(BFI) – Entrée par surprise dans la course pour le poste de directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, l’ancienne ministre nigériane met en avant son profil à la fois politique et financier pour réformer une institution en pleine crise. « Si l’OMC n’existait pas, il faudrait l’inventer. » C’est ce qu’a déclaré la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala lors d’une conférence de presse organisée mercredi 15 juillet à Genève juste après son grand oral devant les 164 membres de l’Organisation mondiale du commerce. Jusqu’au 17 juillet, les huit prétendants – dont trois Africains – au poste de directeur général du gendarme du commerce international défilent devant les pays membres pour défendre leur candidature.
L’un d’entre eux succédera au Brésilien Roberto Azevêdo, qui a démissionné « pour raisons familiales », un an avant la fin prévue de son mandat, et quittera son poste le 30 août. Depuis cette annonce, la course à la succession s’est accélérée, notamment sur le continent.
Alors que l’Union africaine (UA) devrait présenter un candidat unique pour maximiser les chances de voir, pour la première fois, l’un de ses ressortissants diriger l’OMC, ils sont finalement trois sur la ligne de départ.
Désignée par surprise par le président Muhammadu Buhari, Ngozi Okonjo-Iweala, ancienne ministre des Finances et des Affaires étrangères du Nigeria, fait face à l’Egyptien Hamid Mandouh, ancien haut fonctionnaire de l’OMC qui se présente comme le candidat officiel de l’UA, et à l’ancienne ministre kényane des Sports, Amina Mohamed, qui a présidé les trois organes les plus importants de l’OMC par le passé et concouru lors de la dernière élection. « Le fait que le continent soit capable de présenter trois candidatures solides n’est pas un signe de division mais un point positif », a assuré la Nigériane, appelant à choisir le gagnant « au mérite » et affirmant que l’OMC « a besoin de leadership ». Contrant les critiques sur son profil plus financier que commercial, l’ancienne directrice générale de la Banque mondiale (qui a passé 25 ans au sein de l’institution) a mis en avant la combinaison de son expérience d’économiste du développement, de ministre et de négociatrice pour « rebâtir la confiance » en l’OMC, malmenée par une crise de gouvernance et les poussées protectionnistes émergeant aux quatre coins de la planète. « Je suis une femme d’action », a-t-elle ajouté, promettant de refaire la preuve de l’utilité du gendarme du commerce mondial pour l’ensemble des pays membres, en particulier sur le volet de la santé – crucial en temps de pandémie. En marge de son grand oral, Ngozi Okonjo-Iweala a répondu à nos questions sur son projet pour l’OMC.
Alors que le multilatéralisme est en perte de vitesse, l’OMC demeure-t-elle une organisation pertinente ?
Nous n’avons jamais eu autant besoin du multilatéralisme qu’en ce moment. La pandémie de coronavirus montre à quel point il est nécessaire tout simplement parce qu’il y a un certain nombre de problèmes qui ne peuvent être résolus au niveau bilatéral ou régional. Ce constat vaut tant sur le plan de la santé que du commerce. Seul un système d’échanges multilatéral peut produire des résultats pour tous, des solutions gagnant-gagnant. Et l’OMC est la clé de voûte de ce système.
Est-ce que la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), qui doit être lancée l’an prochain, respecte les règles de l’OMC ?
Le commerce intra-africain représente seulement 15 % des échanges du continent et la part de l’Afrique dans les échanges internationaux stagne ces dernières années autour de 3 %. Toute initiative multilatérale pour augmenter les échanges, et en particulier ceux entre pays du continent, est donc une bonne chose. Les négociations menées dans le cadre de la Zleca sont complémentaires à celles conduites au sein de l’OMC, qui peut aider le continent dans ce processus.
La pandémie de coronavirus a fragilisé les chaînes mondiales d’approvisionnement et encouragé le recours à la production locale. N’est-ce pas problématique pour l’OMC ?
C’est une question cruciale, d’autant que nous devrons sans doute faire face à de nouvelles épidémies à l’avenir. Il est fondamental de savoir comment y répondre tout en préservant les échanges. Les règles actuelles permettent déjà aux États d’imposer des restrictions d’importations, du moment qu’elles sont annoncées, proportionnées, appliquées de façon transparente et qu’elles restent limitées dans le temps. Cela pour s’assurer que ces mesures ne deviennent pas des entraves au commerce.
Quel rôle doivent jouer les réglementations commerciales dans le domaine sensible des vaccins et médicaments ?
En tant que présidente du conseil d’administration de l’Alliance Gavi pour la vaccination mondiale, je suis en première ligne sur cette question et notre organisation est mobilisée pour garantir que les vaccins soient disponibles partout dans le monde, y compris dans les pays où ils ne sont pas produits. Dans un monde interconnecté comme le nôtre, nous ne sommes en sécurité qu’une fois que chacun d’entre nous l’est. Cela impose un examen du régime commercial et des règles spécifiques s’appliquant à ces produits tout en prenant en compte la question des souverainetés nationales.
Comment garantir un accès universel et abordable au futur vaccin contre le Covid-19 ?
Il faut constituer une coalition de pays capables d’acheter de façon groupée les vaccins pour les mettre à disposition en même temps dans tous les pays, qu’ils soient riches ou pauvres. C’est l’idée d’un instrument que Gavi a lancé début juin, la garantie de marché pour les vaccins contre le Covid (AMC Covax).
Plusieurs pays ont signé un protocole d’accord avec le groupe pharmaceutique AstraZeneca et l’université d’Oxford pour la fourniture de 300 millions de doses de vaccin à destination des pays à revenus moyens et faibles.
Pourquoi aucun cycle de négociations de l’OMC en vue d’un accord commercial multilatéral n’a abouti depuis 1995 ?
Depuis le cycle de Doha, qui n’a jamais été conclu, aucun nouveau processus de négociations n’a en effet été lancé. En parallèle, les divisions et la méfiance ont gagné du terrain. Pour autant, il est toujours possible de recréer du consensus et de parvenir à des accords globaux. Dans ce cadre et pour dépasser ces difficultés, l’OMC aura besoin d’un directeur général travaillant avec tous les pays membres.
Les discussions sur la pêche, par exemple, ont de bonnes chances d’aboutir, ce qui marquerait une avancée importante. Un accord mettant fin à des subventions au secteur contre-productives permettrait de limiter la surpêche, et ainsi de préserver la biodiversité. Il serait aussi bénéfique pour les petits pêcheurs des pays en développement.
Avec le réveil du protectionniste, il semble qu’il n’y a que des coups à prendre à la tête de l’OMC. Pourquoi vouloir occuper ce poste?
Les questions commerciales sont passionnantes. Le commerce en lui-même n’est pas une fin, c’est le moyen d’atteindre un objectif plus global. C’est un instrument qui, lorsqu’il est bien utilisé, est source de développement et d’inclusion.
Si vous étiez choisie, comment feriez-vous pour parvenir à un consensus au niveau mondial ?
Il faut revenir aux fondamentaux de l’organisation : stabilité, prévisibilité, non-discrimination, équité et transparence. L’OMC a été bâtie sur ces principes qui ont permis de stopper des guerres commerciales dans le passé. Ce système peut à nouveau fonctionner.
Pour ce faire, il faut un directeur général qui connaisse bien ses dossiers mais qui soit aussi un habile négociateur. Quelqu’un qui sache écouter et qui soit tourné vers la construction de solution. Il faut aussi s’assurer que les pays les moins développés puissent profiter d’un tel système sans que les États les plus avancés y perdent.
Quelles qualités personnelles pourraient faire la différence ?
Je pense apporter à la fois un regard neuf sur ces sujets et une distance qui permette de résoudre les problèmes, tout en rappelant les principes fondamentaux de l’organisation. Pour faire avancer l’OMC, il faut de l’énergie, de l’enthousiasme et une capacité à voir les défis comme des opportunités. C’est exactement mon état d’esprit.