dépendance vis-à-vis de l’exploitation pétrolière et gazière. Le Groupe public de transport terrestre de marchandises et de logistique (LOGITRANS) travaille à l’aménagement au sein de ses ports de zones de transit international et vient de créer une antenne spécialisée dans le transport international qui aura la charge d’accompagner les acteurs économiques algériens dans l’acheminement de leurs marchandises vers les autres marchés africains.
Le Kenya a, pour sa part, prévu de revoir à la hausse sa production générale. Grand exportateur de produits horticoles, de thé, de café, mais aussi de ciment, le pays d’Uhuru Kenyatta compte mettre l’accent sur l’agroalimentaire dans le cadre de la Zlecaf et mobilise déjà ses industriels dans ce sens.
Le Rwanda voisin, un des pays très dynamiques récemment dans le domaine de l’industrie, se prépare également et compte sur un enrôlement fort du secteur privé pour répondre de manière adéquate aux enjeux de la Zlecaf. « Le besoin pour chaque pays africain sera d’être à mesure de proposer des produits et services qui sont compétitifs. Les pays les moins développés ont dix ans pour libéraliser leurs marchés et cinq ans pour les pays à moyen revenus. Cela nous donne une chance pour le Rwanda en tant que pays de préparer non seulement cette nouvelle compétition, mais aussi ces nouvelles opportunités que représente l’accès à tout le marché africain », détaillait lors du ConnectLive de LTA Soraya Akuziyaremye, ministre du Commerce et de l’Industrie, rappelant que l’entente au sujet des barrières non tarifaires est indispensable.
Un bloc économique bénéfique à plusieurs niveaux
Concrètement, selon une estimation de la Cnuced, la Zlecaf devrait permettre une augmentation du PIB des pays africains de l’ordre de 3%. De l’avis d’Hippolyte Fofack, économiste en chef et directeur de la Coopération internationale à la Banque africaine d’Import-Export (Afreximbank), « la Zlecaf est la réforme la plus importante que le continent ait connu depuis les indépendances. Ce marché intégré va booster la compétitivité, la productivité des entreprises africaines, permettra de réduire le risque d’opérer dans des marchés cloisonnés. Cela est significatif. Les économies d’échelles seront donc très bénéfiques pour le continent ». Et pour que ce projet soit une réussite, l’économiste camerounais estime cruciale la mise en œuvre de politiques conséquentes et le soutient des réformes sur une longue période. « Par exemple l’application stricte des règles d’origine sera fondamentale pour le succès des modèles de développement industriels tels que les import-substitutions », a-t-il précisé.
Actuellement, les instances de l’UA travaillent par ailleurs sur le digital qui, selon elles, représente un levier important pour accélérer l’opérationnalisation de la Zlecaf dans le contexte actuel de crise sanitaire. D’ailleurs à la veille de l’automne 2020, l’UA annonçait la mise en œuvre de différentes plateformes technologiques pour déployer efficacement et en toute sécurité le bloc commercial africain.
Le regard attentif et actif des partenaires de l’Afrique
Sur le plan international, les partenaires du continent suivent de près le processus. Deuxième partenaire commercial de l’Afrique après la Chine, l’Inde se positionne déjà par rapport à la Zlecaf et prévoit la création de chaines de valeur avec l’Afrique. Une mobilisation auprès des investisseurs et acteurs économiques indiens est également en cours. Carlos Lopès, notamment, estime que le continent devrait dès maintenant négocier avec ses partenaires internationaux, en particulier les grandes puissances économiques mondiales.
Toutefois au-delà des travaux, des analyses, des négociations et même de certaines réticences, … Wamkele Mene entend défendre coûte que coûte l’agenda de la Zlecaf dans l’intérêt du continent :« Je m’engage envers vous, mes 1,2 milliard de compatriotes africains, à ce que tant que je serai Secrétaire général, je ferai de mon mieux et je me battrai pour notre rêve, celui d’un marché africain intégré ».
La Tribune Afrique