(BFI) – La plupart des pays africains ne sont pas prêts à appliquer les termes de la Zone de libre-échange continentale africaine, entrée en vigueur le 1er janvier, selon son secrétaire général, Wamkele Mene. Celui-ci craint que la mise en œuvre du libre-échange intra-africain, censée démarrer ce mois-ci, soit lente, car de nombreux États ne disposent pas d’installations frontalières.
Cinquante-quatre nations africaines se sont engagées à rejoindre la Zlecaf mais, sur les 33 pays qui ont ratifié l’accord jusqu’à présent, beaucoup ne disposent pas des procédures douanières et des infrastructures nécessaires pour faciliter le libre-échange, a déclaré le Sud-Africain, expert en commerce élu par l’Union africaine en février 2020.
« Cela va nous prendre beaucoup de temps », a affirmé M. Mene. « Si vous n’avez pas les routes, si vous n’avez pas l’équipement adéquat pour que les autorités douanières à la frontière puissent faciliter le transit rapide et efficace des marchandises… si vous n’avez pas l’infrastructure, souple comme matérielle, cela réduit la portée de cet accord ».
S’éloigner du modèle colonial
M. Mene a insisté sur le fait que la Zlecaf, qui couvre une population de 1,2 milliard d’habitants et des pays dont la production combinée s’élève à 2,6 milliards de dollars, pourrait encore être transformatrice. « Nous voulons éloigner l’Afrique de ce modèle économique colonial qui consiste à être perpétuellement un exportateur de matières premières allant être transformées ailleurs », a martelé le secrétaire général.
En 2019, 14,4 % des exportations africaines officielles sont allées vers d’autres pays africains, une faible proportion comparée aux 52 % du commerce intra-asiatique et aux 73 % entre les nations européennes la même année, selon Afreximbank, une institution multilatérale de financement du commerce basée au Caire.
« Nous voulons cesser de considérer les droits de douane comme un outil de revenu. Nous voulons que les droits de douane soient un outil de développement industriel », a insisté Wamkele Mene
Des économies d’échelle potentielles
David Luke, qui coordonne la politique commerciale à la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA) a déclaré que les biens échangés en Afrique étaient davantage transformés que les matières premières exportées du continent vers la Chine, l’Inde, l’Europe et d’autres partenaires commerciaux importants.
« Les décideurs politiques ont compris que, bien que limité, le commerce sur le continent est à valeur ajoutée », a-t-il déclaré. « C’est là que se trouvent les emplois, par opposition au commerce avec le reste du monde, qui est essentiellement constitué de marchandises ».
Les experts en commerce ont déclaré que le marché unique offrait également aux investisseurs des économies d’échelle potentielles, leur permettant, en théorie, de fabriquer des marchandises dans un pays et de les exporter en franchise de droits vers l’ensemble du continent. Jeffrey Peprah, directeur général de Volkswagen au Ghana, a annoncé qu’il espérait exporter à terme les voitures assemblées à Accra vers d’autres pays d’Afrique de l’Ouest.
La mise en conformité des lois prendra du temps
Mene a averti qu’il faudrait peut-être des années pour mettre les lois des pays en conformité avec les nouvelles exigences. L’Éthiopie, par exemple, a interdit les investissements étrangers dans son secteur financier, ce qui constitue une violation potentielle des règles de la Zlecaf, a-t-il affirmé.
En conséquence, le secrétariat pourrait voir déferler une vague de contestations juridiques émanant des pays au nom de leurs entreprises, a-t-il assuré.
« Je ne dis pas que les pays doivent se précipiter pour régler leurs différends. Tout ce que je dis, c’est que s’ils le font, la jurisprudence apportera de la clarté à l’ensemble du droit commercial que nous avons développé sous la forme de cet accord ».
Établir une plateforme commerciale panafricaine
Pour que l’accord fonctionne, un diplomate occidental a déclaré que la Zlecaf doit profiter aux producteurs des petits pays pauvres ainsi qu’à ceux des régions plus industrialisées du continent. De nombreux pays voient la zone de libre-échange comme un moyen de stimuler leurs exportations, mais peu d’entre eux ont adopté le corollaire qui consiste à importer davantage.
M. Mene a expliqué que le secrétariat travaillait avec Afreximbank pour établir une plateforme commerciale panafricaine afin de permettre aux petites entreprises de commercer efficacement à travers les frontières et dans différentes devises. « Souvent, dans les accords commerciaux, les grands gagnants sont les pays déjà industrialisés et les grandes entreprises qui peuvent accéder aux nouveaux marchés littéralement du jour au lendemain », a-t-il déclaré.
Si la Zlecaf crée trop de perdants et pas assez de gagnants, M. Mene a déclaré qu’il pourrait y avoir un retour de bâton contre le libre-échange comme cela s’est produit aux États-Unis et dans certaines parties de l’Europe. Alors les Africains aussi concluraient, a-t-il dit, que « ces accords commerciaux ne fonctionnent pas ».
Avec Jeune Afrique