(BFI) – Irrésolu concernant le processus d’intégration régionale, la CEMAC, est confrontée à cette crise sanitaire du Covid-19 qui met en évidence un état d’urgence multiforme : économique, sécuritaire et politique.
Lorsque le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad, des pays aux histoires politiques complexes, décident de faire « marché économique commun », la CEMAC (Communauté économique et monétaire d’Afrique Centrale), rien ne semblait évident. Depuis 1994 et la signature du traité de N’Djamena, la sous-région se caractérise par certains grands déséquilibres : instabilité politique en Centrafrique, turbulences au Congo et tentative de coup d’Etat en Guinée équatoriale, attaques terroristes dans le bassin du lac Tchad, violences transfrontalières au Cameroun, et aujourd’hui dans le golfe de Guinée, piraterie maritime notamment dans les eaux gabonaises.
Imbroglio communautaire
En proie à des difficultés internes, les pays membres de la sous-région peinent également à appliquer les principes signés dans l’Acte fondateur. La libre circulation des hommes et des marchandises,vecteur de développement de la CEMAC, initialement prévue pour le 1er janvier 2014, n’est pas encore opérationnelle. En cause notamment, les différentes crises sécuritaires et les tensions avec le Cameroun poussent la Guinée équatoriale a fermé ses frontières terrestres. Le protectionnisme de Malabo trouve son apogée dans la construction d’un mur avec miradors entre le pays et son voisin camerounais. Autre remise en cause du contrat, en juillet 2014, le Cameroun et l’Union européenne signent un accord de partenariat économique (APE) instaurant une exonération progressive des droits sur certaines catégories de produits en provenance de l’Union européenne, sans prendre en compte l’avis contraire des voisins. L’accumulation des accords multi et bilatéraux rend la gestion de la CEMAC délicate.Pour preuve, les échanges commerciaux intra-communautaires plafonnent autour de 3%, faisant de la zone, la moins intégrée des cinq zones du continent.Ces indicateurs économiques révèlent-ils alors une problématique de gouvernance des institutions de la CEMAC ?
Syndrome Bantu
La crise sanitaire met en exergue les fragilités socio-économiques des pays. Les décideurs s’étaient toutefois engagés en décembre 2016 lors du sommet des chefs d’Etat à Yaoundé à veiller à la convergence de leurs politiques économiques, à mettre en œuvre une réelle discipline budgétaire et accélérer la diversification de l’économie, appuyée budgétairement par le FMI. Or sur ce dernier engagement, il n’y a que peu d’avancées. En 2019, le pétrole représente encore près de 75% des exportations de marchandises de la région et la principale source de recettes fiscales de ces pays. Sur les six Etats membres, seule la Centrafrique est un importateur net de pétrole. Paradoxe, le Congo, premier producteur de la sous-région avec 350 000 barils/jour, voit sa dette dépasser 110 % de son PIB. La Guinée équatoriale, deuxième producteur, présente un solde négatif de 95 milliards de francs CFA au sein du compte d’opération de la BEAC. Tandis que la RCA plongée dans une crise aiguë y a déposé plus de réserves de devises. Le Cameroun moins dépendant du pétrole, qui fait figure de locomotive économique contribue tout seul à 50% de cette cagnotte.
Ces réserves paraissent bien maigres face à la chute des cours du brut causée par la pandémie et la contraction des exportations en vue, exerçant une pression sur les budgets des Etats dépendant de l’or noir. Les ministres des Finances de la zone ont notamment plaidé pour une annulation de leur dette extérieure par le G20. Reste également à savoir si la réforme monétaire du Franc CFA interviendra en Afrique centrale à l’image de la fin de cette monnaie en zone UEMOA.
Covid-19 : sursaut d’actions
La période impose une révision profonde de la situation, d’une part faire bloc contre la propagation de la maladie et d’autre part s’attaquer aux questions structurelles liées aux systèmes de santé et d’éducation. La faiblesse des infrastructures (transport, eau, électricité, TIC, etc.) constitue un frein majeur à la croissance et à la compétitivité des entreprises entraînant une augmentation du coût des facteurs de production. Pour soutenir les économies face au risque de récession, la Commission de la CEMAC exhorte les pays membres à renforcer leur politique fiscale et à rationaliser la dépense publique en conduisant des politiques budgétaires ciblées.
La résilience aux chocs exogènes est toutefois visible comme l’indique Standard & Poor dans son rapport de mai 2020 sur la région. En effet, le nombre faible de décès au Covid-19 relativise les prévisions catastrophistes tandis que les prix du baril devraient s’apprécier tout au long de l’année 2020. Soutenue par les institutions de Bretton Woods, la réponse économique à la pandémie pourrait s’avérer efficace.
Néanmoins, l’espace CEMAC – deuxième poumon de la planète dans le bassin du Congo – doit inexorablement accélérer son intégration régionale afin de construire un socle économique solide dans le but de créer un tissu productif dense réduisant les importations et la fonte de ses devises. Les accords et engagements signés tracent les grands axes de ces transformations structurelles proposant une stratégie pour la diversification des économies encore structurellement dépendantes des industries extractives. Dans ce contexte, les principaux acteurs ont une véritable carte à jouer.
Aunel Loumba, consultant chez 35°Nord, agence de conseil spécialisée sur l’Afrique
Yoan Moussavou est Internal Controller au ministère de l’Economie et des Finances (France)