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Les enjeux de la révolution agricole

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(BFI) – Les négociations multilatérales sur la préservation du climat et sur la biodiversité mettent la question de l’utilisation des sols au centre des enjeux. Dans le contexte africain, cet enjeu environnemental est fortement lié à la question de la malnutrition.

Dans de nombreux pays africains la trop faible production vivrière et animale fragilise le régime alimentaire de populations encore en croissance. Cette situation risque d’exercer une pression pour l’extension de surface cultivable, au détriment de la biodiversité et des zones forestières. Tandis que les sols agricoles se dégradent, faute de techniques adaptées.

La montée récente des prix des matières premières agricoles comme le blé illustre le déficit de souveraineté alimentaire dans les pays africains, à l’instar de la crise des matières premières agricoles de 2007-2808 pendant laquelle les prix du riz ou le blé avaient triplé en quelques mois. La clef pour sortir de cette dépendance réside dans la meilleure allocation et la meilleure utilisation des surfaces cultivables. De nombreux pays africains ont choisi des modèles d’agricultures d’exportation, que ce soit le cacao en Côte d’Ivoire ou au Ghana, l’horticulture au Kenya, le café dans les hauts plateaux d’Afrique de l’Est.

Les objectifs que se sont donnés les leaders africains d’accroître les terres irriguées, de 6 % à 20% des terres arables du continent d’ici 2050, soit plus de 20 millions d’hectares, doit s’accompagner de la diffusion de savoir-faire techniques, économes en eau et en intrants orientés vers la préservation de la fertilité des terres agraires.

Le African Agriculture Trade Monitor 2020 rappelle que ces produits comme les noix de cajou ou autres des produits de plus en plus diversifiés génèrent de fortes recettes d’exportation vers les marchés émergents et développés. Pour autant, ce modèle économique n’atteint pas l’objectif de souveraineté alimentaire à l’exemple de l’Éthiopie, dont les importations de produits agricoles atteignent presque 50% de la valeur de ses exportations, du Sénégal ou du Bénin, où ce ratio dépasse les 75%. La production vivrière qui occupe l’essentiel des surfaces cultivables doit donc monter en puissance.

L’enjeu premier d’une politique de sécurité alimentaire respectueuse de l’environnement se situe à la base de la production, au niveau des sols, et notamment les terres exploitées par cette petite agriculture vivrière. Cette « petite » agriculture occupe 60% de la main-d’œuvre totale du continent mais souffre d’un sous-investissement chronique.

Dégradations des sols

Les dirigeants de l’Union africaine, qui se sont engagés à la promouvoir à travers la feuille de route adoptée à Malabo en 2014, et la communauté internationale, doivent comprendre que ce sous-investissement aboutit à une dégradation accentuée des terres arables.

En effet, pour que les paysans africains produisent plus et mieux, des produits destinés aux marchés locaux signifie qu’il faut leur permettre d’intensifier leurs productions et surtout préserver les sols. Cette intensification doit éviter l’extension des surfaces cultivées au détriment de la biodiversité par des brulis sauvages et de la déforestation. D’autre part, les faibles moyens techniques et financiers ne leur permettent pas de maintenir la fertilité de leur terre dans un contexte où les effets des changements climatiques accentueront ces phénomènes d’érosion. Le péril menace d’ailleurs autant la grande exploitation exportatrice comme la petite ferme paysanne.

Les observations du rapport 2019 du GIEC sur les dégradations de sols en Afrique relèvent que « la dégradation des sols, telle qu’elle est observée par la télédétection et l’imagerie satellitaire, est plus élevée en Afrique que dans le reste du monde »

Programme de protection des sols au Malawi (Source : FAO)

Une part importante des terres disponibles est soumise à de graves fragilités écologiques, constatait le GIEC : pertes par érosion, salinisation des sols, lessivage des nutriments, minéralisation accélérée, exportation de la biomasse végétale, risques d’invasion de prédateurs, maladies récurrentes des plantes. « L’Afrique aurait perdu 650 000 km2 de terres fertiles en cinquante ans », concluent Lennart Olsson et Humberto Barbosa, auteurs d’un chapitre remarqué en 2019 portant sur « Land Degradation,Climate Change and Land, an IPCC special report on climate change,desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems ».

Dans la petite agriculture, la terre est souvent morcelée en petites exploitations et cultivée de manière traditionnelle, avec une très faible utilisation d’engrais pour compenser les déperditions en nutriments. En trente ans, les rendements auraient baissé de 27 % en Tanzanie, de 18 % au Soudan et de 16 % en Zambie. « L’accroissement de la productivité agricole n’est pas une option ; elle est une exigence face aux limites de l’extension » souligne Pierre Jacquemot, président du GRET, dans un rapport de 2021 sur l’agriculture africaine.

De plus la population africaine doublera d’ici à 2050, particulièrement dans la zone sahélienne et l’Afrique centrale. Une politique d’intensification agricole respectant l’équilibre écologique doit donc passer par deux facteurs clefs : une irrigation, certes la plus économe possible en ressources hydriques, mais aussi un apport d’intrants, phosphore, nitrate et potassium, pour lutter contre l’érosion de la fertilité de sols utilisés par l’agriculture et lessivés par les éléments naturels.

Un réservoir de terres moins fort qu’espéré

Christine Alewell, Bruno Ringevall et Pasquale Borrelli confirment d’ailleurs ces observations scientifiques dans un article publié en septembre 2021 dans la revue Nature, « global phosphorus shortage will be aggravated by soil erosion ». Ils analysent le cycle du phosphore dans les terres cultivées sur les différents continents. Les méthodes de cultures en Afrique peu consommatrices d’intrants phosphatés, moins de 1,7kg/hectare cultivé en moyenne contre plus de 140 kg/hectare en Inde, accélèrent la perte de fertilité des sols. D’autant plus qu’elles peuvent s’accompagner de pratiques agricoles non durables qui exacerbent les effets de la sécheresse sur la dégradation des sols (brulis, non pratique de la jachère).

Le continent africain est certes vaste, les terres arables sont nombreuses mais l’extension des cultures n’offre pas une solution pérenne pour relever le niveau de la production. Pierre Jacquemot, relève que « plus de 240 millions d’hectares de terres sont exploités en Afrique et 105 millions d’hectares pourraient eux aussi être mis en exploitation », mais que la dégradation accélérée des sols et plus des facteurs géographiques, techniques ou humains, compromet fortement l’idée d’un vaste réservoir de terres à utiliser.

La question des sols perçue sous l’angle de l’équilibre environnemental, et l’attrait pour les exemples louables de l’agroécologie occultent bien trop souvent la question du volume de la production à accomplir sur le continent pour garantir la souveraineté alimentaire. L’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) ou l’Alliance pour l’agroécologie en Afrique de l’Ouest (3AO) fédèrent des associations de cultivateurs autour de ces techniques agro-écologiques qui certes réduisent les pratiques les plus destructrices pour la fertilité des sols.

Des objectifs ambitieux

Cependant, ces techniques nécessitent de longues périodes de récupération des sols, au détriment d’un objectif de production permettant de satisfaire la demande locale. Ailleurs qu’en Afrique, en Europe ou aux Etats-Unis, là où les engrais sont parfois utilisés en excès et que la surproduction est évidente, l’agroécologie présente des solutions alternatives intéressantes. Sur le continent africain en revanche on pourra se poser la question de sa capacité à hausser la production à la hauteur d’une souveraineté alimentaire pour les pays africains.

Les objectifs que se sont donnés les leaders africains d’accroître les terres irriguées, de 6 % à 20% des terres arables du continent d’ici 2050, soit plus de 20 millions d’hectares, doit s’accompagner de la diffusion de savoir-faire techniques, économes en eau et en intrants orientés vers la préservation de la fertilité des terres agraires. La question de la fertilité et de l’utilisation des sols devant être la pierre angulaire de ce modèle agricole à inventer.

Magazinedelafrique

Rédaction
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