(BFI) – Directeur général de NSIA Banque Côte d’Ivoire, l’une des principales institutions bancaires de Côte d’Ivoire, Léonce Yacé livre à en exclusivité ce qu’il perçoit comme étant les grands défis des institutions bancaires ouest-africaines et les perspectives de transformation de NSIA Banque Côte d’Ivoire.
Considérez-vous que les banques africaines aient globalement résisté aux chocs de ces trois dernières années, qui ont été particulièrement mouvementées ?
Nous sommes à une étape charnière, tout d’abord à cause de la multiplication des risques. Il y a eu premièrement le covid-19 qui a grandement impacté nos économies et a eu des conséquences majeures sur celles-ci. Puis s’en est suivi la guerre en Ukraine qui menace les sources d’approvisionnement en Afrique dans la plupart des secteurs d’activités. Le tout dans un contexte inflationniste et de renchérissement des coûts de l’énergie. Ces épreuves, globalement inattendues, ont été un moyen de tester nos capacités de résilience aux crises. Les banques africaines ont très bien résisté aux chocs actuels et aux risques annoncés de crises de liquidité, notamment grâce à la réactivité des politiques et, au niveau sous-régional à la BCEAO, mais aussi grâce à leur solidité. C’est en tout cas ce qui ressort des enquêtes menées auprès des cadres dirigeants des principales institutions bancaires africaines.
Dans le même temps, nous avons des attentes de plus en plus fortes de la part de nos actionnaires, des gouvernements et des organisations internationales qui perçoivent — à raison — le secteur bancaire comme l’un des principaux catalyseurs de la transition énergétique. Ensuite, nous évoluons dans un environnement de plus en plus concurrentiel avec l’arrivée de nouveaux acteurs financiers, notamment les Fintech, qui concurrencent notre modèle. Enfin, nous faisons face à une évolution réglementaire de grande envergure au niveau continental. Si la période est stimulante, elle est aussi pleine de risques et de défis qu’il nous faut identifier et auxquels il faut répondre efficacement. Nous comblons ces attentes par, entre autres, des lignes de crédit vertes, la certification de nos activités à partir des meilleurs standards internationaux, l’amélioration de notre maîtrise des risques ou encore la numérisation de tout ou partie de nos offres de services. Et nous sommes dans une démarche de construction continue.
Se pose plus que jamais la question du financement des entreprises africaines, notamment des PME, qui apparaissent comme les principaux pourvoyeurs d’emplois et de croissance. C’est un enjeu sur lequel les banques africaines sont attendues au tournant. Comment tâchez-vous d’y répondre ?
Les institutions bancaires ouest-africaines ont une mission clé dans le développement socio-économique du continent : celle de nourrir la croissance en accompagnant le développement des acteurs économiques en se plaçant au service de l’économie réelle. Par acteur économique, j’entends les entreprises de toute taille et en particulier les TPE et PME qui constituent le cœur de notre tissu économique. J’entends aussi notre capacité de réponse collective à la soif d’entrepreneuriat des jeunes générations. Le rapport récent de l’Ichikowitz Family Foundation, publié il y’a quelques mois, estime ainsi à 78 % la part de jeunes Africains désireux de créer leur propre entreprise dans les cinq ans. Dans le même temps, moins d’un quart des TPE et PME accèdent effectivement à un prêt bancaire. L’Afrique subsaharienne est d’ailleurs, à l’échelle du monde, la zone où le poids du crédit par rapport au PIB est le plus faible du monde.
Le financement des acteurs économiques est donc un enjeu plus qu’essentiel. Chacun a son rôle à jouer. Côté banque, on peut par exemple penser au perfectionnement de notre offre de services, qui est essentielle pour fidéliser nos clients dans un environnement où émergent les fintechs ou les microfinances ; à l’amélioration de nos processus de financement pour réduire notamment les délais d’accès au crédit ; à la personnalisation de nos produits d’accompagnement en intégrant une véritable dimension-conseil et accompagnement des entrepreneurs et évidemment la déclinaison numérique de l’ensemble de nos activités… Dans le même temps, les PME doivent faire des efforts pour améliorer leur gouvernance, leur information financière et tout ce qui permettra de rassurer les banques et de maîtriser les risques pour faciliter leur accès au financement. C’est aussi un segment sur lequel nous nous positionnons en déployant des mécanismes qui nous permettront de sécuriser le risque en finançant des PME.
La transformation numérique est en effet présentée comme l’alpha et l’oméga de la banque d’aujourd’hui…
Je dirais que le numérique n’est pas une fin en soi, mais un outil supplémentaire pour garantir à notre clientèle plus de célérité, plus de réactivité et plus d’accessibilité à nos services. Tous les rapports sur la filière bancaire en soulignent la nécessité. Il suffit de regarder la société post covid-19 pour en saisir l’importance. Regardons comment ont évolué les usages : nous avons constaté une explosion de la téléphonie mobile depuis plusieurs années, avec des taux de pénétration qui sont aujourd’hui proches de ceux du monde occidental. C’est une véritable technologie de rupture. La crise sanitaire n’a été qu’un accélérateur d’une tendance systémique préexistante. Et une ferme invitation à nous transformer.
NSIA Banque Côte d’Ivoire, comme d’ailleurs la grande majorité des acteurs bancaires, a ainsi déployé une puissante stratégie de numérisation de ses activités pour faciliter l’ouverture d’un compte, sa consultation, sa gestion, mais aussi pour fluidifier l’accès aux services financiers les plus essentiels, comme le crédit pour les particuliers ou les professionnels, tout en améliorant la personnalisation de ses offres. Les nombreuses FinTech qui sont venues s’implanter sur le marché africain nous ont d’ailleurs challengées sur ce segment de marché et nous avons répondu présents. Mais la numérisation se construit aussi dans une démarche partenariale avec des acteurs déjà bien implantés. D’un point de vue plus général, la transformation numérique est aussi un atout précieux pour une meilleure inclusivité financière et une sortie de l’économie informelle. Elle ne peut apporter que du positif.
Vous vous êtes durablement implantés dans le TOP 5 des institutions bancaires ivoiriennes. Quelles sont vos ambitions à moyen-terme ?
À l’échelle du groupe NSIA, notre ambition collective est d’abord de renforcer durablement notre dimension sous-régionale et, à terme, continentale. À l’échelle de la Côte d’Ivoire, j’ai été reconduit pour trois ans avec une feuille de route clairement établie pour consolider notre place parmi les principaux acteurs bancaires ivoiriens. Cette feuille de route vise à augmenter notre masse de clients, tout en améliorant notre rentabilité et notre maîtrise des risques, sans oublier évidemment un processus de transformation interne. Nous devrions en voir les résultats d’ici quatre ans.
Que diriez-vous à un investisseur étranger, désireux de s’implanter en Côte d’Ivoire ?
La Côte d’Ivoire est un peu l’archétype du pays africain. Il est plein de potentialités, notamment en termes de ressources naturelles et demeure la première économie d’Afrique francophone. Les investisseurs ne s’y trompent d’ailleurs pas et les flux d’IDE suivent une tendance haussière depuis vingt ans, avec une multiplication par cinq du volume d’IDE entre 2000 et aujourd’hui. Mais le pays fait encore face à des problèmes persistants, perçus comme des risques très lourds par les investisseurs potentiels. À titre personnel, j’observe cependant les évolutions de long-terme et me réjouis de la progression de la stabilité politique et des efforts gouvernementaux mis en œuvre pour améliorer le climat et la sécurité des affaires, la stabilité monétaire et surtout les infrastructures, qui sont déjà à des standards assez élevés par rapport à d’autres pays du continent africain.
Plus largement, il faut désormais penser l’économie ivoirienne comme en voie d’intégration dans un cadre régional et continental de plus en plus abouti avec notamment la Zlecaf, qui sera le vecteur d’une plus grande stabilité et d’une plus forte capacité de réponse des pays africains aux grandes crises systémiques et aux chocs exogènes. En bref, l’ensemble des signaux sont au vert.
In Entreprendre