(BFI) – La mission de reconnaissance du site retenu pour l’exécution des prestations objet du marché de réalisation des études architecturales et techniques, en vue de la construction du port de sec de Ngaoundéré, était sur le terrain hier 13 novembre 2024. Elle a présenté le projet aux acteurs locaux et recueilli les avis des populations. La mission a aussi eu des séances de travail de groupe ou restreintes avec les autorités locales impliquées dans la réalisation du port sec de Ngaoundéré. Sur le prétexte de cette mission de reconnaissance, nous publions l’intégralité de l’interview réalisée précédemment avec Jean-Marie TOUKAM, Chef du Secteur des Douanes de l’Adamaoua.
Le MINEPAT vient de signer un appel d’offre pour la réalisation des études architecturales et techniques en vue de la construction d’un Port Sec à Ngaoundéré. Qu’est-ce qu’un Port Sec et pourquoi un Port Sec ?
Merci pour l’intérêt que vous portez sur la récente et brûlante actualité relative à la signature par le MINEPAT de l’Appel d’Offre National Restreint N°00014/AONR/MINEPAT/CIPM/2023 du 10 juillet 2023.
Permettez-moi de préciser d’emblée que le MINEPAT est parfaitement dans son rôle en tant que maître d’ouvrage des investissements publics de l’Etat, à travers les Budgets d’Investissement Public(BIP) qu’il gère au cours des différents exercices budgétaires. Dans ce cadre, la signature de l’appel d’offre suscité constitue une étape importante voire décisive dans le processus de maturation et de mise en œuvre de cet important ouvrage qu’est le futur Port Sec de Ngaoundéré.
A cet égard, lors de notre prise de fonction à la tête de ce Secteur en juillet 2020, nous avons hérité entre autres du dossier dudit Port Sec, dont la réalisation constituera un tournant décisif dans le décollage économique non seulement de la partie Septentrionale du pays mais également de nos pays voisins sans Littoral, comme nous le verrons plus loin.
Alors, c’est quoi un Port Sec ?
Littéralement nous disons qu’un Port Sec est un port qui n’a pas d’eau ! En fait, de façon courante, lorsqu’on parle d’un port, le commun des mortels voit directement un port maritime. Puisqu’effectivement, en matière de commerce international, plus de 90% des marchandises sont transportées par la voie maritime. C’est oublier qu’il existe d’autres modes de transport des marchandises, notamment le transport aérien (aéroport), et le transport terrestre ou ferroviaire (gare ferroviaire ou terrestre). C’est dire qu’un Port Sec est un type particulier de port qu’on retrouve à l’intérieur du pays (hinterland dans le jargon logistique) notamment sur certains corridors de transport terrestre.
D’ailleurs, C’est quoi un Port ?
Techniquement, un port est ouvrage d’infrastructure constitué d’un ensemble d’installations techniques et logistiques (bâtiments, entrepôts ou magasins, terre-plein) spécialement aménagées et comportant des équipements nécessaires à l’accueil et au traitement des marchandises objet du commerce international (stockage, chargement/déchargement, empotages/dépotages, entreposage…). Un port comprend généralement plusieurs services administratifs et techniques chargés de la gestion des opérations de dédouanement des marchandises importées ou exportées, à savoir les armateurs, les chargeurs, les CAD, les banques, etc … et la Douane bien entendu.
Pourquoi un Port Sec (alors que le pays dispose de 2 grands ports maritimes) ?
Il vient d’être dit que la plupart des ports sont des ports maritimes puisque l’essentiel des marchandises sont acheminées par cette voie. Toutefois, la philosophie de la création des Ports Secs se justifie par une démarche logique et méthodique des Administrations douanières dans le cadre de la facilitation des échanges, de la simplification des procédures, de l’amélioration de la compétitivité et du climat des affaires. Sous ce prisme, les ports Secs qui se situent généralement dans l’hinterland constituent sur le plan douanier une excroissance voire un prolongement des Ports maritimes situés à l’entrée du pays. Mieux encore, les Ports Secs créés ou à créer à l’intérieur de notre territoire se présentent en fait comme une déclinaison des MADE (Magasins et Aires de Dédouanement Extérieurs) dont la mise en place fait partie des exigences de fonctionnement d’une Administration douanière moderne et efficace, au regard de certaines contraintes logistiques enregistrées dans les ports d’entrée.
Pourquoi un Port Sec à Ngaoundéré ?
L’exploitation du dossier « Port Sec de Ngaoundéré » m’a permis de constater que son initiative date de l’année 2015 lorsque, sous l’impulsion des Chefs d’Etat du Tchad et du Cameroun, une Réunion Conjointe s’est tenue à Ndjamena (du 27 au 29 mai 2015) entre les Ministres des transports des deux pays, l’objet de la concertation portant sur la situation du transit des marchandises à destination du Tchad. A l’issue de ladite concertation, une des principales résolutions portait sur la mise en place au Cameroun des Ports Secs à EDEA, BELABO, et NGAOUNDERE. (NB : sur le plan opérationnel, la gestion des ports incombe au Ministère des Transports).
❖ Par la suite, il y a eu plusieurs réunions de concertation entre les Directeurs Généraux des Douanes des deux pays, tantôt à Ndjamena, tantôt à Yaoundé, à l’effet notamment de définir et finaliser un cadre réglementaire relatif à la création des Ports Secs indiqués (Réunion du 26/01/2016 à Yaoundé).
❖ Dans cette veine, une étape importante a été franchie avec la signature par le Premier Ministre/Chef du Gouvernement, du Décret N°2016/5161/PM du 14 novembre 2016 précisant les modalités de mise en place et de développement des Magasins et Aires de Dédouanements Extérieurs (MADE). Cet important texte consacrait ainsi l’ancrage juridique nécessaire à la création des Ports Secs, lesquels constituent en fait une déclinaison des MADE.
❖ S’en sont suivis une kyrielle de correspondances, de séances de travail et de concertation entre les parties prenantes, tant au niveau Central qu’au niveau régional. En ce qui concerne l’opérationnalisation du Port Sec de Ngaoundéré, nous pouvons citer entre autres :
❖ La mise à disposition en 2019 par Sa Majesté le Lamido de Ngaoundéré, d’un site de 200 hectares au lieu-dit BEKA-MATARI situé à environ 20 km de Ngaoundéré sur l’emprise de la voie ferrée (après qu’un premier site à MARTAP dans l’arrondissement éponyme ait été jugé non viable…)
❖ Les diligences effectuées par les différentes autorités administratives locales (Gouverneur de la Région et Préfet de la Vina) à l’effet de viabiliser et sécuriser juridiquement le site ainsi validé, avec comme point d’orgue la signature par le Ministre en charge des Domaines, de l’arrêté N°000040/MINDCAF/SG du 14 Janvier 2022, déclarant d’utilité publique les travaux de sécurisation du site devant abriter le Port Sec de Ngaoundéré.
❖ La publication par le Ministre des Finances de deux importants communiqués le 21 Avril 2021, dont l’un à l’adresse des opérateurs économiques et des milieux d’affaires, les invitant à saisir les opportunités qu’offre le décret N°2016/5161 du 14 novembre 2016 pour aménager les MADE sur la plateforme logistique de Ngaoundéré ; et l’autre à l’adresse de son collègue du MINEPAT pour solliciter l’intégration du projet de construction du Port Sec de Ngaoundéré dans le BIP 2022 de son ministère.
❖ La grande réunion de concertation présidée par le Gouverneur de l’Adamaoua entre tous les acteurs impliqués dans ce dossier, en date du17 octobre 2022, laquelle a débouché sur la création par Décision N°597/DR/H/SDG/SG/DAESC du 07 Novembre 2022, d’une Cellule Régionale de Suivi du Port Sec de Ngaoundéré, dont le Délégué Régional du MINEPAT est le Coordonnateur Technique, et le Chef de Secteur des Douanes son Rapporteur.
❖ Comme vous le constatez, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis 2015, beaucoup d’encre et de salive ont été utilisés pour faire avancer cet important mais délicat dossier, dont la finalisation charrie beaucoup d’enthousiasme voire de passion au sein des populations de l’Adamaoua en particulier, et celles du Grand Nord en général (sans oublier nos deux pays voisins).
❖ A dire vrai, et sans partie pris, l’Adamaoua mérite plus que toute autre région, la construction du premier port sec de notre pays, au regard des deux paramètres stratégiques ci-après :
– D’abord sa position géographique, au centre du pays, qui fait d’elle un carrefour des échanges entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest. En effet, notre région est frontalière à 05 (cinq) autres régions du pays (Est, Ouest, Centre, Nord-Ouest et Nord) et à 03 (trois) pays (Nigeria, Tchad et RCA).
– Ensuite, Ngaoundéré avec sa base ferroviaire constitue le point de rupture des charges du transport multimodal, présentant ainsi un avantage comparatif indéniable par rapport aux autres localités.
Quels sont les objectifs d’une telle infrastructure qui est nouvelle pour le commerce extérieur du Cameroun ?
Sur un plan macroéconomique, vous n’êtes pas sans savoir que le commerce international constitue un puissant levier du développement économique des nations, à travers les échanges des biens et des services qui y sont enregistrés, puisqu’il est impossible pour un pays de vivre en autarcie.
A cet effet, les ports constituent le lieu par excellence d’embarquement des marchandises destinées à l’exportation, lesquelles sont une source importante d’entrée des devises et par conséquent d’amélioration de la Balance Commerciale d’une part, et d’autre part, ce sont des lieux de débarquement des marchandises importées, sources des prélèvements des droits et taxes douanières pour le compte du budget de l’Etat.
Dans cette veine, les objectifs poursuivis par la création des Ports Secs dans les villes indiquées notamment celui de Ngaoundéré, se présentent comme suit :
1) En amont :
-décongestionner les Ports d’entrées par la réduction des coûts et délais de passage des marchandises, et par voie de conséquence la réduction des prix de revient des marchandises importées ;
– Contribuer à la lutte contre la vie chère ;
– Améliorer la compétitivité globale de l’économie ;
– Fluidifier le passage des marchandises en transit.
2) En aval, dans les villes bénéficiaires :
– Booster les activités économiques et commerciales ;
– Création de nouveaux pôles économiques et industriels ;
– Contribuer à la lutte contre le chômage, source de la pauvreté ;
– Réduire les coûts et délais de livraison des marchandises ;
– Accroître les ressources financières accordés aux CTD desdites villes ;
– Décentraliser certaines opérations de dédouanement à travers le régime des transferts;
– La délocalisation sur place de plusieurs activités industrielles et commerciales.
Comment fonctionne un Port Sec (acteurs, rôles et procédures) ?
Techniquement, le fonctionnement du Port Sec suppose d’une part l’existence des installations nécessaires à la manutention, au stockage, à l’entreposage, aux dépotages et empotages des conteneurs, à l’entretien et la réparation des équipements ; et d’autre part, la présence sur place des principaux acteurs de la chaîne logistique internationale, notamment les transporteurs, le Guichet Unique, le CNCC, les CAD, les organismes de gestion du fret (BGFT, BNF Tchadien et BARC Centrafricain) etc…
Plus concrètement, sous réserve des orientations et instructions de la hiérarchie, ma compréhension du fonctionnement du Port Sec tel qu’il ressort du décret du PM sus-cité, est la suivante :
-La possibilité de décentraliser le dédouanement des marchandises, le principe fondamental étant que les marchandises qui y sont destinées traverseront les ports d’entrée sans être préalablement dédouanées ;
– Ainsi, les marchandises à destination d’un Port Sec seront manifestées depuis l’étranger avec comme lieu de déchargement ledit Port Sec ;
– Par conséquent, à l’arrivée des navires, lesdites marchandises seront transférées vers les Port Secs en bénéficiant d’un allègement des formalités douanières usuelles, à travers la déclaration sommaire des marchandises et le bénéfice des enlèvements directs ou sous–palan ;
– Par la suite, elles seront acheminées par voie terrestre ou ferroviaire vers le Port Sec suivant une procédure sécurisée à travers les instruments techniques et technologiques dont dispose l’Administration des Douanes (cautionnement, suivi par géolocalisation et/ou escortes douanières) ;
– L’essentiel des formalités douanières habituellement effectuées à l’entrée se feront plutôt dans les services douaniers du Secteur concerné, notamment la prise en charge desdites marchandises, la déclaration en détail soit pour la mise à la consommation (cas des marchandises à destination du Grand Nord), soit pour le régime du transit pour les marchandises en destination du Tchad ou de la RCA. A cet effet, y seront également effectuées toutes les formalités relatives à la sécurisation des cargaisons en transit (cautionnement et/ou géolocalisation).
Quels sont les avantages du futur Port Sec de Ngaoundéré pour la Douane, les opérateurs économiques, le transit et l’économie nationale ?
Comme il a été dit, les bénéfices attendus de la création du futur Port Sec sont nombreux et variés, et comprennent notamment :
– La décongestion des ports d’entrée ;
– La facilitation du transit vers les pays voisins ;
– La réduction des délais de passage et des coûts de dédouanement ;
– La fluidification des échanges commerciaux ;
– La décentralisation des opérations de dédouanement
– L’amélioration du climat des affaires ;
– La lutte contre la pauvreté ;
– La lutte contre la vie chère ;
– La création de nouveaux pôles d’activités économiques ;
– L’augmentation des ressources financières du CTD de la Région ;
– La promotion des bonnes pratiques, etc…
En bref, l’accélération du développement économique et social de notre pays.
Comment la Douane Camerounaise se prépare-t-elle à l’aube de la construction du Port Sec de Ngaoundéré ?
Permettez-moi de limiter ma réponse dans le cadre du Secteur dont j’ai la charge. Comme il a été mentionné plus haut, le Secteur des Douanes de l’Adamaoua suit avec beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme l’évolution de cet important projet d’infrastructure, qui va complétement changer la face des activités économiques de la ville de Ngaoundéré en particulier et de la Région de l’Adamaoua en général et, par voie de conséquence, booster ses indicateurs de performance (Recettes, Suivi du Transit, Contentieux etc…).
A cet effet, le Secteur partage l’impatience voire l’inquiétude des populations locales face à ce projet qui a beaucoup traîné, mais il espère qu’avec la signature du récent appel d’offre par le MINEPAT, les choses vont aller en s’accélérant jusqu’à leur aboutissement final.
Toutefois, le Secteur est également conscient des nouveaux défis que va entraîner la mise en place de cet ouvrage, lesquels défis se présentent en termes d’identification et de gestion des contraintes techniques, énergétiques, technologiques, réglementaires et logistique induites par la nouvelle donne, afin d’éviter que le Port Sec ne constitue un nouveau couloir de fraudes diverses ou de dysfonctionnements managériaux, aux antipodes des nobles objectifs recherchés.
Au final, le Secteur de l’Adamaoua s’emploie au quotidien, en tant que Rapporteur de la Cellule Régionale de Suivi mentionnée plus haut, au monitoring de toutes actions ou activités susceptibles de faire avancer et aboutir rapidement cet important projet.
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