(BFI) – Publié ce mois d’avril, le classement des «50 personnalités qui font l’Afrique numérique en 2021» de Jeune Afrique ne fait aucun cas du Gabon pourtant présenté ces dernières années comme un champion du continent en la matière. Dans la tribune libre ci-après, Boursier Tchibinda, journaliste spécialisé en TIC et données ouvertes, croit savoir pourquoi aucun des acteurs gabonais du numérique ne figure dans ce classement qui aurait dû consacrer leur réussite dans le domaine. Il évoque un paradoxe entre les investissements consentis et la nature même d’un écosystème qui peine encore à se stabiliser.
Si le Gabon est considéré, selon la Banque mondiale, comme le premier pays connecté aux TIC en Afrique centrale et de l’ouest grâce à des investissements judicieux, le développement de son écosystème digital semble lui ne pas décoller. Entre accès à l’Internet, lancement d’une série répétitive de concours numériques (concours plan d’affaires et hackathon), le pays le plus connecté d’Afrique centrale est paradoxalement celui où l’absence de véritables success-stories dans ce domaine fait défaut.
Des investissements sans résultats
À l’occasion du New York Forum Africa de Libreville en 2013, le Président gabonais Ali Bongo Ondimba ambitionnait la formation de 5000 jeunes dans les domaines des TIC. Le projet Train My Generation voit le jour en octobre 2014, sous l’expertise de l’UNESCO et le financement de la société privée Airtel Gabon à près de 4,3 millions de dollars pour ce projet qui va durer de 2014 à 2019.
Au ministère de la Communication et de l’Économie numérique, un accord de prêt avec la Banque Mondiale de près de 57.5 millions de dollars en 2016, verra la mise en place du projet eGabon pour une période de cinq (5) ans avec pour objectif de mettre en place un écosystème d’innovation numérique et la mise en place d’incubateurs TIC. À ce jour, le projet a initié plusieurs activités de promotion du numérique, dans l’atteinte de ses objectifs, seul un incubateur sur les trois prévus est opérationnel.
Enfin, le projet Central African Backbone 4 dans sa première phase, menée par l’Agence nationale des infrastructures numériques et des fréquences (ANINF) a vu le Gabon se doter d’un réseau de fibre optique sur 1100 km et la construction des centres techniques sur l’ensemble du territoire gabonais permettant d’assurer une qualité d’accès aux outils numériques et à Internet.
En dépit de tous ces efforts (non exhaustif), l’économie numérique peine à apporter une valeur ajoutée significative dans le processus de création de richesses au Gabon.
Un écosystème balbutiant
L’économie numérique est à l’heure actuelle de pandémie de Covid-19, un des principaux leviers de la relance de la croissance économique internationale. Son avènement a par ailleurs induit de profondes mutations tant dans le secteur économique que dans le secteur social en offrant de nouveaux outils et de nouveaux modèles d’organisation. Bien que des structures compétentes dans ce domaine existent au Gabon, l’écosystème numérique gabonais n’est encore qu’à ses prémices.
Cet écosystème pose plusieurs questions d’ordre légal, technique et révèle aussi des carences observées dans le domaine de la formation, de l’appropriation des TIC et de leurs usages. À l’instar de la Tunisie qui a mis en place le Start-up Act en 2019, après une série de réflexion pour disposer d’un cadre juridique spécifique et propice à l’écosystème naissant, le Gabon ne compte à ce jour aucun texte de loi encadrant l’existence de ces nouvelles entreprises dans le domaine numérique. D’ailleurs, l’anglicisme “start-up” pour désigner une jeune entreprise qui se développe avec des méthodes hybrides et des procédés agiles n’est pas encore reconnu, le droit préférant les termes Petites et Moyennes Entreprises (PME), etc.
Enfin, les success-stories d’entreprises numériques gabonaises qui devraient être l’histoire de cet écosystème et certainement les plus légitimes pour conseiller sur les actions à mettre en œuvre pour faciliter son développement manquent et ne permettent pas au Gabon de s’aligner en Afrique centrale comme un point focal de lancement de start-up à forte valeur ajoutée.
Quoique champion en infrastructure, le Gabon digital doit reconnaître l’échec de certains de ses programmes et concours et devra donc faire face à d’importants défis tels que : la création d’un cadre juridique propice aux start-ups, la définition des missions spécifiques au ministère de la Communication pour la promotion l’économie numérique, la taille d’un marché encore limitée et peu favorable aux innovations locales et aux startupers. Pour y arriver, il faudrait pouvoir fédérer les institutions, acteurs du numérique, patronat, grandes écoles et recruteurs, un enjeu crucial pour prendre totalement le virage numérique.
Par Boursier Tchibinda, journaliste spécialisé en TIC et données ouvertes.