(BFI) – La manière dont la notion de vaccin bien public a été gérée, conjuguée au nationalisme vaccinal, devrait conduire l’Afrique à penser différemment la santé.
Le 11 mars 2020, l’OMS déclarait que la situation sanitaire mondiale liée au Covid-19 pouvait être qualifiée de pandémie. Plus d’un an après, il est difficile de se satisfaire au niveau mondial de la gestion de cette pandémie par les différents gouvernements et organismes internationaux, malgré sa dimension inédite. Aujourd’hui, l’Afrique doit déjà tirer les leçons de cette crise exceptionnelle pour faire face aux prochains défis sanitaires qu’elle sera inévitablement amenée à affronter.
Le nationalisme vaccinal plus fort que le multilatéralisme sanitaire
Dès le printemps 2020, nombreuses sont les voix qui se sont élevées en faveur d’un vaccin ayant le statut de bien public mondial, accessible partout dans le monde et notamment aux plus démunis. Deux dangers se profilaient déjà l’horizon : la course au profit de certains laboratoires et le nationalisme vaccinal de certains pays. Aujourd’hui, nous faisons face à ces deux obstacles. Alors que les laboratoires ont battu des records de vitesse pour produire différents vaccins, l’OMS tire la sonnette d’alarme depuis plusieurs mois sur « l’échec moral catastrophique, mais également l’échec économique » que constitue le manque d’équité concernant l’accès aux vaccins. Au 31 janvier, sur les 70 millions de personnes alors vaccinées, seules 20 000 étaient africaines, alors que le continent concentre plus d’un quart de la population mondiale. Ainsi, les États-Unis et plusieurs pays européens n’ont pas hésité à commander bien plus de doses que nécessaire, au détriment de l’intérêt général et de la solidarité internationale.
Au-delà de la question éthique, ces choix égoïstes ne font aucun doute sur leur inefficacité. D’un point de vue sanitaire, laisser se propager le virus dans les pays africains risque d’augmenter la multiplication de variants, plus transmissibles et plus mortels, pouvant annuler l’efficacité des vaccins existants et constituer une nouvelle menace pour les pays du Nord. Sur le plan économique, la Chambre de commerce internationale estime que le manque de cohésion internationale dans le déploiement de la vaccination pourrait coûter jusqu’à 9 200 milliards de dollars à l’économie mondiale et ce, sans compter les pertes de vies humaines.
Cette crise nous rappelle donc à une triste réalité : en cas de crise, qu’elle soit sanitaire ou économique, le multilatéralisme n’est que de façade et les pays africains ne doivent compter que sur eux-mêmes. Dans un domaine aussi vital que la santé, l’Afrique ne peut plus se permettre d’être dépendante de l’extérieur. Alors que l’Europe, les États-Unis et le Brésil ont réagi tardivement face à la pandémie, les pays africains ont déjoué les pronostics des Cassandres qui leur prédisaient le pire, notamment grâce à leur anticipation et réactivité.
L’Afrique de la santé en marche
Dès février 2020, l’ensemble des ministres africains s’étaient réunis à Addis-Abeba, cherchant à définir une feuille de route commune dans la lutte contre le coronavirus tandis que les Européens minimisaient encore la menace pandémique. Aujourd’hui, il faut saluer le rôle de l’Union africaine (UA) et des Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique) qui ont joué un rôle de premier plan dans la mise en place de structures de tests PCR et de coordination d’achats d’équipements médicaux pour l’ensemble des pays africains. En parallèle du mécanisme Covax à l’initiative de l’Organisation mondiale de la santé, l’Union africaine a lancé Avatt (African Vaccine Acquisition Task Team), afin d’obtenir 400 millions de doses supplémentaires de vaccins contre le Covid-19 pour les pays du continent.
Cette réaction panafricaine à la crise est un véritable plaidoyer pour mettre en place une Afrique de la santé à hauteur de ses enjeux. Il faut désormais aller plus loin que les structures existantes, notamment en accélérant la mise en place d’une Agence africaine du médicament (AMA), qui permettrait au continent de négocier l’achat groupé de vaccins, faciliter l’accès à des produits médicaux de qualité, notamment en luttant contre les contrefaçons, et même de soutenir le développement d’une industrie africaine du médicament. En effet, si quelques rares pays africains fabriquent des produits pharmaceutiques (Maroc, Égypte, Kenya, Afrique du Sud), l’Afrique importe encore les 4/5 des produits et consommables médicaux. En parallèle, il faut investir dans la communauté scientifique africaine. Alors que l’Afrique a un important historique en termes de gestion des épidémies et affronte depuis des décennies le paludisme, la tuberculose et le VIH/sida, la production scientifique africaine représente moins de 1 % de la production scientifique mondiale. En renforçant le financement de sa recherche scientifique, l’Afrique se donnera les moyens de répondre à ses problématiques sanitaires propres et de faire connaître les solutions africaines dans de nombreux champs sanitaires au niveau mondial.
Le Covid-19, catalyseur de l’innovation santé africaine
Malgré les difficultés propres aux différents systèmes sanitaires du continent, l’Afrique n’a pas manqué d’apporter sa pierre aux innovations technologiques en matière de santé avec la pandémie. Selon une étude de l’OMS portant sur 1 000 technologies nouvelles ou modifications de technologies existantes introduites dans le monde pour cibler différents domaines de la riposte au Covid-19, 120 innovations technologiques, soit 12,8 % d’entre elles, ont été conçues en Afrique. Parmi ces innovations africaines, la majorité d’entre elles s’appuyaient sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) ainsi que sur l’impression 3D et la robotique. Cette crise aura permis de démontrer la capacité d’innovation et l’esprit d’entreprise des Africains, capables de créer des solutions locales répondant à des problématiques spécifiques.
Le contexte sanitaire favorise d’autant plus le décollage de la e-santé, apparaissant comme le meilleur moyen de répondre aux besoins actuels du continent, entre l’importance du maintien des gestes barrières et de la distanciation sociale, que des difficultés structurelles comme l’accès à certains territoires peu desservis par des infrastructures de transport. Il est coutume de parler de la propulsion (ou du « leapfrog ») africaine dans le domaine numérique, et cela s’applique au domaine de la santé où il ne fait aucun doute que l’Afrique va prendre une longueur d’avance sur les autres régions du monde. Le potentiel africain d’innovation dans la santé est immense, il y a urgence désormais à le libérer.
Par Dr Denis-Bernard Raiche, Directeur général du centre hospitalier universitaire de Brazzaville