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Cameroun : Projet de loi de Finances 2021 – Analyses et commentaires

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Par Dr Albert Léonard DIKOUME, Spécialiste des questions fiscales et financières

(BFI) – Le projet de Loi de Finances pour l’exercice 2021 a été soumis au Parlement le 25 novembre 2020 avec en préambule, « l’exposé des motifs ». Comme en 2015 la lecture de ce préambule montre bien vite qu’il ne s’agit pas véritablement d’un exposé des motifs, mais plutôt d’une note de synthèse dudit projet. Pourtant le régime financier en vigueur depuis le 11 juillet 2018 rend ce document obligatoire sous forme d’une annexe. Ce projet de loi comporte de nombreux aménagements, dont certains peuvent paraître révolutionnaires de prime abord. Ces aménagements touchent autant la fiscalité de porte (II) que la fiscalité interne (III).  S’agissant d’un projet de loi de Finances, nous n’analyserons et commenterons que les propositions d’aménagements pour lesquels une réécriture serait nécessaire avant l’adoption. D’entrée de jeu, il est important de relever que le caractère révolutionnaire de certaines propositions d’aménagement pourrait être annihilé par la mise en œuvre de certaines conventions internationales, à l’instar de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (I).

I – LA MISE EN ŒUVRE DE LA ZONE DE LIBRE-ECHANGE CONTINENTALE AFRICAINE (ZLECAf)

L’article douzième du projet de Loi de Finances dispose que « le Tarif Préférentiel de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf) entre en vigueur au Cameroun pour compter du 01er janvier 2021 ».

Les textes régissant la ZLECAf prévoient notamment que :

  • Les États parties éliminent progressivement les droits à l’importation ou les taxes à effet équivalent sur les produits originaires du territoire d’un autre État partie, conformément à leurs listes de concessions tarifaires.
  • Les marchandises sont éligibles au traitement préférentiel au titre de ce Protocole, si elles sont originaires de l’un des États parties conformément aux critères et conditions énoncés dans l’Annexe 2 sur les Règles d’origine et conformément à l’Appendice sur les règles générales et spécifiques des produits qui sera développée.
  • La libéralisation portera immédiatement sur 90 % des produits.
  • La liste des produits sensibles à libéraliser progressivement ne devra pas dépasser 07 %.
  • La liste des produits sensibles exclus de la libéralisation n’excédera pas 03 %.
  • Tout investisseur, même non africain, pourra s’installer dans un pays membre de la ZLECAF et inonder ce marché sans aucune restriction.
  • Dans tous les secteurs inscrits dans sa liste, et compte tenu des conditions et restrictions qui y sont indiquées, chaque État partie accorde aux services et aux fournisseurs de services de tout autre État partie, un traitement non moins aussi favorable que celui qu’il accorde à ses propres services similaires et à ses propres fournisseurs de services similaires.

Pour une bonne appréciation de cette proposition d’aménagement, le gouvernement devrait joindre à ce projet de Loi, entre autres :

  • La liste de concessions tarifaires pour le commerce des marchandises ;
  • Les listes d’engagements spécifiques pour le commerce des services ;
  • La liste des produits sensibles à libéraliser progressivement ;
  • La liste des produits sensibles exclus de la libéralisation ;
  • Un exposé succinct sur le système panafricain de paiements et de règlements qui devrait suivre ;
  • Les mesures d’application générale pertinentes qui visent ou qui affectent la mise en œuvre de la ZLECAf.

La communication préalable de ces documents permettrait de s’assurer de la pertinence et de la conformité de plusieurs propositions d’aménagement contenues dans le projet de Loi, notamment le soutien à l’industrie pharmaceutique et aux secteurs agricole, de la pêche et de l’élevage et les droits d’accises à l’importation de certains produits.

Une insuffisante maitrise de ces aspects pourrait entrainer l’échec de certains objectifs contenus dans la Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 (SND), notamment le développement des industries et des services et le développement de la productivité et de la production agricoles.

II – LES PROPOSITIONS D’AMENAGEMENTS TOUCHANT LA FISCALITE DE PORTE

Celles qui de notre point de vue méritent une relecture concernent les modalités de mise en œuvre des contrôles douaniers différés et à posteriori (2.1), les conditions d’exercice des voies de recours en douane (2.2) et l’institution d’une procédure d’alerte et communication des transactions financières par les intermédiaires agréés (2.3).

2.1 – Modalités de mise en œuvre des contrôles douaniers différés et à posteriori

Il convient de souligner que divers contrôles sont déjà prévus aux articles 70 et suivants du Code des Douanes de la CEMAC. L’article 123 de ce même Code prévoit quant à lui la présentation de déclaration provisoire qui ne peut, en aucun cas, les dispenser de l’obligation de la déclaration en détail.

Suivant les articles 124 al. 1, 127 al. 1, 129 al. 1 et 131 al. 3  les déclarations en détail reconnues recevables par les agents des douanes sont immédiatement enregistrées ou validées par eux. Après enregistrement de la déclaration en détail, le service des douanes procède, s’il le juge utile, à la vérification de tout ou partie des marchandises déclarées. La vérification a lieu en présence du déclarant ou de son fondé de pouvoirs. Lorsque le service ne procède pas à la vérification des marchandises déclarées, les droits, taxes et autres mesures douanières sont appliquées d’après les énonciations de la déclaration.

Or l’on se souvient que dans le cadre de la facilitation des opérations du commerce extérieur suite à la crise sanitaire internationale du COVID-19, le Directeur Général des Douanes avait pris un certain nombre de mesures, à travers sa note n° 111/MINFI/DGD du 26 mars 2020, relatives notamment à :

  • L’enlèvement direct, enlèvement sous palan ou de déclaration avant l’arrivée des marchandises pour les envois de secours ou humanitaires ;
  • La dispense de RVC, sous réserve de régularisation lorsque la liasse documentaire y relative ne peut être mise à la disposition de la SGS par le fournisseur ;
  • L’acceptation de la quittance système en lieu et place de l’original signé par le Receveur, sous réserve de régularisation ;
  • Etc…..

Il s’agissait en réalité de mesures ponctuelles, qui rentrent bien dans les divers contrôles prévus par le Code des Douanes. Leur durée devait être limitée dans le temps. Or le fait de les intégrer dans la Loi de Finances vise à les transformer en mesures habituelles, qui risquent plutôt d’alourdir l’activité économique.

Cette proposition d’aménagement devrait être appuyée par un véritable exposé des motifs puis revue, ce d’autant plus qu’elle fait un amalgame entre les contrôles dits différés et ceux à postériori, régulièrement réglementés par le Code des Douanes CEMAC. Elle leur attribue notamment le même objectif et la même démarche. Par ailleurs, cette proposition revient sur certains aménagements déjà apportés, dans un meilleur agencement, par les Lois de Finances des exercices 2004 et 2008.

2.2 – Conditions d’exercice des voies de recours en douane

Cette proposition revient sur certains aménagements déjà apportés par les Lois de Finances des exercices 2013 et 2018. Un véritable exposé des motifs devrait y être apporté.

2.3 – Institution d’une procédure d’alerte et communication des transactions financières par les intermédiaires agréés

Cette proposition revient sur certains aménagements déjà apportés par les Lois de Finances des exercices 2013 et 2018. Un véritable exposé des motifs devrait y être apporté.

III – LES PROPOSITIONS D’AMENAGEMENTS TOUCHANT LA FISCALITE INTERNE

L’ensemble des propositions d’aménagements, favorables ou non, devraient être appuyées par un véritable exposé des motifs. Nous revenons spécifiquement sur les mesures relatives à la promotion de l’économie numérique (3.1) et la taxe d’abattage (3.2).

3.1 – Mesures relatives à la promotion de l’économie numérique

Cet aménagement introduit la notion de Centre de Gestion Agréé dédié aux « start-up ».  Il est rajouté que « les obligations spécifiques des Centres de Gestion Agréés (CGA) dédiés aux « start-up » sont précisées par un texte du Ministre en charge des Finances. Les rédacteurs du projet de loi voulaient sans doute dire que ces obligations seront précisées… Au regard de l’écart récurrent entre l’engagement de faire et l’action effective en matière de CGA, il serait souhaitable que ce texte soit publié avant la fin du premier trimestre 2021.

3.2 – Taxe d’abattage

Le taux de la Taxe d’abattage est ramené de 4 % à 3 % pour les entreprises forestières justifiant d’une certification en matière de gestion durable des forêts dûment délivrée par les instances compétentes.

Il convient de rappeler que la gestion durable de la forêt (GDF) est une approche holistique définie comme l’intendance et l’utilisation des forêts et des zones forestières d’une manière et à un taux qui préserve leur biodiversité, leur productivité, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur potentiel afin de remplir, maintenant et à l’avenir, des fonctions sociales, comiques et écologiques pertinentes, au niveau local, national et mondial sans causer du tort à d’autres écosystèmes.

La certification dont il est question est actuellement l’œuvre de l’Association Camerounaise du Système Panafricain de Certification Forestière (PAFC – PEFC). Dans sa démarche, cette certification touche principalement les Unités Forestières d’Aménagement (UFA), qui concernent essentiellement les grandes entreprises forestières, qui naturellement abattent le plus d’arbres. Or les UFA intègrent déjà au départ le souci de gestion durable des forêts. La contrainte ne semble de ce fait pas suffisante pour justifier la bonification du taux de la taxe d’abattage. On aurait pu envisager cette faveur pour les entreprises réalisant au moins un troisième niveau de transformation du bois sur place, pour encourager l’industrialisation de ce secteur au-delà des simples scieries.

Rédaction
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