(BFI) – Depuis plusieurs années, l’International Finance Corporation (IFC) ou Société financière internationale (SFI), institution du groupe de la Banque mondiale qui accompagne le développement du secteur privé dans les pays en développement, est actif au Cameroun. À ce jour, son portefeuille d’engagements s’élève à 242 millions USD (près de 146 milliards de FCFA à la valeur actuelle du dollar) et couvre plusieurs secteurs. En visite officielle au Cameroun du 15 au 19 janvier 2024, le vice-président de l’IFC pour l’Afrique s’est entretenu avec Investir au Cameroun. Sérgio Pimenta revient sur les activités de l’institution au Cameroun et présente les perspectives.
Monsieur le vice-président, à l’occasion de votre visite au Cameroun, l’IFC a organisé à Douala une journée dédiée au développement du secteur privé local. En tant que membre du groupe de la Banque mondiale dédiée au financement de ce secteur, quelles sont vos offres pour le renforcer ?
Ma visite au Cameroun fait suite à une invitation du gouvernement dans l’optique de voir comment nous pouvons accroitre notre financement, notre soutien et déployer une plus grande offre de produits et de services aux entreprises privées du Cameroun. Nous sommes présents à Douala avec un bureau dont nous venons d’augmenter les effectifs. Et comme nous allons avoir plus d’experts ici, nous allons pouvoir offrir plus de connaissances, plus d’expertises qui pourront être utiles aux entreprises camerounaises.
La journée d’échange avec le secteur privé, à laquelle beaucoup d’entreprises camerounaises ont participé, a été l’occasion d’échanger sur nos priorités et le soutien que nous pouvons leur apporter notamment pour créer l’emploi et de nouvelles activités économiques. Nous avons discuté avec trois secteurs plus particulièrement. À savoir : les infrastructures, l’agroalimentaire et de l’économie numérique. Et je pense qu’avec tout particulièrement le soutien à l’agriculture et au secteur numérique, nous allons pouvoir atteindre plus de petites et moyennes entreprises qui ne sont pas traditionnellement à même de bénéficier directement de notre soutien. Donc, en faisant un effet de levier grâce aux nouvelles technologies, nous allons pouvoir soutenir beaucoup plus le tissu économique camerounais.
Au cours de l’exercice 2023, l’IFC a engagé un montant record de 43,7 milliards de dollars auprès d’entreprises privées et d’institutions financières dans les pays en développement. Qu’est-ce qui explique que la part du Cameroun soit aussi faible quand on sait que votre visite au Cameroun en juillet 2019 était motivée par votre volonté « de passer à la vitesse supérieure et de faire plus d’opérations dans le pays » ?
D’abord, comme vous le mentionnez, nous avons financé globalement plus de 40 milliards de dollars d’investissements dans les pays émergents au cours du dernier exercice fiscal. Sur l’Afrique, nous avons déployé l’année dernière plus de 11,5 milliards de dollars en faisant des investissements à long terme dans 40 pays. Donc, nous avons une présence au niveau du continent africain de plus en plus élargie, approfondie et importante. Ici au Cameroun, nous avons aussi augmenté fortement ce que nous faisons. Au cours des cinq dernières années fiscales, nous avons investi et mobilisé 1,16 milliard de dollars sur le pays. Mais, je pense que nous pouvons passer à une étape supérieure et faire beaucoup plus. C’est pour cela que nous voulons renforcer notre présence et notre équipe ici et ainsi avoir la capacité de pouvoir fournir plus de financements aux entreprises.
Il ne faut pas non plus se focaliser uniquement sur le montant en dollar. Il faut aussi regarder la diversité de ce qu’on fait. Au Cameroun, nous avons soutenu les entreprises dans un secteur important comme l’agroalimentaire. Nous l’avons également fait pour l’accès à l’énergie propre. Par exemple, nous avons accordé un financement à la société Bocom qui apporte du gaz liquéfié aux ménages. Ce qui permet d’éviter que dans les zones rurales, les gens aillent couper du bois pour cuisiner ou pour d’autres usages domestiques. Ce sont des projets qui peuvent avoir un impact important puisqu’ils se déploient sur l’ensemble du territoire. Il en est de même pour le soutien apporté à un nombre d’institutions financières sur des opérations destinées à financer les PME.
Mais, quels que soient les montants de nos investissements au Cameroun, je pense que nous pouvons faire plus et je voudrais que l’on fasse plus au regard des opportunités dont dispose le pays. Des projets qui nous permettraient de doubler notre portefeuille probablement au cours de la prochaine année sont en étude. Nos équipes y travaillent et j’espère que nous y parviendrons.
À l’occasion de votre visite de 2019, vous avez d’ailleurs annoncé la réalisation d’une « étude approfondie » des secteurs agricole et agroalimentaire qui devrait permettre de dire ce que peut faire l’IFC « pour améliorer la production agricole locale, transformer les aliments et les produits d’origine alimentaire dans le pays ». Depuis lors, on a plus entendu parler de cette initiative qui devrait aboutir, je vous cite, « à des investissements, à un soutien en assistance technique »…
Le groupe de la Banque mondiale a lancé un nouvel instrument d’étude analytique appelé diagnostic pays. Dans le cadre de cet instrument, dont l’IFC a le leadership, nous avons identifié à chaque fois un ou deux secteurs à soumettre à une étude approfondie. Au Cameroun, c’est l’agro-industrie qui a été choisie. Et l’étude de ce secteur a été achevée en 2022. Elle nous a permis d’identifier un certain potentiel dans le secteur agroalimentaire et dans un certain nombre de filières et de voir comment nous pouvons les soutenir. Nous avons passé en revue plus de 500 entreprises. Nous avons regardé plus en détail plus d’une centaine d’entre elles. Et parmi celles-ci, quelques-unes sont en train d’émerger comme pouvant bénéficier de notre financement. Entre maintenant et ma prochaine visite, nous allons pouvoir accorder des financements à certaines de ces entreprises.
L’amélioration continue du climat des affaires est une condition indispensable pour le développement de l’investissement privé. Pendant plusieurs années, l’IFC a accompagné le Cameroun dans l’organisation du Cameroun Business Forum (CBF), une plateforme de dialogue public-privé dédiée à l’amélioration du climat des affaires. Depuis que vous êtes partis, les choses semblent se passer moins bien. Les sessions du CBF ne se tiennent plus régulièrement. Selon nos informations, vous réfléchissez depuis quelque temps sur la possibilité de reprendre cette assistance. Où en êtes-vous avec cette réflexion ?
Tout d’abord, je vais insister sur l’importance du climat de l’investissement. Ensuite, il faut rappeler que ça fait partie du travail du gouvernement de s’assurer que le cadre des affaires pour les entreprises du secteur privé facilite l’investissement, l’activité économique… Et un des éléments clés de ce travail est le dialogue public-privé. Il est en effet important que le gouvernement écoute le secteur privé avant de prendre des décisions. C’est pour cela que depuis un bon nombre d’années, à l’IFC, nous soutenons le dialogue public-privé dans bon nombre de pays.
Nous avons soutenu le Cameroun Business Forum pendant un certain nombre d’années. Aujourd’hui, je pense qu’il est important d’examiner ce qui a été fait afin de voir si c’est adapté ou non aux réalités d’aujourd’hui. Au Cameroun, les entreprises du secteur privé ont aujourd’hui accès à des technologies qu’elles n’avaient pas dans le passé et à des marchés qui sont différents. Le monde a changé. Et c’est important de voir comment renouveler ce dialogue. Il est important de le maintenir sous un format ou un autre. Nous avons recruté au sein de nos équipes un expert de ces questions-là qui sera basé à Douala et nous comptons sur lui pour pouvoir soutenir les efforts du secteur privé et du gouvernement d’avoir un meilleur dialogue.
La disponibilité de l’énergie est très déterminante dans le développement d’un pays. Comment expliquer qu’après plus de 3 ans de discussion vous ayez renoncé à prêter 210 milliards de FCFA à Eneo pour qu’il prépare le réseau de distribution à absorber l’électricité qui sera produite par le barrage hydroélectrique de Nachtigal ? Je rappelle qu’en tant qu’actionnaire de NHPC et bailleurs de fonds de cette infrastructure de production, vous êtes aujourd’hui préoccupé par la capacité du distributeur exclusif de l’électricité au Cameroun de vous verser, dès l’entrée en service commercial du barrage, le paiement mensuel de 10 milliards de FCFA prévu dans le contrat d’achat d’électricité…
Le secteur de l’énergie est extrêmement important, car aucune entreprise ne peut développer ses activités sans un accès à une énergie de qualité et à un cout raisonnable. Donc, notre travail, y compris celui de nos collègues de la Banque mondiale, sur le secteur de l’énergie au Cameroun est extrêmement important. Et le barrage de Nachtigal où nous avons investi est un projet qui va contribuer très fortement à l’augmentation de la capacité de production de l’électricité dans le pays et de ce fait va bénéficier à un très grand nombre d’entreprises particulièrement de PME.
Dans le cadre du travail sur la réforme et le développement du secteur de l’énergie au Cameroun, il y avait effectivement un dialogue sur un financement potentiel de l’IFC à Eneo. Comme vous le savez, l’IFC ne finance que le secteur privé. Or, avec la décision du gouvernement de nationaliser Eneo, cette entreprise devient publique et sort du cadre de nos opérations puisque nous ne finançons que le secteur privé. Mais, ça ne veut pas dire que nous ne pouvons pas les soutenir d’une autre façon.
Nous continuons de soutenir le secteur. Nous avons par exemple fourni 100 millions de dollars à une société qui s’appelle Scatec, qui va faire de l’énergie renouvelable. Le financement est pour deux pays, dont le Cameroun. Ça va permettre d’accroitre la capacité d’énergie renouvelable au Cameroun de 36 MW. Nous continuons de travailler pour que les entreprises et les ménages au Cameroun aient un accès à de l’énergie propre, à un cout accessible.