(BFI) – En pleine mutation, les systèmes financiers africains se situent actuellement à un carrefour déterminant, où la balance oscille entre les méthodes éprouvées et les innovations disruptives. Les banques de développement n’y échappent pas, mieux quand elles sont dans une région frappée ces dernières années pas d’instabilités à facettes multiples : sécurité, politique, social, économie…
En marge de la 9e édition du Rebranding Africa Forum où il s’est vu décerner le « Prix du Champion du Développement », George Agyekum Donkor, président de la BIDC et de son conseil d’administration, revient sur les enjeux de taille qui façonnent le paysage financier et économique de la sous-région. Renforcement des capacités productives, mobilisation de financements durables, amélioration des infrastructures, intensification du commerce intra, développement des technologies financières… sont autant de leviers cruciaux pour catalyser la croissance économique et l’intégration régionale en Afrique, nous raconte le dirigeant ghanéen.
Vous avez participé à l’édition 2023 du Rebranding Africa Forum qui cette année était placée sous le thème : « les systèmes financiers africains en mutation, concilier authenticité et modernité : les chemins de l’inclusion financière ». En quoi ce thème est-il pertinent pour la BIDC et quelle importance revêt-il pour vos initiatives ?
L’inclusion financière est indispensable au bien-être économique de nos populations. Elle permet de stimuler la croissance économique et la productivité grâce à la promotion de l’épargne au sein de la population. En effet, l’épargne est un levier de l’entrepreneuriat, de l’innovation et de l’investissement, et contribue à la création d’emplois et à l’amélioration des conditions de vie des populations. Un assainissement de la conjoncture économique mondiale contribuera à terme à une optimisation des opérations de la Banque, dans la mesure où cela réduira la probabilité de survenue de prêts en souffrance (due au non-paiement de ces derniers) et améliorera le profil de risque de la sous-région, et par ricochet, le portefeuille de la Banque, ce qui facilitera son accès aux meilleures ressources qu’elle pourra consacrer aux initiatives de développement.
Les innovations du secteur financier, telles que les services de paiement par téléphonie mobile et les services bancaires électroniques, ont également joué un rôle majeur dans l’amélioration de l’inclusion financière des populations rurales ou à faible revenu, grâce à un dispositif facilitant l’ouverture de comptes et la réalisation de transactions financières. Cependant, d’après les données statistiques, plus de 350 millions de personnes ne sont toujours pas bancarisées en Afrique, dont la majeure partie réside en Afrique de l’Ouest.
C’est dans cette optique que la BIDC est enthousiaste à l’idée de soutenir les innovations financières dans la sous-région de la CEDEAO, grâce aux ressources qui seront allouées au secteur financier ainsi qu’aux facilitateurs de la technologie financière, tels que les acteurs du secteur des télécommunications et de l’électricité. Nous sommes convaincus qu’au fil des années, l’innovation financière permettra de réduire considérablement le taux de non-bancarisation dans la sous-région.
En 2021, la BIDC a lancé la mise en œuvre d’un nouveau plan stratégique. Quels sont les progrès réalisés à ce jour dans l’exécution de ce plan ?
La Banque est en passe de réaliser les objectifs énoncés dans sa Stratégie 2021-2025. En effet, la majorité des objectifs fixés à mi-parcours ont déjà été atteints à fin mars 2023. A titre d’exemple, les taux d’approbation de nouveaux projets et d’engagements étaient respectivement de l’ordre de 77,7 % et de 97,5 %. Les taux de réalisation des décaissements et de la mobilisation de ressources s’élevaient également à 63,9 % et 62,1 %, respectivement, tandis que les objectifs de croissance du portefeuille de prêts et du bilan ont été dépassés de 7 % et 23,1 %.
Par ailleurs, la Banque intensifie ses activités de financement en faveur des Etats membres, compte tenu des défis posés par les différents soubresauts économiques rencontrés récemment.
Enfin, la Banque procède actuellement à une évaluation à mi-parcours de la Stratégie 2025 afin de réajuster certains de ses objectifs, sur la base des résultats enregistrés au cours des deux années et demie écoulées.
La BIDC entend jouer un rôle significatif dans le développement de l’espace CEDEAO, avec des engagements nets dépassant 3 milliards de dollars. Cependant, la question du développement inclusif reste un défi pour la région. Quelle est votre approche de solution en la matière ?
L’inclusion financière constitue l’une des priorités de la Stratégie 2025 de la BIDC, comme en témoigne l’adoption des dix premiers Objectifs de développement durable (ODD) qui visent la réduction de la pauvreté et des inégalités dans le cadre des interventions de la Banque en faveur des Etats membres. La Banque a déployé des efforts délibérés durant les processus d’évaluation et d’identification des projets pour soutenir les projets menés par les femmes et les jeunes dans toutes les chaînes de valeur, et ce, afin de promouvoir l’inclusion financière.
La BIDC a procédé l’année passée à une augmentation de son capital autorisé. Quelles sont les raisons qui ont motivé cette décision et quelle est la prochaine mesure que la Banque compte prendre à cet effet ?
La Banque a procédé à une augmentation de son capital autorisé afin d’accroître ses ressources destinées au financement des programmes de développement des Etats membres, sans pour autant compromettre l’effet levier de son bilan.
L’augmentation du capital autorisé, en plus d’être une marque de soutien des actionnaires, permettra également à la Banque d’apporter une plus-value à ses clients, en particulier dans un environnement où le coût des financements est élevé, grâce à un mécanisme de prêt axé sur un mixage du nouveau capital et des lignes commerciales existantes afin de réduire le coût des financements à des niveaux inférieurs à ceux du marché.
A long terme, cela contribuera à une meilleure notation de la Banque et la rendra plus réactive et plus pertinente par rapport aux besoins de ses parties prenantes pour se conformer aux normes de l’industrie.
Vous avez réussi à mobiliser des fonds auprès de diverses institutions ces dernières années. Quels sont les facteurs clés de cette réussite ?
Nos partenaires ont pris conscience de notre nouvelle orientation stratégique et étaient convaincus que nous étions en mesure de redresser la situation financière de la Banque et de la sous-région. Malgré l’environnement économique difficile créé par la pandémie de Covid-19 et la crise entre l’Ukraine et la Russie, la Banque a toujours honoré ses engagements. Nous avons repris contact avec nos anciens partenaires et fait appel à de nouveaux partenaires qui partagent notre vision pour la sous-région et ont réalisé la bancabilité de notre approche, tout comme notre engagement inébranlable.
En outre, les performances exceptionnelles enregistrées par la Banque au cours des trois dernières années témoignent de l’efficacité de nos nouvelles initiatives et de l’amélioration des processus mis en place. Nous avons obtenu une meilleure note de Moody’s et de Fitch Ratings, amélioré la qualité de nos actifs et renforcé notre gouvernance.
En dépit des défis sociopolitiques de la sous-région, notamment des crises et des coups d’Etat, la BIDC a connu une hausse de ses engagements. Quelle est la stratégie opérationnelle qui sous-tend cette résilience ?
Les banques de développement sont plus utiles en période de crise. Nous avons pu accroître nos engagements, car nous avons démontré aux Etats membres que nous pouvions répondre à leurs besoins. Cela explique l’apurement des arriérés de capital par les principaux Etats membres, en dépit de la crise économique actuelle. La disponibilité des ressources (aussi bien des fonds propres que des ressources commerciales) nous a permis d’engager et de déployer ces ressources de façon opportune et rentable. Nous avons élaboré des solutions pour répondre aux besoins de financement des Etats membres en cette période éprouvante.
Quels sont notamment les défis que votre institution doit relever en raison du climat actuel d’instabilité ?
L’instabilité politique actuelle affecte la Banque sur plusieurs plans. Nous avons dû suspendre les programmes de décaissement dans certains pays en proie à l’instabilité, en raison des sanctions qui leur ont été imposées. En outre, certains remboursements de prêts des pays concernés sont en souffrance pour les mêmes raisons, ce qui a entraîné la classification de ces actifs par les agences de notation comme étant des prêts non performants. De manière générale, l’instabilité politique a détérioré l’environnement économique dans lequel la Banque mène ses opérations, ce qui a eu des incidences négatives sur sa notation de crédit et pourrait, à terme, se répercuter sur le coût de ses financements.
La BIDC est-elle engagée dans la lutte contre le changement climatique ? Si oui, quelles sont les mesures prises par la Banque pour relever les défis inhérents à cette question ?
Le 10 octobre dernier, la BIDC a organisé une première réunion d’experts dans le cadre de la résilience climatique et du développement vert durable, dénommée « Table ronde du Président ». Cet événement avait pour thème « Rendre l’Afrique de l’Ouest plus verte », et était dédié au financement et à la promotion des programmes et projets de développement durable de la CEDEAO dans divers secteurs, en sus des questions de viabilité environnementale et de résilience climatique qui ont été débattues.
S’agissant des mesures prises par la Banque, l’objectif 13 des ODD est l’un des objectifs sur lesquels notre plan stratégique s’est aligné. La Banque a pris des mesures résolues pour identifier et financer les projets de lutte contre le changement climatique. A fin mars 2023, le taux d’engagement de la Banque en faveur des énergies renouvelables s’élevait par exemple à 72,1 % de l’objectif de la stratégie 2025. Il s’agit essentiellement des projets de production d’énergie solaire et des projets d’irrigation alimentés par l’énergie solaire dans l’ensemble de la sous-région.
La Banque a également investi dans des initiatives d’agriculture durable avec des mesures environnementales pour lutter contre le changement climatique, telles que le Projet de développement de l’irrigation dans le bassin du Bani et à Sélingué, dans la région de Djenné, dans la région de Mopti (PDI-BS II) au Mali et le Projet de pôle agro-industriel dans le nord de la Côte d’Ivoire (2 PAI-Nord-CI). Ces projets sont liés aux ODD 1, 2 et 13, qui s’attaquent respectivement à l’éradication de la pauvreté, à la sécurité alimentaire et au changement climatique.
Nous sommes déterminés à en faire davantage dans ce domaine dans le cadre de la mise en œuvre de notre Stratégie 2021-2025, d’autant plus que des efforts sont en cours pour obtenir des financements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
D’après les statistiques, seulement 3 % des financements climatiques sont destinés à l’Afrique. Le financement climatique reste faible, notamment dans l’espace CEDEAO. Quelles stratégies les banques de développement et d’investissement devraient-elles adopter pour impulser le financement de ce secteur en Afrique ?
La BIDC a publié son premier cadre de financement ESG au premier trimestre de cette année, en vue de promouvoir une croissance résiliente, inclusive et durable dans ses Etats membres. Le coût actuel élevé des financements a mis à mal la mobilisation des ressources à un coût raisonnable, y compris les ressources ESG.
Toutefois, il est important pour les banques de développement et d’investissement de privilégier cette question dans le cadre de leurs opérations. En outre, ces banques doivent affecter une partie de leurs ressources à la promotion de cette cause, étant donné que le changement climatique est devenu une menace non seulement pour la survie des générations futures, mais également des nôtres.
Quels sont les secteurs prometteurs que la BIDC et d’autres institutions financières ont identifiés pour leurs investissements futurs ?
Il s’agit bien évidemment des secteurs de la technologie financière, de l’innovation et des ESG. L’innovation est la clé des progrès économiques futurs, mais la Banque ne devrait pas perdre de vue les investissements ESG. En effet, ces derniers ne devraient pas être sacrifiés au profit des divers projets d’innovation. Nous devons plutôt promouvoir des innovations qui mettent en avant les questions ESG. Nous nous emploierons à financer les projets favorisant l’inclusion des femmes et des jeunes dans notre espace économique, tout en accordant une attention particulière aux questions environnementales.
Les petites et moyennes entreprises (PME) sont souvent considérées comme le moteur d’une économie, en particulier dans les pays en développement. Quelles sont les mesures prises par la BIDC en matière de financement des PME au sein de l’espace CEDEAO ? Quels programmes ou mécanismes spécifiques avez-vous mis en place pour soutenir ces entreprises ?
Les PME constituent l’un des principaux centres d’intérêt de la Stratégie 2021-2025 de la BIDC. La complexité, la taille et le nombre des PME sont tels que les banques de développement qui n’ont pas autant d’agences que les banques commerciales auront du mal à suivre convenablement leurs opérations pour réduire les risques de non-paiement de prêts. La stratégie de la BIDC, et de plusieurs banques de développement à l’instar de la nôtre, consiste à octroyer des prêts aux PME par le biais des banques commerciales locales, qui sont mieux placées pour suivre leurs opérations.
Cela explique en partie les raisons pour lesquelles les engagements de la BIDC dans le secteur financier ont à fin mars 2023, dépassé de 122 % l’objectif énoncé dans la Stratégie 2025. La Banque continue de donner une suite favorable aux demandes de financement des PME.
Avec Ecofin