(BFI) – Après huit ans de réflexion et de préparation, Tony Elumelu et son groupe Heirs Holdings sont, en juin, officiellement entrés sur le marché nigérian de l’assurance. Connu pour ses actions philanthropiques en faveur des jeunes entrepreneurs, l’homme d’affaires a d’abord pour ambition de gagner de l’argent et de reproduire le succès de United Bank for Africa (UBA), aujourd’hui l’une des premières banques d’Afrique de l’Ouest avec 24 millions de clients. Mais il estime aussi que le développement des sociétés d’assurance est un facteur important pour l’essor des économies africaines au moment où les États du continent créent le plus vaste marché commun du monde.
Pourquoi vous lancez-vous dans l’assurance aujourd’hui ?
Heirs Holding est un investisseur de long terme. Étant donné la taille de notre économie, celle de notre population et le rôle joué par le secteur de l’assurance dans d’autres pays, celui-ci va gagner en importance au Nigeria, à l’image des télécoms qui sont devenus incontournables. Aujourd’hui, 154 millions de Nigérians ont accès à l’internet.
C’est notre rôle, en tant qu’investisseur stratégique, de participer à sa revitalisation. Nous pensons qu’il s’agit d’un rouage indispensable à l’écosystème financier pour stimuler les activités des entreprises. Nos investissements doivent à la fois apporter un plus au niveau économique et un mieux-être social.
Nous allons donc gagner de l’argent dans ce secteur, mais nous pensons également que le public nigérian, et l’Afrique en général bénéficieront de son développement. Cela se répercute aussi sur les emplois, environ 115 ont été créés directement. Sans compter les emplois indirects, qui sont peut-être quatre à six fois plus importants.
Quand, en 1997, nous avons repris Crystal Bank Ltd (renommée Standard Trust Bank), alors en difficulté, personne ne voulait. Nous l’avons redressée en un temps record, puis réussi en 2005 une fusion avec United Bank of Africa (UBA), l’une des trois plus grandes du pays. Petit à petit, de nouveaux investisseurs ont voulu nous rejoindre à mesure que la banque devenait performante.
Nous pensons pouvoir accomplir la même chose dans l’assurance en apportant notre expérience et notre savoir-faire, en donnant la priorité aux clients, en utilisant des applications numériques pour mieux commercialiser nos offres.
Au premier trimestre, les bénéfices avant impôts d’UBA ont augmenté de 24 %. Comment expliquez-vous cette hausse ?
UBA est une banque universelle, mais je préfère dire complète. Nous couvrons tous les segments : entreprises, commerce de gros, secteur public et particuliers. Elle est présente dans 20 pays africains et sert plus de 24 millions de clients. Alors oui, nous avons eu la pandémie, mais notre clientèle s’accroît ; et nous savons quand et comment soutenir nos clients.
Nous observons que les choses se sont énormément améliorées au fil des années. Lorsque nous avons commencé, nous avons ouvert des succursales dans différents pays pour diversifier nos revenus. Il faut du temps pour qu’une banque atteigne le seuil de rentabilité, en particulier lorsqu’elle est prudente comme UBA et veut s’appuyer sur des fondations solides.
Désormais, chaque mois, UBA acquiert environ 300 000 nouveaux clients. Lorsque vous avez cette masse critique de clients, et que vous devenez plus efficace, alors le bénéfice augmente vite. Mais, pour nous, cela va au-delà du profit. Notre mission participe à combler le fossé entre l’Afrique et le reste du monde dans le domaine de l’intermédiation financière. C’est pourquoi nous sommes présents à New York, Londres et Paris.
Les entreprises particulièrement les PME, sont satisfaites de nos services, car elles savent qu’elles sont au cœur de nos priorités. Elles constituent le moteur et le socle de la prospérité et de la croissance économiques du continent. Par conséquent, si nous voulons vraiment oeuvrer au développement de l’Afrique, nous devons prendre ce segment très au sérieux. Pendant la pandémie, nous avons aussi veillé à bien servir les particuliers. Cela, nos clients ne l’oublient pas.
Avez-vous le sentiment que l’économie nigériane redémarre après la période difficile de 2020 ?
En tant que président de l’une des banques les plus puissantes du pays, d’un groupe qui a la plus grande capacité installée de production d’électricité du pays (2 000 mégawatts), Transcorp Power, et en tant que fondateur de la Fondation Tony Elumelu, qui interagit presque quotidiennement avec des jeunes entrepreneurs, je peux dire que les choses s’améliorent.
Si vous vous penchez les chiffres de l’hôtellerie [Heirs Holding est le propriétaire du Hilton d’Abuja], vous constatez que le taux d’occupation est passé de 20 % l’an dernier à une fourchette comprise entre 60 % et 80 %. Même avant la pandémie, il était difficile d’atteindre 70 %, ou même 60 %..
L’économie est effectivement en train de redémarrer. Ce que reflète le bénéfice d’UBA. Si les politiques s’occupent de la question de la sécurité, la reprise n’en sera que plus florissante. Les dirigeants africains commencent à saisir comment aborder les politiques macroéconomiques afin d’amortir l’impact du Covid.
Je ne manquerai pas de mentionner le rôle des institutions, au premier rang desquelles Afreximbank, qui a soutenu le système en apportant plus de 6,1 milliards de dollars [6,5 milliards selon Afreximbank] aux gouvernements, aux banques centrales et ensuite aux entreprises.
Que vous apporte le bureau de représentation que vous avez ouvert à Paris ?
UBA a l’ambition d’être une banque mondiale pour l’Afrique. Cela signifie qu’elle amène l’Afrique au monde, et qu’elle amène également le monde à l’Afrique. Pour jouer ce rôle, nous devons être présents sur les places financières les plus importantes, c’est pourquoi nous sommes à New York, à Londres et à Paris. Ainsi, par le biais du bureau de Paris, nous soutenons nos clients dans toute l’Afrique, en particulier dans sa partie francophone. Il y a aussi les ONG que nous accompagnons pour qu’elles puissent transférer des fonds au plus près des bénéficiaires.
UBA a passé plus d’une décennie à déployer des filiales à travers le continent, ce qui en fait l’une des mieux placées pour accompagner l’internationalisation des entreprises africaines et, de ce fait, pour profiter de la mise en place de la Zlecaf. La prochaine décennie sera-t-elle celle du commerce intrafricain, et donc la vôtre ?
Nous y sommes presque… Trois facteurs déterminent l’intégration économique : la circulation des personnes, des marchandises, et celle des capitaux. Grâce à mon passeport de l’Union africaine, je peux me rendre dans tous les pays africains sans visa. Cette tendance se développe. Cela ne s’était jamais produit auparavant.
Dans le domaine de l’argent, UBA et d’autres banques travaillent de concert pour améliorer les systèmes de paiement à travers l’Afrique. Des améliorations significatives sont en cours. Nous voulons faire en sorte que les transactions soient possibles des États-Unis vers l’Afrique, ou de l’Europe vers le continent. Nous y arriverons avec la collaboration d’Afreximbank.
La circulation des marchandises, c’est là que le bât blesse… Avec la Zlecaf, le problème se résout néanmoins peu à peu. Lorsque des politiques sont impulsées, les agents économiques réagissent de manière appropriée. Les gens vont donc commencer à faire les bons choix. Mais nous ne devons pas nous relâcher, les infrastructures doivent encore être améliorées, et les procédures simplifiées. Je veux, pour bientôt, qu’au sein des économies africaines les marchandises, dans les ports, soient dédouanées en deux heures. Pour conclure, oui, je pense que les choses s’améliorent, la Zlecaf crée un vaste marché, le plus grand du monde d’un point de vue géographique.
La mise en place des réglementations bancaires au niveau mondial (Bâle III…), qui renchérissent le coût des transactions, a entraîné un retrait des banques correspondantes en Afrique. Est-ce que UBA joue un rôle dans ce domaine ?
Absolument. UBA New York offre des services de correspondance bancaire aux banques commerciales et aux banques centrales du continent. Ainsi, lorsqu’une banque africaine doit effectuer une transaction pour l’un de ses clients aux États-Unis, elle le peut en ayant recours à nos services. Nous développons des services similaires à Londres et voulons en faire autant à Paris.
À la mi-2020, la Banque centrale du Nigeria a augmenté les ratios de réserve de trésorerie de 5 % à 27,5 %, ce qui a limité la capacité des banques à prêter – alors que le gouverneur vous demandait de prêter davantage – et a augmenté la pénurie en devises. Cela ne vous a pas facilité la tâche…
La Banque centrale a un mandat, des objectifs. Elle n’est pas motivée par le profit – contrairement aux banques –, elle veut catalyser le développement. Elle examine le niveau de liquidité, l’inflation… En tant qu’actionnaire et président d’une banque, cela me plaît-il ? Non ! Mais cela aide-t-il la Banque centrale à atteindre ses objectifs monétaires ? Peut-être.
Je pense que les choses se sont améliorées. Les banques n’appréciaient pas que la Banque centrale ne paye pas d’intérêts sur les réserves de liquidités obligatoires. Maintenant, elle le fait, au taux d’intérêt qui était payé auparavant. Je n’envie pas les gouverneurs des banques centrales, en particulier celui du Nigeria – plus grande économie d’Afrique, confrontée à des problèmes de sécurité et à une pandémie qui frappe 200 millions de personnes.
Peut-être existe-t-il d’autres moyens que les directives pour encourager les prêts au secteur privé ?
À travers la Fondation Tony Elumelu, notre priorité est de donner aux jeunes les moyens de réaliser leurs aspirations économiques. Grâce au capital d’amorçage non remboursable que nous leur fournissons, à la formation, au mentorat et aux opportunités de mise en réseau que nous créons pour eux. Les banques essaient aussi. Elles disposent de ce que nous appelons les prêts non performants. Mais si ces derniers augmentent trop, les mêmes autorités qui vous encouragent à prêter reviendront vous dire : « Votre taux de prêts non performants est élevé. » Et la banque peut être sévèrement sanctionnée.
Je répète souvent que les agents économiques ne peuvent pas s’extraire de leur environnement macroéconomique. Quand celui-ci n’est pas favorable, en tant que banque, vous devez être très prudent. Lorsque l’environnement macroéconomique est bon, les banques sont davantage disposées à prêter. La Banque centrale du Nigeria, en particulier, a essayé d’ouvrir de nombreux guichets, de mettre en place différents programmes pour encourager les banques commerciales à prêter. L’un des domaines dans lesquels nous avons très bien réussi est l’agriculture. La politique menée par le gouverneur de la Banque centrale nous a bien aidés en cela.
La Fondation Tony Elumelu peut faire beaucoup plus pour aider les jeunes entrepreneurs. Nous avons décidé de donner 5 000 dollars chaque année à 1 000 jeunes Africains pendant dix ans, en les formant avant de leur remettre le capital – nous appelons cela un MBA de douze semaines, afin que cet argent soit bien utilisé. Et nous avons franchi un pas de plus en créant une plateforme numérique pour que ces jeunes entrepreneurs africains puissent s’interconnecter.
Oui, je suis donc d’accord avec vous, nous pouvons faire beaucoup pour appuyer les projets des opérateurs économiques, notamment les PME, pour lesquelles le gouvernement et les institutions privées doivent œuvrer ensemble.