(BFI) – Le Congo a dédié un ministère entier à des projets en PPP pour séduire les investisseurs étrangers. De nombreux obstacles sont cependant à lever.
Avec près de 70 % de ses recettes budgétaires issus des revenus pétroliers, le Congo a littéralement été assommé par la conjoncture qui a prévalu ces deux dernières années. La croissance a plongé de – 8 % en 2020 et de – 0,2 % en 2021. Elle devrait de nouveau devenir positive cette année, notamment grâce au net rebond des cours du baril, mais en attendant il faut voir plus loin. « La reprise économique s’accélère mais reste fragile dans le contexte de la pandémie de Covid-19 et des conséquences mondiales de la guerre en Ukraine. La croissance du PIB réel devrait se renforcer pour atteindre 4,3 % en 2022, sous l’effet de l’amélioration de la production pétrolière, du dynamisme dans les secteurs de l’agriculture et de l’exploitation minière », estimait le Fonds monétaire international (FMI) en avril 2022.
Une urgence : diversifier l’économie
Prenant la mesure de sa dépendance au secteur pétrolier, le gouvernement a décidé d’accélérer la diversification de l’économie. Cette volonté politique s’est traduite par la mise en place d’un ministère de la Coopération internationale et du partenariat public-privé en mai 2021. À sa tête, Denis Christel Sassou Nguesso. Fils du chef de l’État et ancien directeur-adjoint de la Société nationale des pétroles du Congo (Snpc), il compte développer des initiatives de partenariat public-privé pour dynamiser certains secteurs économiques du pays. De fait, le ministère s’est lancé dans la promotion de la destination « Congo » auprès des investisseurs internationaux.
La dernière étape s’est jouée à Kintélé, à 25 kilomètres de Brazzaville les 30 et 31 mai derniers à travers le premier Forum Partenariats public-privé (PPP) organisé par le Congo après un road-show passé par Londres, Casablanca mais aussi Dubaï et Abou Dhabi. Objectif : attirer des investisseurs étrangers en leur proposant un cadre qui puisse les rassurer. Ainsi, une loi spécifique sur les partenariats public-privé doit être présentée prochainement devant le Parlement.
Le PPP, un outil perçu comme innovant
De manière générale, dans un PPP, l’État conserve la propriété et définit le degré de participation du secteur privé qui est rémunéré pour la fourniture d’un actif ou d’une installation. « Le cadre réglementaire est là et la création d’un ministère dédié aux PPP est intéressant puisque nous sommes obligés d’avoir plusieurs interlocuteurs : environnement, finance, énergie… », reconnaît Laurent Van Houcke, directeur des opérations de Bboxx, une société de production de kits solaires, venu justement évaluer les possibilités de s’implanter au Congo.
Le PPP, pas un long fleuve tranquille…
Si Denis Christel Sassou Nguesso voit dans les PPP « un mode de financement innovant et une alternative à l’endettement public », comme il l’a souligné dans sa déclaration préliminaire à l’ouverture du Forum, le chemin est loin d’être un long fleuve tranquille. Le premier cas de PPP le plus emblématique est celui de l’eau à Buenos Aires. En 1993, un contrat de concession du secteur de l’eau a été signé avec à un opérateur privé, en l’occurrence Suez. Malheureusement, la société française Suez a dû quitter l’Argentine en 2006 à la suite d’un différend qui a été porté devant le CIRDI, le tribunal des conflits de la Banque mondiale. Quoi qu’il en soit, le modèle a été adopté et les PPP se sont multipliés à travers le monde s’appuyant sur de grosses infrastructures.
… mais le Congo mise dessus
Le Congo espère profiter de ce type de partenariats pour financer des infrastructures de base et soutenir la diversification de son économie. Ainsi, le nouveau Plan national de développement (PND) prévu pour la période 2022-2026 met l’accent sur six secteurs – agriculture, développement industriel, zones économiques spéciales, tourisme, économie numérique et promotion immobilière – et prévoit de mobiliser 8 000 milliards de francs CFA (soit environ 12,2 milliards d’euros) sur 4 ans, dont près de 6 600 milliards de francs CFA (environ 10 milliards d’euros) à travers les PPP. Pour montrer que tout le monde est concerné par ce challenge, le Forum, organisé par le ministère de la Coopération internationale et de la Promotion du partenariat public-privé, a vu la participation active de nombreux départements ministériels et crée les conditions pour des échanges fructueux entre hommes d’affaires internationaux et congolais. En concluant ce Forum, le ministre Denis Christel Sassou Nguesso a promis que les efforts pour implémenter les PPP seraient poursuivis tout comme les efforts pour améliorer le climat des affaires.
Des concrétisations sont en cours…
Cela dit, cette volonté commence déjà à se traduire dans les faits. Plusieurs PPP ont été signés récemment.
Ainsi, dans le domaine de l’énergie, le gouvernement congolais a paraphé, le 22 mai à Brazzaville, une convention avec le consortium sino-congolais Energaz-CGGC (China Grezhouba Group Corporation) pour la construction des barrages hydroélectriques Morala et Nyanga dans le sud du pays, un ouvrage d’une capacité totale de production de 331 mégawatts. La convention prévoit aussi la réhabilitation du barrage hydroélectrique de Liouesso, dans le département de la Sangha, inauguré en 2017 d’une capacité de 19 mégawatts.
En marge du Forum sur les PPP, Denis Christel Sassou Nguesso a signé un protocole d’entente avec le vice-président de la société Arise, Shailesh Barot, en vue de développer les zones économiques spéciales (ZES) de Pointe-Noire et Ouesso. Il faut dire que depuis 2010, Arise s’est lancé dans le développement des ZES notamment en Afrique. Elle a démarré son premier projet au Gabon avant de répliquer le modèle au Togo, au Bénin, en Côte d’Ivoire au Tchad, et plus récemment au Ghana. Maintenant, c’est au tour du Congo.
… notamment autour des zones économiques spéciales (ZES)
De quoi s’agit-il ?
Ce sont typiquement de gros investissements de viabilisation et d’infrastructures qui entrent dans le schéma d’un financement au travers d’un PPP. Le protocole d’entente prévoit la réalisation d’une étude de faisabilité qui devra être réalisée dans les trois mois. « Nous envisageons d’investir environ 200 millions de dollars pour les deux projets mais cela peut évoluer après l’étude. Nous allons démarrer par Pointe-Noire avec la zone adossée au port minéralier », commente Shailesh Barot.
Le modèle de développement d’une ZES, sur la base d’un PPP, se fait ainsi « avec l’État qui nous cède le terrain. Nous travaillons à chaque fois sur la viabilisation, les routes, les aménagements pour l’électricité et l’eau. Nous pensons que dans 18 mois nous serons prêts pour les premières usines sur la zone de Pointe-Noire. Si au Gabon, pour notre premier projet, cela nous a pris 36 mois, ici avec l’expertise, c’est 12 à 18 mois maximum. Nous avons maintenant une expérience de 10 ans. Dans chaque pays, nous proposons le même modèle : 70 % Arise et 30 % pour le pays, en joint-venture », détaille Shailesh Barot.
Pour nouer des partenariats et investir, les intervenants du Forum ont tous convenu que les conditions passent par un climat des affaires propice. Même s’il n’était pas en tête des classements du Doing Business, le Congo a fait des efforts, avec la mise en place d’un guichet unique pour la création d’entreprise, celle d’un comité de dialogue public-privé et le vote de la loi sur la création de la Haute Autorité de lutte contre la corruption.
D’importants obstacles sont cependant à lever
En revanche, un frein important pèse actuellement sur l’activité économique de toute la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). « Avec la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC), nous avons un problème au niveau du transfert des devises. Aujourd’hui, toutes les devises sont bloquées, ce qui nous occasionne d’énormes difficultés à faire des opérations courantes pour payer nos fournisseurs et transférer nos dividendes », indique Christophe Pujalte, directeur régional Bolloré Congo Transport et Logistique, qui sait de quoi il parle pour avoir géré l’emblématique exemple de PPP du Congo : le port de Pointe-Noire. Celui-ci a été loué pour son efficacité et a pris l’ascendant sur ses voisins pour capter les flux de marchandises à destination l’Afrique centrale, de la RDC, voire du Tchad. En 2021, il a passé le cap du million de conteneurs transbordés. « Quand vous êtes un investisseur, il y a la phase de construction. Beaucoup de sociétés sur la place sont en phase d’installation et transfert des fonds pour construire. Une fois entrée en phase de production, lorsque la société génère du cash, il faut pouvoir rembourser le siège. Si vous générez des profits, vous devez aussi reverser des dividendes. Aujourd’hui, nous mettons plus d’un an à reverser nos dividendes et n’avons pas encore payé ceux de 2020. Ce problème, commencé un peu avant le Covid, est lié aux réserves de change qui ont fortement diminué », explique Christophe Pujalte.
L’opérateur portuaire souligne une autre difficulté, toujours dans le domaine financier : le refus de compensation entre les maisons mères et les filiales à travers la détention de comptes en devises. « Nous avons dû rapatrier la totalité de nos comptes offshore sur les comptes dans le pays et n’avons plus la possibilité de passer par ces comptes offshores pour régler nos fournisseurs. Nous sommes obligés de passer par nos banques ici puis via la banque centrale. Du coup, on se retrouve en rupture de produits, car nous ne parvenons pas à payer nos fournisseurs. Cela est extrêmement problématique », poursuit-il. L’illustration qu’il faut aller au-delà des déclarations et être attentif aux problèmes rencontrés par les opérateurs sur le terrain. Une exigence dont le Congo semble avoir pris conscience pour sortir de l’ornière.