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Subventions des prix des carburants : Sortir de l’impasse

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(BFI) – Les externalités de l’invasion de l’Ukraine par la Russie sur l’économie camerounaise ont entre autres, remis au goût du jour l’épineux problème de la pertinence et de la soutenabilité des subventions des prix des carburants.

Les subventions des énergies fossiles ont souvent été présentées dans les pays producteurs d’hydrocarbures comme une démarche sociale visant à mieux partager la rente tirée des ressources naturelles de ces pays. Pour vertueuse qu’elle puisse être, cette démarche a des limites objectives et pourrait même confiner en un fléau aux conséquences dommageables pour l’ensemble de la collectivité. Appliquées sans discernement, les subventions des énergie fossiles pourraient créer des distorsions sur les marchés, grever dangereusement les budgets des Etats, pousser à la surconsommation, favoriser la corruption, générer des externalités dommageables à l’environnement, renforcer les inégalités sociales qu’elles sont supposées corriger.  

Au Cameroun, la concomitance de la résurgence du débat sur les subventions des carburants et la seconde revue du programme avec le FMI a donné libre cours à une certaine opinion selon laquelle l’imminence de la réduction voire de la suppression des subventions serait dictée par l’institution de Bretton woods. Certes cette institution qui ne fait aucun mystère de son orthodoxie, a opportunément recommandé un certain nombre de réformes y compris celles des subventions, mais in fine, il appartient aux autorités de prendre les bonnes décisions fondées non seulement sur des données rationnelles et irréfutables mais également sur un consensus social qui reste à rechercher.

Est-il raisonnable et soutenable de consacrer près de 13% du budget de l’Etat, 3% de la richesse nationale (PIB) aux subventions des carburants ?

D’après les données les plus récentes du ministère de l’Eau et de l’Energie (MINEE) et corroborées par la Direction Générale du Trésor, de la Coopération Financière et Monétaire au Ministère des Finances, les subventions des prix des carburants pourraient atteindre 780 voire 800 milliards de F CFA en 2022 contre 480 milliards prévus dans la loi de finances rectificative récemment adoptée et promulguée. Ces subventions représenteraient alors environ 13% du budget de l’Etat qui faut-il le rappeler est de 6080 milliards de F CFA, et près de 3% du PIB du Cameroun (27.000 milliards F CFA). Ce niveau des subventions pourrait être mis en perspective en le rapportant à un certain nombre d’agrégats : en 2022, les investissements publics financés sur les ressources internes sont de 620 milliards de F CFA, les financements extérieurs consacrés aux investissements publics sont d’environ 780 milliards, les salaires de l’ordre de 1,100 milliards de F CFA, le déficit budgétaire hors dons est projeté à -787 milliards et le déficit (dons inclus) est de -645 milliards. Ce niveau de déficit indique clairement l’incapacité de l’Etat à financer ses dépenses de fonctionnement sur ses ressources propres alors qu’en même temps un montant équivalent est consacré aux subventions des carburants. Bien plus, les 800 milliards de subventions auraient pu être plus utilement alloués à la construction d’une nouvelle raffinerie, à l’achèvement de l’autoroute Douala – Yaoundé dont les 60 premiers kilomètres sont abandonnés au milieu de nul part.

Dans cette situation de quasi-faillite et d’extrême dépendance de l’extérieur et de l’endettement pour faire face à ses engagements courants, est-il raisonnable et soutenable de consacrer près de 13% du budget de l’Etat, 3% de la richesse nationale (PIB) aux subventions des carburants ?

Pour répondre à cette question, le Gouvernement doit devoir se déterminer sur la base de plusieurs scénarios possibles y compris des options radicales.

La première option est le statu quo. Ce scénario peut être qualifié de suicidaire dans ce sens qu’il consacrerait la faillite de l’Etat sur l’autel des subventions des prix des carburants. N’en déplaise à une certaine opinion qui prédit le chao social si le curseur était déplacé, le maintien des subventions au niveau actuel est absolument irréaliste et insoutenable. A regarder de près, ce scénario de l’immobilisme et de l’inaction présente de hauts risques dont le moindre n’est pas l’incapacité de l’Etat à faire face à ses engagements vis-à-vis des importateurs des produits pétroliers. La récente pénurie doit être considérée comme une sérieuse alerte.

A l’extrême du statu quo, la seconde option qui serait tout aussi radicale est la suppression des subventions et l’application de la vérité des prix à la pompe. Le consommateur paierait dans ce cas le litre d’essence à environ 1035 F CFA, le gasoil à 998 F CFA et le pétrole lampant à 800 F CFA. Un tel scénario tout aussi suicidaire porterait les germes d’une explosion sociale, d’une augmentation généralisée des prix voire d’une paralysie de l’économie. 

Entre les deux extrêmes, l’Etat a de la marge de manœuvre sur laquelle il devrait pouvoir agir tout en mettant en œuvre un certain nombre d’actions d’accompagnement que nous évoquerons.

L’augmentation des prix à la pompe et le maintien d’un niveau soutenable de subventions pourraient s’accompagner d’une réduction de certaines taxes qui grèvent les prix des carburants

Le troisième scénario consisterait à revisiter la structure du prix des hydrocarbures et à faire des arbitrages qui aboutiraient à la réduction (et non la suppression) des subventions. L’une des variantes de ce scénario serait pour l’Etat de déterminer le niveau de subvention supportable dans un contexte de prix du brut au-dessus de 100 dollars le baril. A titre d’illustration la loi de finances rectificative adoptée en juin dernier avait retenu une enveloppe de 480 milliards destinées aux subventions des carburants. Le maintien de cette option induirait une augmentation des prix à la pompe de 20 à 25%. L’essence serait vendue à environ 780 F CFA le litre contre 630 F actuellement, le gasoil à 700 contre 575 et le pétrole lampant à 450 contre 350. A titre indicatif, le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont récemment procédé à des augmentations de prix à la pompe l’essence passant de 775 à 890 chez le premier et de 695 à 735 chez le second.

L’augmentation des prix à la pompe et le maintien d’un niveau soutenable de subventions pourraient s’accompagner d’une réduction de certaines taxes qui grèvent les prix des carburants. Il s’agit entre autres, de la TVA, des droits de douanes et de la Taxe Spéciale sur le Produits Pétroliers qui s’élèvent cumulativement à 278 F CFA/litre pour l’essence, 247 pour le gasoil et 74 pour le pétrole lampant.

Il va de soi que ce troisième scénario comporte de sous-variantes qu’il convient d’affiner en mettant sur pied un dispositif d’ajustement automatique qui prendrait en compte l’évolution du prix du pétrole sur le marché international. A cet effet, faut-il le rappeler, en 2014, le Gouvernement a procédé à une augmentation des prix à la pompe de 15%, accompagnée d’une augmentation des salaires de la fonction publique de 5%, celle du salaire minimum de 28% et le prix du transport (taxi) de 33% accompagné d’un abattement des taxes dues par les transporteurs. En 2016, une légère baisse des prix à la pompe a été appliquée et depuis lors ces prix sont restés inchangés y compris en 2020 année durant laquelle la baisse du prix du baril sur le marché international a induit une subvention… négative c’est-à-dire que le prix des carburants à la pompe était supérieur au prix du marché. Cette plus-value engrangée par l’Etat a largement compensé la baisse de la redevance versée au trésor public par la SNH du fait de la chute du prix du baril.

Concevoir une stratégie de Communication en direction à la fois du grand public et des acteurs sociaux

Au-delà de la situation rationnellement intenable, le Gouvernement ne peut faire l’économie d’un ajustement des prix à la pompe, ajustement dont la réussite au plan social et politique devrait s’accompagner d’un certain nombre de préalables.

L’expérience des pays confrontés à une telle situation révèle des obstacles ou des résistances à surmonter afin de réussir une bonne réforme des subventions.

Dans ce registre, l’élément clé est l’Information et la Communication. La résistance aux réformes procède parfois d’un déficit d’information des populations ou des groupes cibles. Il convient de concevoir une stratégie de Communication en direction à la fois du grand public et des acteurs sociaux. Il nous souvient que la réforme de 2014 au Cameroun avait été entre autres précédée de concertations avec les syndicats de transporteurs et d’une campagne d’information sur le caractère corrosif des subventions. Les balbutiements et les bégaiements auxquels on assiste depuis quelques mois révèlent une certaine impréparation voire un manque de coordination. Les annonces velléitaires du Ministre du Commerce, du Ministre de l’Eau et de l’Energie, de la Directrice Générale de la SCDP, du Directeur Général du Trésor ou encore les recommandations du FMI, font cacophonie alors qu’une action urgente du Gouvernement est attendue et le consommateur a le sentiment d’être piégé.

Sur 100 F CFA de subvention de carburants, rien que 16 vont aux plus pauvres

Par ailleurs, il importe de répondre à la question essentielle : A qui profite les subventions ? Une étude réalisée en 2007 sur le Cameroun par deux éminents économistes, David Coady et Moataz El-Said montre que sur 100 F CFA de subvention de carburants, rien que 16 vont aux plus pauvres. En somme les subventions contribuent à creuser les inégalités dans une société déjà très inégalitaire.

Une autre préoccupation de fond est la crédibilité du Gouvernement, maître d’ouvrage de la réforme. Même lorsqu’il reconnaît l’ampleur et les inconvénients des subventions à l’énergie, le public peut douter de l’utilisation efficiente par le Gouvernement de l’épargne générée par la réforme des subventions et résistera donc à leur élimination.

Au-delà des prix des carburants à la pompe, la situation actuelle offre l’opportunité pour le Gouvernement de procéder à une réforme de large ampleur touchant d’autres secteurs notamment les Entreprises Publiques dont certaines sont budgétivores et vivent au crochet de l’ensemble de la collectivité. Faut-il rappeler que l’encours de la dette des Entreprises Publiques au 30 juin 2022 est de 876 milliards de F CFA soit 3,4% du PIB. Leur rentabilité est fondamentalement obérée par leur inefficience. A cet effet, faut-il maintenir CAMAIR-CO et CAMTEL qui évoluent dans un environnement fortement concurrentiel dans leur état actuel ?

En tout état de cause, l’expérience a prouvé que les bonnes réformes se font de manière proactive et contracyclique, c’est-à-dire quand l’Etat dispose d’une marge budgétaire conséquente. Cependant en période de crise profonde qui confine à l’impasse comme c’est le cas en ce moment, le Gouvernement ne peut faire l’économie d’une réforme des subventions même si elle pourrait être douloureuse à certains égards. CQFD.

Emmanuel Noubissie Ngankam, Ancien Haut Fonctionnaire de la Banque mondiale. Il a été entre autres, Représentant Résident de la Banque mondiale en Algérie de 2013 à 2016, période au cours de laquelle ce grand pays producteur de pétrole a dû faire face à une sévère crise des subventions du fait de la dégringolade des prix des énergies fossiles sur le marché international.

Rédaction
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