(BFI) – Filiale du groupe du tycoon ivoirien Jean Kacou Diagou, NSIA Banque Côte d’Ivoire est devenue, le 7 février dernier, la première banque de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) à lancer un Fonds commun de titrisation de créances. D’un montant total de 40 milliards de Fcfa (plus de 66 millions de dollars), l’opération consiste en l’émission de 4 millions d’obligations, d’une valeur nominale de 10.000 Fcfa, avec une maturité de 5 ans pour un taux de rendement annuel de 7%. Léonce Yacé, directeur général, revient sur l’impact d’une telle opération et livre son analyse du secteur bancaire régional.
Le règlement de l’UEMOA autorise la titrisation de créances depuis 2010. Mais, il aura fallu tout ce temps pour qu’une banque s’y prête. Pourquoi ?
Léonce Yacé – Il nous a fallu tout ce temps pour nous familiariser avec la titrisation de créances dont la maîtrise n’était pas encore complètement démontrée sur notre marché financier. Au plan communautaire, un cadre réglementaire juridique a été défini, permettant de mettre en place les règles applicables à ce type d’opération. Il appartient ensuite à tout acteur intéressé de se familiariser avec ce cadre juridique, d’en identifier les avantages et éventuellement les limites, de trouver des équipes outillées et compétentes en interne pour pouvoir mettre en place les mécanismes nécessaires à la réalisation des opérations de titrisation.
En ce qui concerne le secteur bancaire, NSIA se réjouit d’être le premier acteur à avoir recours à ce type d’opération de financement. Et maintenant que c’est chose faite, on peut s’attendre à voir des opérations de titrisation de créances se réaliser plus souvent sur le marché financier.
Cette opération servira à répondre notamment à la permanente demande de crédits des PME …
D’emblée, j’aimerais préciser que l’opération de titrisation bénéficie à la fois aux banques, aux investisseurs et aux PME. Elle est intéressante pour la banque, car elle lui permet d’alléger son bilan, de piloter ses ratios prudentiels et sa consommation de fonds propres liés à l’activité de crédit. Ce type d’opération permet également à la banque de faire appel à l’épargne publique, donc de se refinancer par un recours au marché financier. Un établissement a donc plutôt intérêt à se donner la possibilité de réaliser des opérations de titrisation, parce qu’il utilise son portefeuille de crédits comme un instrument qui lui permet de gérer plusieurs aspects de son activité.
C’est une opération intéressante aussi pour les investisseurs parce qu’elle leur assure un rendement intéressant sur une période plutôt raisonnable. On parle d’une maturité de cinq ans avec un placement plutôt sécurisé. Cela permet aux investisseurs d’assurer la diversification de leurs placements. L’investisseur qui a le souci de poursuivre ses placements, mais avec de la diversification, trouve dans la titrisation un instrument adapté.
Enfin, la titrisation de créances est intéressante pour les PME parce que les fonds levés par les établissements bancaires peuvent être utilisés pour octroyer du crédit aux PME locales à des conditions intéressantes. Donc ce type d’opération permet à la banque de se refinancer et de poursuivre son activité de prêts pour aider les PME. Mais pour bien aider les PME, il n’y a pas que cela. Il y a le recours aux mécanismes de garantie de portefeuilles qui nous permettent de sécuriser les prêts que nous octroyons aux PME.
Quand on sait que dans nos zones les PME souffrent souvent de l’incapacité à fournir des garanties, le fait de disposer des garanties de portefeuille permet de résoudre une grande partie des problèmes d’accès au financement auxquels sont confrontées les PME.
Vous évoquiez l’incidence qu’aurait cette opération sur le secteur bancaire. La titrisation de créances peut-elle devenir une nouvelle tendance, au vu justement de la cruciale question du financement des PME ?
La titrisation vient renforcer la palette de solutions dont disposent les établissements bancaires pour gérer leurs problématiques. Lesquels sont de plusieurs ordres : gestion de la taille du bilan, de la liquidité des ratios prudentiels, de la consommation en fonds propres. Toutes ces problématiques existaient avant, mais elles sont renforcées par un certain nombre de changements réglementaires intervenus dans la zone UEMOA depuis 2018. Donc, dans la palette de solutions dont dispose désormais la banque, la titrisation occupe une bonne place. Et pour les banques qui ont notre configuration, qui ne sont pas affiliées à des groupes bancaires internationaux et qui ont l’ambition de poursuivre leur activité de crédit tout en étant en conformité avec la réglementation, la titrisation apparaît comme une solution.
Dans une récente intervention, vous évoquiez la mutation que connait le secteur bancaire en Afrique. Est-ce lié à la digitalisation qui a chamboulé l’activité des banques ?
Il est clair que la digitalisation est un facteur important de cette mutation, en raison de la place qu’elle prend dans le secteur bancaire. Par le passé, les clients souhaitaient avoir un lien physique, une présence dans une agence bancaire. Aujourd’hui, ils recherchent davantage d’autonomie, de souplesse et donc de solutions de banque à distance. D’ailleurs, cette digitalisation de la banque a accentué le défi lié à la sécurité. Naturellement, nous mettons l’accent sur la sécurité de nos installations physiques, parce que le risque dans un schéma classique concerne le braquage. Aujourd’hui, le risque est d’un autre type. On parle de risque de cybercriminalité. On se retrouve donc à mettre l’accent sur le dispositif de sécurité : informatique, des applications … parce qu’on est confronté à des types de risques nouveaux.
Mais au-delà, la mutation que connait le secteur bancaire en Afrique se caractérise aussi par des changements réglementaires importants, avec un nouveau cadre pour le dispositif prudentiel, pour la gestion des créances en souffrance, pour la comptabilisation des gains et revenus des banques… Ce sont des éléments qui affectent les bilans et les comptes de résultat des banques. Nous avons un nouveau plan comptable bancaire, de nouvelles contraintes légales qui affectent certaines parties de nos activités. Il existe également des initiatives prises par le régulateur et les pouvoirs publics en matière de bancarisation et de gratuité des services bancaires. Ces mesures vont dans le bon sens, mais ne sont pas sans incidence pour les banques.
Il est toutefois important de noter que pour réussir ce virage, les banques africaines n’ont pas attendu pour se mettre au niveau. Cela passe par des formations pour renforcer les compétences des collaborateurs, une gestion mutualisée d’un certain nombre de paramètres, une meilleure collaboration avec les banques notamment en ce qui concerne la gestion des risques, le renforcement du dialogue avec nos régulateurs pour être bien alignés sur ce que nous attendons de l’ensemble de ces changements réglementaires.
Pour un établissement coté comme NSIA Banque CI, quel message cette opération de titrisation envoie-t-elle aux marchés ?
C’est un message de confiance, de solidité et de crédibilité de bonne gestion. Ce message est notamment celui que l’investisseur de référence, à savoir la SFI, envoie au marché financier, puisque quand la SFI s’engage au travers d’une prise ferme 17,5 milliards de FCFA, elle démontre toute sa confiance dans la gouvernance de la banque, dans la qualité de sa politique de crédit, dans la qualité de son portefeuille et dans sa solidité financière. Ce sont des éléments auxquels sont sensibles les investisseurs sur le marché boursier et normalement ce sont des éléments auxquels devraient être sensibles les détenteurs d’actions NSIA Banque CI.
Le Groupe NSIA a récemment réorganisé sa présence bancaire en Côte d’Ivoire, lorsque que NSIA Banque CI absorbait Diamond Bank CI, une autre filiale du groupe. Où en est l’opération ?
C’est une opération réglementée, conditionnée par l’autorisation préalable de la commission bancaire. Étant donné que nous sommes une société cotée, elle nécessite également l’approbation du conseil régional. Les différentes formalités ont été réalisées auprès de plusieurs instances. Nous avons bon espoir de recevoir leur accord au cours du premier trimestre 2020 et au cours du deuxième trimestre 2020, nous passerons à la phase pratique de la reprise des activités. Cette opération permettra à NSIA Banque CI d’augmenter ses parts de marché et de confirmer sa position dans le trio de tête des banques en Côte d’Ivoire.
NSIA Banque CI vient de signer un partenariat avec le groupe immobilier marocain Addoha. Quelle est la particularité de ce deal et quelle place occupe l’immobilier dans la stratégie de la banque que vous dirigez ?
Depuis 2012, NSIA Banque CI a mis l’immobilier au centre de sa stratégie en ayant à l’esprit trois objectifs. Il s’agissait de financer le promoteur immobilier pour favoriser la constitution d’une offre immobilière de logement de qualité en Côte d’Ivoire. Une offre correspondant à tous les segments de clientèle, du logement social au logement haut standing, en passant par le logement économique et le moyen standing. Pour cela, nous avons consacré des financements importants à l’accompagnement de promoteurs immobiliers. Nous avons a été au-delà de 60 milliards de Fcfa. Favoriser la qualité d’une offre en matière de logement nous permettait aussi de proposer des crédits immobiliers acquéreurs. Le groupe NSIA étant à l’origine un groupe d’assurance devenu un groupe financier avec une diversification dans le domaine bancaire, accompagner l’immobilier résidentiel permet aussi de créer les conditions de la commercialisation de notre offre d’assurance habitation.
Avec le groupe Addoha, nous avons une relation multidimensionnelle parce que nous les accompagnons en matière de financement de promotion immobilière, nous réservons à leurs acquéreurs des conditions de financement acquéreur préférentielles et nous mettons à leur disposition notre réseau d’agences dense de 83 agences en Côte d’Ivoire, pour commercialiser leurs biens dans nos agences. L’idée est simple, le promoteur ne peut pas être présent partout en Côte d’Ivoire, par contre il y a des acquéreurs dans toutes les villes de la Côte d’Ivoire et le réseau d’agences de NSIA s’étend sur le territoire national. C’est un partenariat de type nouveau qui vise à favoriser la mise à disposition d’une offre immobilière de qualité et qui s’adresse à toutes les catégories de la population.
La tribune Afrique