(BFI) – L’Afrique a réussi à retrouver un rythme de croissance similaire à celui observé avant la pandémie plus rapidement que d’autres économies régionales, y compris certaines économies en développement. Pour autant, les défis restent nombreux, à commencer par le niveau élevé de la dette publique et privée. Les besoins de financement extérieur restent prégnants.
Les ressorts de la reprise
Après une récession inédite en 2020 (-1,3 %), la croissance réelle pour 2021 a été finalement évaluée à +4,3 %, en nette révision à la hausse par rapport aux premières estimations. Une partie de la croissance en 2021 s’explique mécaniquement par le rattrapage de la récession enregistrée en 2020 dans le contexte de la pandémie mondiale (rebond technique).
En dehors de cet effet rebond, la croissance africaine en 2021 est en fait très proche de celle observée en moyenne avant la pandémie (+3,0 %, contre +3,2 % de taux de croissance annuelle moyen pour la période 2015-2019). Elle s’accélère en 2022 pour atteindre 4,0 % selon les estimations du FMI (à noter que les chiffres annoncés pour 2022 et 2023 dans cet article reposent sur des prévisions et sont donc amenés à être révisés).
La forte remontée des cours des matières premières a été favorable aux économies extractives africaines : stimulés par la hausse de la demande énergétique, en particulier depuis la Chine, les cours du pétrole et les prix des métaux de base avaient déjà connu une progression sensible en 2021, progression qui s’est amplifiée en 2022 dans le contexte du conflit en Ukraine et de ses conséquences inflationnistes.
De manière plus structurelle, les économies les plus diversifiées du continent ont bénéficié d’un environnement international plus porteur au sortir de la pandémie, suite à l’accroissement de la demande mondiale.
En raison de la croissance démographique, qui reste rapide sur le continent (+2,5 % de croissance annuelle moyenne entre 2015 et 2020, contre +1,1 % au niveau mondial), le rattrapage en termes de PIB par habitant y est bien plus lent. Pour cette raison, l’Afrique ne retrouvera son niveau de PIB par habitant antérieur à la pandémie qu’en 2023 (graphique 2), quand la plupart des autres régions ont pu le recouvrer dès 2021.
Les économies diversifiées plus résilientes
Au sein du continent, la reprise à partir de 2021 a été surtout portée par les économies les plus diversifiées, structurellement plus à même de rebondir en cas de chocs externes.
Elles présentent des taux de croissance plus élevés et plus stables sur longue période que les économies plus spécialisées, car elles sont moins soumises aux fluctuations des marchés des matières premières ou des flux touristiques. Ces économies étaient d’ailleurs parvenues à maintenir un certain dynamisme au plus fort de la pandémie (+1,8 % de croissance réelle en 2020), a contrario de la récession enregistrée partout ailleurs.
Elles ont renoué en 2021 avec un rythme de croissance assez soutenu (+4,4 %), qui continue à s’accroître en 2022. Estimée à +5,1 %, la croissance des économies africaines diversifiées retrouve quasiment en 2022 son niveau moyen d’avant crise, et elle est annoncée à +4,8 % en 2023. Six de ces économies diversifiées comptent ainsi parmi les dix économies les plus dynamiques d’Afrique sur la période récente : le Sénégal, le Niger, le Rwanda, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo.
Entre 2015 et 2019, la croissance des pays exportateurs de ressources extractives est relativement atone et ne permet même plus de couvrir la croissance démographique. Bénéficiant de la hausse des cours des matières premières dans le contexte de la reprise mondiale, la croissance moyenne pour les pays pétroliers africains s’est établie à +3,1 % en 2021, et accélère légèrement en 2022.
Enfin, en Afrique comme ailleurs, les pays dont l’activité économique est fortement dépendante du tourisme ont été les plus impactés par la crise sanitaire, en intensité (-7,7 % en 2020) comme en durée : après le rebond technique de 2021, la croissance est restée ténue en 2022, à +1,4 %, elle ne devrait s’accélérer qu’en 2023, à +3,4 % selon les projections actuelles du FMI.
Des situations d’endettement dégradées et des marges de manœuvre globalement réduites pour les États
Le rythme de la reprise observée en Afrique depuis 2021 n’est pas suffisamment marqué pour gommer les conséquences profondes des crises successives enregistrées par le passé, comme la baisse du revenu par tête dans de nombreux pays, la hausse de la pauvreté et du chômage, etc.
Les fragilités structurelles qui affectent profondément le continent préexistaient, mais se sont amplifiées dans la période récente. Au regard de l’important dynamisme démographique que connaît encore la région, le rythme de croissance s’avère insuffisant pour permettre d’améliorer substantiellement l’accès aux denrées alimentaires et aux services de base, de financer les infrastructures publiques nécessaires et de créer en nombre les emplois permettant d’absorber la main-d’œuvre arrivant sur le marché du travail. On relève dans ce contexte une diminution de l’indicateur de développement humain (IDH) en 2020 puis encore en 2021, et il est fort probable que les fermetures des écoles et la déscolarisation d’un grand nombre d’enfants observées pendant la pandémie auront un impact supplémentaire sur le volet » éducation » de l’IDH dans les années à venir.
Face à ces enjeux bien identifiés, la capacité des gouvernements à agir est désormais pour partie obérée du fait d’un endettement qui s’est rapidement accru et de conditions financières nettement resserrées pour les pays qui ont accès aux financements externes. Plus aucun des 36 pays africains couverts par une analyse de viabilité de la dette (ces analyses, conduites par le FMI et la Banque mondiale, couvrent les pays en développement à faible revenu, et éligibles au fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance) n’est désormais classé en risque faible de surendettement.
De plus, la structure de l’endettement a évolué dans un sens qui rend les restructurations de dette beaucoup plus difficiles : en 2022, plus de la moitié de la dette publique est domestique, devant les obligations externes, la part des créanciers bilatéraux et multilatéraux ne représentant moins d’un cinquième de la dette publique.
Des besoins de financement élevés
Dans un contexte marqué par l’inflation et le durcissement des conditions de financement sur les marchés internationaux, les besoins de financement du continent restent substantiels.
En 2021, le FMI chiffrait à plus de 400 milliards de dollars pour la période 2021-2025 les besoins de financement du continent africain, un chiffre sans doute largement sous-estimé dans la mesure où l’inflation se poursuit et où les dépenses » d’urgence « , telles que celles visant à limiter les effets de l’insécurité alimentaire ont augmenté depuis. Les coûts croissants liés à l’adaptation au changement climatique s’ajouteront à ces estimations (jusqu’à 50 milliards de dollars par an a minima seront nécessaires).
Le FMI souligne en outre que de nombreux pays d’Afrique subsaharienne peineront à simplement répondre aux besoins essentiels de leur population s’ils ne peuvent compter sur un important surcroît d’aide financière internationale. Et pourtant, les décaissements d’aide publique au développement (APD) ont diminué significativement selon l’OCDE, passant d’un niveau de 4,5 % en pourcentage du PIB des pays bénéficiaires dans les années 1990 à moins de 3 % plus récemment.
Pour une analyse plus détaillée de ces questions, lire » L’économie africaine 2023 « , paru aux éditions La Découverte en janvier 2023.
Françoise Rivière, Responsable de la Cellule Economie et Stratégie, département Afrique, AFD, Agence française de développement (AFD)
Mathieu Morando, Économiste, Agence française de développement (AFD)